«Parle donc, bon chrétien, dis-moi ce que tu sais:
qu’est-ce donc que la foi?» Moi, je levai la tête,
pour mieux voir la clarté qui me soufflait ces mots.
Puis je me retournai vers Béatrice; et elle
fit signe promptement de laisser s’épancher
vers le dehors le flot des sources du dedans.
«La grâce qu’on me fait, dis-je alors, de pouvoir
ainsi me confesser au plus grand primipile [337],
m’incite à formuler clairement ma pensée.»
Je poursuivis: «Mon père, ainsi qu’avait écrit
le stylet qui dit vrai du frère bien-aimé
qui mit Rome, avec toi, sur le chemin du bien [338],
la foi, c’est l’argument des choses invisibles
et la substance aussi des choses espérées:
si je l’ai bien compris, c’est là sa quiddité.» [339]
Alors je l’entendis: «Ce que tu dis est vrai,
si tu sais dire aussi, pourquoi l’a-t-il placée
parmi les arguments et parmi les substances.»
Je repris aussitôt: «Les mystères profonds
qui me montrent ici leur face véritable
restent si bien cachés aux regards de là-bas,
que leur seule existence est la foi qu’on en a
et dans laquelle on met notre suprême espoir:
et c’est par là qu’elle a l’aspect d’une substance.
Comme il faut, d’autre part, syllogiser sur elle
nS qu’on puisse produire une preuve à l’appui,
s, je acquiert de ce fait un aspect d’argument.»
j’entendis qu’il disait: «Si tout ce qu’on apprend
l’école, sur terre, était ainsi compris,
verrait sans emploi tout l’esprit des sophistes.»
Ce furent là les mots de cet esprit ardent;
ensuite il ajouta: «Nous avons déjà vu
le poids de la monnaie, ainsi que son aloi;
mais dis-moi maintenant si tu l’as dans ta bourse.»
Je dis: «Oui, je l’ai bien, si ronde et si brillante,
que son coin ne fait pas le moindre objet de doute.»
La profonde splendeur qui brillait devant moi
dit ensuite ces mots: «Ce joyau précieux,
qui fait le fondement de toutes les vertus.
comment t’est-il venu?» Je dis: «Du Saint-Esprit
la copieuse ondée, autrefois épanchée
au-dessus des nouveaux et des vieux parchemins [340],
est le seul syllogisme où je l’ai vu prouver,
mais si pertinemment, que, par rapport à lui,
les démonstrations me paraîtraient obtuses.»
Puis j’entendis: «Le texte ancien et le nouveau
qui t’ont fait arriver à ces conclusions,
pourquoi donc les tiens-tu pour parole divine?»
«La preuve, dis-je alors, qui m’a fait voir le vrai
est la suite des faits, pour lesquels la nature
n›a pas chauffé le fer ni frappé sur l’enclume.» [341]
Il me fut demandé: «Mais dis-moi, qui t’assure
que ces faits ont eu lieu? Car ce qui les confirme,
n’est-ce pas justement ce qu’il faudrait prouver?»
«Si tout le monde vint, dis-je, au christianisme
sans miracle, ce fait en est un en lui-même,
et tel que tout le reste est moins que le centième [342];
car toi-même, tu vins bien pauvre et affamé
au champ, quand tu voulus semer la bonne plante
qui, vigne en d’autres temps, est ronce maintenant.»
Après ces mots derniers, l’illustre et sainte cour
fit retentir la sphère en chantant: «Louons Dieu!»
avec les doux accords qu’on ne sait que là-haut.
Ce saint homme pourtant, qui m’avait entraîné
avec son examen, sautant de branche en branche,
au point de m’approcher des feuilles les plus hautes,
reprit presque aussitôt: «La grâce qui se plaît
à meubler ton esprit t’a fait ouvrir la bouche
de la seule façon qui convient, jusqu’ici,
et je suis bien d’accord avec ce qu’il en sort;
mais il faut maintenant dire ce que tu crois,
et d’où cette croyance arriva jusqu’à toi.»
«Ô mon saint père, esprit qui peux voir maintenant
ce que tu crus jadis si fort, que tu vainquis,
courant vers le tombeau, des pieds beaucoup plus jeunes,
commençai-je, tu veux que je te manifeste,
ici même, le fond de ma propre croyance,
et demandes aussi quelle en fut la raison.
Vois ce que je réponds: Je crois en un seul Dieu,
seul, éternel, qui met les cieux en mouvement,
par l’amour et l’espoir, sans être mû lui-même.
À la preuve physique et la métaphysique
de cette foi [343] j’ajoute aussi les arguments
puisés dans tout le vrai qui coule à flots d’ici,
par la voix de Moïse et celle des prophètes,
les Psaumes, l’Évangile et par vous, écrivains
que le feu de l’Esprit avait alimentés.
Je crois à la Personne éternelle et triplée;
je crois que son essence est une et triple, en sorte
qu’on peut dire qu’elle est et sont en même temps.
Le mystère divin de sa condition
que je commente ici, le texte évangélique
l’a mis dans mon esprit à plus d’une reprise.
Telle fut l’étincelle et tel fut le principe
qui s’est épanoui dans une vive flamme
et qui scintille en moi comme une étoile au ciel.»
Comme le maître écoute un rapport qui lui plaît
et, quand le serviteur s’est tu, vient l’embrasser,
montrant qu’il est content de la bonne nouvelle,
ainsi, me bénissant au milieu de son chant,
trois fois vint m’entourer la flamme apostolique
qui m’avait fait parler, sitôt que je me tus,
tant il eut de plaisir à m’avoir entendu.
CHANT XXV
Si le destin permet que ce poème saint
auquel ont mis la main et le ciel et la terre
et qui m’a fait maigrir pendant bien des années,
triomphe des haineux qui m’ont fermé la porte
de ce joli bercail où je dormais agneau,
mais ennemi des loups qui lui faisaient la guerre,
j’y rentrerai poète, avec une autre voix,
avec d’autres cheveux, recevoir la couronne,
au-dessus des fonts mêmes où je fus baptisé [344];
car c’est à cet endroit que j’entrai dans la foi
qui désigne les cœurs au ciel, et pour laquelle
Pierre ceignit mon corps comme je viens de dire.
Ensuite une clarté se mit en mouvement
vers nous, de ce bouquet d’où sortit l’éclaireur
qu’avait laissé le Christ, de ses futurs vicaires.
Et ma dame me dit, resplendissant de joie:
«Regarde bien, regarde! Il est là, le saint homme
qui vous fait visiter la lointaine Galice!» [345]
De même que parfois la colombe se pose
auprès de sa compagne, et l’une à l’autre montre,
tournant et roucoulant, son amour réciproque,
de même j’ai vu là se faire un bon accueil