tu verras cependant qu’elle a le même éclat.
Or, comme sous le coup des rayons de chaleur
le terrain reste à nu, dégagé de la neige,
libre de sa couleur et de son froid premier,
telle reste à présent ta propre intelligence;
je m’en vais l’informer de si vives lumières,
qu’elles te paraîtront des gerbes d’étincelles.
Là-haut, au sein du ciel de la divine paix [24],
tourne autour de lui-même un corps dont la vertu
donne l’être et la vie à tout ce qu’il contient,
Le ciel qui vient ensuite et contient tant d’étoiles
répartit ce même être en diverses essences
différentes de lui, mais en lui contenues.
Les sphères d’au-dessous, chacune à sa manière,
disposent à leur tour ces germes différents
suivant leur origine et leur finalité.
Comme tu vois déjà, ces organes du monde
descendent de la sorte et changent de degré,
recevant de plus haut et agissant plus bas.
Observe maintenant comme je me dirige
par ce moyen au vrai que tu prétends connaître:
ensuite, tu sauras passer tout seul le gué.
Comme l’art du marteau dépend du forgeron,
le cours et la vertu de ces sphères célestes
s’inspirent à leur tour des moteurs bienheureux;
et le ciel qu’embellit la ronde des flambeaux
imite ainsi l’image et devient comme un sceau
de ce savoir profond qui le fait se mouvoir.
Et de même que l’âme, au fond de vos poussières,
par des membres divers et spécialisés
développe et produit des forces différentes,
l’intelligence aussi produit et développe
des dons multipliés par toutes les étoiles,
et reste en même temps une seule et la même.
Différentes vertus diversement s’allient
avec le corps céleste animé par leurs soins,
se fondant avec lui comme avec vous la vie.
Et la nature heureuse où se tient son principe
fait briller dans le corps la vertu composite,
comme luit le bonheur dans le regard vivant.
De là la différence entre un aspect et l’autre,
qui ne dépendent pas du plus dense ou plus rare:
ce principe formel est celui qui produit,
selon sa qualité, le clair ou le confus.»
CHANT III
Ce soleil dont l’amour brûlait jadis mon cœur
m’avait ainsi montré par le pour et le contre
le visage enchanteur des belles vérités;
et moi, pour confesser que j’étais convaincu
et tiré de l’erreur, ainsi qu’il convenait,
je redressai la tête et voulus lui parler;
mais une vision m’apparut, qui soudain
s’empara de l’esprit, d’une telle manière
que de me confesser je n’avais plus mémoire.
Comme dans le cristal transparent et poli
ou dans l’onde immobile et claire comme lui,
mais dont la profondeur ne cache point le fond,
le visage et les traits se laissent refléter
si confus et si flous, que sur un front de neige
on distinguerait mieux la blancheur d’une perle,
tels, prêts à me parler, j’aperçus des visages,
ce qui me fit tomber dans une erreur contraire
à l’erreur de cet homme amoureux des fontaines [25].
Vivement, aussitôt que je les aperçus,
croyant que leur image était un pur reflet,
je tournai le regard, voulant chercher sa source;
mais n’ayant rien trouvé, je reportai les yeux
droit dans ce même éclat qui brûlait, souriant,
dans le regard sacré de ma très douce guide.
«Ne sois pas étonné, si tu me vois sourire:
ton penser enfantin, dit-elle, en est la cause;
ton pied n’a pas trouvé le sol de vérité
et naturellement tu reviens les mains vides:
ceux que tu vois là-bas sont des substances vraies,
que l’on relègue ici pour manquement aux vœux [26].
Parle-leur, si tu veux, écoute-les, crois-les,
car la splendeur du vrai qui fait toute leur joie
les oblige à rester à jamais dans ses voies.»
Je dirigeai mes pas vers l’ombre qui semblait
avoir de me parler plus envie, et lui dis,
comme celui qu’émeut le désir de savoir:
«Esprit bien conformé, qui ressens aux rayons
de la vie éternelle une douceur si grande,
qu’on ne la conçoit pas sans l’avoir éprouvée,
tu me ferais plaisir, si tu voulais me dire
le nom que tu portais et votre sort d’ici.»
Elle, les yeux rieurs, répondit aussitôt:
«Ici la charité ne refuse la porte
à nul juste désir, obéissant à l’Autre,
qui veut que dans sa cour tout lui soit ressemblant.
J’ai vécu vierge et nonne au monde de là-bas;
et si ton souvenir se regarde en lui-même,
ma nouvelle beauté ne peut pas me cacher,
et tu reconnaîtras que je suis Piccarda
qui, placée en ces lieux avec les bienheureux,
demeure heureusement dans la plus lente sphère [27].
Ici, nos sentiments, qu’embrase seulement
le souci souverain de plaire au Saint-Esprit,
tirent tout leur bonheur de leur soumission;
et ce sort, que la terre admire avec envie,
nous est fait en ce lieu pour avoir négligé,
mal accompli parfois, ou déserté nos vœux.»
«Dans l’admirable aspect que je contemple en vous
brille je ne sais quoi de divin, répondis-je,
qui transforme les traits que j’ai d’abord connus;
et c’est pourquoi je fus si lent à te connaître:
mais ce que tu me dis me remet sur la voie,
et il m’est plus aisé de me ressouvenir.
Mais dis-moi cependant, tout en étant heureux,
ne désirez-vous pas un lieu plus éminent,
soit pour mieux contempler ou pour être plus près?»
Elle sourit d’abord, avec les autres ombres,
un peu, puis répondit avec tant d’allégresse
qu’elle semblait brûler du premier feu d’amour:
«Frère, la charité apaise pour toujours
tous nos autres désirs, et nous ne souhaitons
que ce que nous avons, sans connaître autre soif.
Si jamais nous rêvions d’être placés plus haut,
notre désir serait différent du vouloir
de Celui qui nous mit à la place où nous sommes;
tu verras que cela ne serait pas possible;
dans cet orbe, obéir à l’amour est necesse:
et tu sais bien quelle est de l’amour la nature;
car pour cet esse heureux il est essentiel
de borner nos désirs aux volontés divines,
puisque nos volontés ne font qu’un avec elles.
Le fait d’être placés, à travers tout ce règne,
sur plus d’un échelon, est agréable au règne
ainsi qu’au Roi qui veut qu’on veuille comme lui.
C’est dans sa volonté qu’est tout notre repos;
c’est elle, cette mer où vont tous les objets,
ceux qu’elle a faits et ceux qu’a produits la nature.»
Je compris clairement comment le Paradis
est partout dans le ciel, quoique du Bien suprême
n’y pleuve pas partout également la grâce.