J’entendais hosanna chanté de chœur en chœur
à ce Point qui les tient et les tiendra toujours
rivés au même endroit qui leur fut assigné.
Mais celle qui voyait que des pensers douteux
agitaient mon esprit, dit: «Les séraphins restent,
avec les chérubins, aux deux cercles premiers [394].
Leur course est plus rapide, ainsi que tu peux voir,
afin d’être à ce Point pareils le plus possible,
et ils le peuvent bien, car ils le voient de près.
Quant aux autres amours qui restent autour d’eux,
du visage divin on les appelle trônes,
et avec eux prend fin le premier des ternaires.
Or, tu comprends déjà que leur félicité
se fonde au premier chef sur l’acte de la vue,
et non pas sur l’amour, qui passe en second lieu [395];
et cette même vue est résultat d’un don
que la grâce produit, avec le bon vouloir;
et le même ordre règne à chacun des degrés.
Le ternaire suivant, qui, comme le premier,
s’épanouit au sein de ce printemps sans fin
que ne déflore pas le Bélier de la nuit,
fait résonner ici l’éternel hosanna
sur trois airs différents qu’on entend retentir
dans trois ordres heureux qui font sa trinité.
Dans cette hiérarchie on trouve trois essences:
les Dominations d’abord, puis les Vertus,
et au dernier des rangs se trouvent les Puissances.
Puis, dans les chœurs de joie avant-derniers, voltigent
tant les Principautés que l’ordre des Archanges;
le troisième est formé par les anges qui jouent.
Ils contemplent en haut avec intensité
et triomphent en bas tellement, que vers Dieu
ils sont tous attirés et ils attirent tout.
C’est avec tant d’amour que Denis s’était mis
à contempler ces ordres, qu’il a pu les nommer
et les distinguer tous, comme je viens de faire.
Grégoire cependant était d’un autre avis [396];
mais aussitôt qu’il put, dans le ciel où nous sommes,
ouvrir les yeux lui-même, il rit de son erreur.
Et le fait qu’un mortel ait pu dire à la terre
un mystère aussi grand, ne doit pas t’étonner:
quelqu’un qui l’avait vu [397] lui découvrit d’abord
le secret de ce cercle, et bien d’autres encore.»
CHANT XXIX
Au moment où le fils de Latone et sa fille,
à côté du Bélier ou bien de la Balance,
forment de l’horizon leur ceinture commune [398],
le temps que le zénith les tient en équilibre
jusqu’à ce que les deux sortent de cette zone
et changent d’hémisphère, est égal à celui
pendant lequel se tut Béatrice, en tournant
son visage où brillait le bonheur, pour fixer
son regard sur le Point qui m’avait ébloui.
«Je te dirai, fit-elle, et sans que tu demandes,
ce que tu veux savoir, car je viens de le voir
dans cet endroit que font tous les lieux et les temps.
Ce n’est pas pour avoir un bien qui lui fût propre,
ce qui n’a pas de sens, mais pour que sa splendeur
pût, en brillant plus fort, affirmer: «Subsisto!» [399]
qu’en son éternité, hors de toute limite,
hors des bornes du temps, pour son plaisir, l’Amour
éternel s’est ouvert dans des amours nouvelles.
Il n’était pas resté jusqu’alors inactif,
puisque l’esprit de Dieu n’a plané sur ces eaux
le temps qui précéda, ni celui qui suivit.
La forme et la matière, ensemble ou séparées,
pures de tout défaut, en procèdent, de même
qu’un triple trait jaillit de l’arc à triple corde.
Comme à travers le verre ou l’ambre ou le cristal
un rayon resplendit si vite, qu’il ne passe
nul espace de temps entre atteindre et briller,
de même du Seigneur cette source triforme
rayonna tout d’abord dans sa création,
entière et sans connaître aucun commencement.
La substance reçut un ordre Écritures
dont elle fut empreinte; et l’on mit les essences
qu’engendre l’acte pur, au sommet du créé [400].
On assigna le bras à la pure puissance;
et l’acte et la puissance ont été joints au centre
dans des liens si forts, que rien ne les sépare.
Jérôme a soutenu que les ordres des anges
avaient été créés bien des siècles avant
que l’univers entier n’eût reçu l’existence.
Pourtant, la vérité paraît dans bien des pages
de tous ces écrivains que l’Esprit saint inspire,
et tu les trouveras, si tu sais regarder.
Et la raison aussi la devine en partie,
qui ne peut concevoir que les moteurs aient pu
rester si longuement sans ce qui les parfait [401].
Or, tu sais maintenant quand et où ces amours
furent faits et comment; en sorte que trois flammes
au fond de ton désir sont éteintes déjà.
On n’arriverait pas, en comptant, jusqu’à vingt
dans le temps qu’il fallut aux anges révoltés
pour troubler les bas-fonds des autres éléments.
Pour ceux qui sont restés, ils avaient mis en œuvre
avec un tel bonheur cet art que tu contemples,
que jamais aucun d’eux n’a cessé de tourner.
La cause de la chute était la malheureuse
superbe de celui que tu pus contempler,
écrasé sous le poids de l’univers entier [402].
Ceux que tu vois ici furent assez modestes
pour avouer leur dette envers cette Bonté
qui les avait créés aptes à le comprendre;
et c’est pourquoi leur vue est améliorée
par leur propre mérite, ainsi que par la grâce
qui vint illuminer leur ferme volonté.
Abandonnant le doute, il faut que tu sois sûr
que recevoir la grâce est un mérite en soi,
mesuré sur l’amour qui lui servit de porte.
Tu peux dorénavant méditer longuement
et sans autre secours sur ces réunions [403],
si tu m’as écouté pendant tout ce discours.
Pourtant, comme à l’école on prétend enseigner
que les anges sont faits capables par nature
d’entendre, de vouloir et de se souvenir,
il faut que je poursuive, afin que tu connaisses
la pure vérité, que vous rendez obscure
en vous laissant tromper par de telles leçons.
Après avoir joui du visage de Dieu,
ces substances n’ont plus détourné leurs regards
du sien, à qui jamais rien ne peut échapper.
Ainsi, leur vision n’est pas interceptée
par de nouveaux objets; ils n’ont donc pas besoin
de se ressouvenir des concepts oubliés [404].
Et l’on rêve chez vous, avec les yeux ouverts,