qui de tous les côtés se posaient sur les fleurs
et semblaient des rubis enchâssés dans de l’or.
Ensuite, paraissant de parfum enivrées,
elles allaient plonger dans le gouffre admirable;
et dès que l’une entrait, une autre en jaillissait.
«Cet intense désir qui t’enflamme et te presse
si fort, de pénétrer tout ce que tu contemples,
m’enchante d’autant plus qu’il devient plus puissant.
Mais il faut de cette eau que tu boives encore,
si tu veux que ta soif puisse enfin s’apaiser.»
C’est ainsi que parla le soleil de mes yeux.
Elle ajouta: «Le fleuve, ainsi que les topazes
qui font ce va-et-vient, le sourire de l’herbe,
ne sont que la préface et l’ombre de leur vrai [415].
Ce n’est pas que cela soit trop dur à comprendre;
il s’agit d’un défaut, dont la source est en toi,
qui n’as pas encor l’œil superbe qu’il faudrait. «
L’enfant ne tourne pas aussi rapidement
vers le sein maternel sa face, le matin
lorsqu’il s’est éveillé plus tard que de coutume,
que je ne me tournai, pour faire de mes yeux
un miroir plus fidèle, en me penchant sur l’onde
qui s’épanche là-haut pour nous rendre meilleurs.
Et sitôt que le bord de mes paupières vint
se baigner dans ses eaux, je crus m’apercevoir
que ce que j’avais pris pour longueur était rond.
Puis, comme on voit quelqu’un qui demeurait masqué
se montrer différent, sitôt qu’il se dépouille
de l’aspect étranger qui nous donnait le change,
les fleurs avaient changé, comme les étincelles,
en un bonheur plus grand, et je vis tout à coup
s’étaler sous mes yeux la double cour du ciel.
Ô toi, splendeur de Dieu, qui m’as permis de voir
le triomphe éternel du royaume du vrai,
fais-le-moi raconter tel que je l’ai connu!
Il est une clarté là-haut, qui rend visible
le Créateur lui-même à toute créature
dont le bonheur consiste à contempler sa face.
Cette clarté s’étale et forme comme un cercle,
6e déroulant si loin, que sa circonférence
serait pour le soleil une ceinture lâche [416].
Tout ce qu’on peut en voir est formé de rayons
qui baignaient le sommet du mobile premier
et lui donnent ainsi la vie et la puissance.
Et de même qu’un mont se mire dans les eaux
qui coulent à ses pieds, pour y voir sa parure,
alors qu’il est plus riche en verdure et en fleurs,
tel je vis, dominant tout autour cet éclat,
s’y mirer longuement, du haut de mille marches,
tous ceux qui d’entre nous ont fait retour là-haut.
Et puisque le gradin le plus bas circonscrit
un si vaste foyer, quelle ne doit pas être
l’ampleur de cette rosé au bord de ses pétales!
Mes yeux ne perdaient rien de toute cette ampleur
ni de sa profondeur, mais embrassaient très bien
de ces félicités l’étendue et le mode.
Là, d’être près ou loin n’ajoute ni n’enlève;
car lorsque Dieu gouverne immédiatement,
les lois de la nature ont perdu leur pouvoir.
Dans le centre doré de la rosé éternelle
qui s’étale et s’étage et exhale un parfum
de louange au Soleil du printemps éternel,
pareil à qui se tait tout en voulant parler,
m’attira Béatrice, en me disant: «Regarde
comme il est grand, le chœur de ces blanches étoles!
Tu vois le tour qu’ici comprend notre cité;
et nos sièges, tu vois, sont déjà si remplis
qu’il reste peu de place à ceux que l’on attend [417].
Et quant à ce grand siège où ton regard s’arrête,
parce qu’il est déjà marqué d’une couronne,
avant qu’on ne t’invite à ces noces toi-même,
il doit recevoir l’âme, auguste sur la terre,
de Henri, qui viendra redresser l’Italie;
mais il doit arriver avant qu’elle soit prête [418].
L’aveugle convoitise, en vous rendant stupides,
vous pousse à réagir comme certains enfants
qui, tout en ayant faim, repoussent leur nourrice.
Le tribunal divin lors aura pour préfet
un tel qui n’ira point sur le même chemin
que lui, tant en secret qu’au su de tout le monde.
Mais il ne sera plus supporté longuement
par Dieu dans son office; il descendra bientôt
où la justice a fait tomber Simon le Mage,
et celui d’Anagni s’enfoncera d’autant.» [419]
CHANT XXXI
Ainsi, sous cet aspect de rosé toute blanche,
se montrait à mes yeux cette sainte milice
qu’au prix de son sang même épousa Jésus-Christ.
L’autre [420], qui dans son vol voit et chante la gloire
de Celui qui fait seul le but de son amour,
ainsi que sa bonté qui la rendit heureuse,
imitant un essaim d’abeilles qui tantôt
se pose sur les fleurs, et qui tantôt retourne
au point où la saveur de son butin augmente,
descendait dans le sein de cette grande fleur
qu’orne un nombreux feuillage, et remontait ensuite
où l’Amour a fixé son siège pour toujours.
Leurs visages à tous étaient de pure flamme;
leurs ailes étaient d’or, et le reste si blanc
que la neige jamais ne le fut à ce point [421].
Et descendant ainsi de gradin en gradin
dans cette fleur, un peu de leur paisible ardeur
acquise en voletant se répandait partout.
Et cependant le vol de ces foules sans nombre
venant s’interposer au-dessus de la fleur,
n’empêchait nullement la vue ou la splendeur,
car la clarté divine entre dans l’univers
dans la proportion dont il se montre digne,
et rien d’autre ne peut lui former un obstacle.
Et ce royaume heureux, que rien ne peut troubler
et où la gent antique abonde et la nouvelle,
offrait au même endroit leur amour et leur joie.
Brillante Trinité qui dans l’étoile unique
qui scintille pour eux, fais ainsi leur bonheur,
regarde vers le bas et vois nos infortunes!
Si jadis, descendant des rivages qu’Hélice
contemple tous les jours de là-haut, en tournant,
avec le fils qu’elle aime encore [422], les barbares
restèrent stupéfaits, apercevant de Rome
les superbes palais, du temps où le Latran [423]
se trouvait au sommet des choses de ce monde,
moi-même, qui venais de l’humain au divin
et qui passais du temps à cette éternité
et de notre Florence au peuple juste et pur,
je laisse à deviner quelle était ma stupeur!
Et cependant par elle, ainsi que par la joie
j’oubliais mon silence avec celui des autres.
Comme le pèlerin qui se fait un bonheur