de visiter le temple où l’appelait son vœu,
en pensant aux récits qu’il doit à ses amis,
tout en me promenant dans la vive lumière,
je suivais du regard chacun de ces gradins
vers le haut, vers le bas ou bien tournant en rond.
J’y voyais dés regards invitant à l’amour
du prochain, où brillait la lumière d’en haut
sur leur propre sourire, et de dignes abords.
Déjà de mon regard je pouvais embrasser
l’aspect du Paradis pris dans tout son ensemble,
sans m’arrêter encor sur aucun de ses points;
et je me retournais, pris par une autre envie,
pour savoir de ma dame un peu plus de détails
sur lesquels mon esprit restait comme en suspens.
J’attendais une voix, une autre répondit [424]:
car je pensais trouver Béatrice, et je vis
un vieillard habillé comme on l’est dans la gloire.
On voyait son regard et son visage empreints
d’un suave bonheur où brillait la bonté
qui le rendait pareil au plus tendre des pères.
«Où est-elle?» ont été mes premières paroles.
«Pour mener, me dit-il, ton désir à la fin,
Béatrice m’a fait abandonner ma place.
Regarde vers le haut, sur le troisième cercle
à partir du sommet, et tu la reverras,
assise sur le trône où la met son mérite.»
Sans plus tarder alors, je levai mon regard
et je la vis là-haut, portant une couronne
que formaient les reflets des rayons éternels.
L’œil mortel n’est jamais à si grande distance
de la plus haute zone où gronde le tonnerre,
même s’il a plongé jusqu’au fond de la mer [425],
que Béatrice était de ma vue éloignée;
mais cela n’était rien, parce que son image
parvenait jusqu’à moi, pure de tout milieu.
«Ô dame, qui soutiens toute mon espérance
et qui, pour mon salut, avais daigné laisser
jusqu’au fond de l’Enfer la trace de tes pas,
je reconnais tenir la grâce et la vertu
de tant et tant d’objets que j’ai pu contempler,
rien que de ta puissance et magnanimité.
D’esclave, ta faveur vient de me rendre libre,
grâce à tous les recours et par tous les moyens
qui, pour mener au but, étaient en ton pouvoir.
Conserve-moi toujours cette magnificence,
en sorte que mon âme, enfin par toi guérie,
sans les liens du corps, jouisse de ta grâce. «
Telle fut ma prière; et elle, d’aussi loin
qu’elle semblait, sourit en regardant vers moi,
puis elle se tourna vers la Source éternelle.
Alors le saint vieillard: «Afin que s’accomplisse
de point en point, dit-il, jusqu’au bout ton voyage
auquel m’ont invité l’amour et la prière,
survole du regard tout ce vaste jardin!
Sa contemplation préparera ta vue
pour mieux monter ensuite aux célestes rayons.
Et la Reine du ciel, qui fait brûler mon cœur
du plus parfait amour, nous donnera sa grâce,
car moi-même, je suis son fidèle Bernard.» [426]
Comme celui qui vient, mettons de Croatie
uniquement pour voir chez nous la Véronique [427]
et ne peut assouvir sa faim qui vient de loin,
mais se dit en son cœur, pendant qu’on la lui montre:
«Ô Seigneur Jésus-Christ, ô Dieu de vérité,
alors votre visage était-il ainsi fait?»
tel je restais, voyant l’active charité
de celui qui chez nous, dans le monde d’en bas,
goûtait en contemplant un peu de cette paix.
«Fils de la grâce, fut son entrée en matière,
comment connaîtras-tu cet état bienheureux,
si tu gardes toujours les yeux fixés en bas?
Regarde donc plutôt ces cercles jusqu’en haut,
et sur le plus lointain tu pourras voir la Reine
à laquelle obéit saintement ce royaume! «
Lors je levai les yeux, et comme le matin
le bord de l’horizon qui touche à l’Orient
passe l’éclat de Vautre où le soleil se couche,
de même, en promenant mon regard du plus bas
au plus haut, j’aperçus un endroit au sommet,
dont l’éclat dépassait tout le front opposé.
Et tout comme le bord où l’on attend le char
que Phaéton garda si mal, paraît brûler,
tandis que de partout la clarté diminue,
telle vers le milieu s’avivait l’oriflamme
qui conduit à la paix, tandis que tout autour
la clarté faiblissait de façon uniforme.
Dans ce même milieu, les ailes déployées,
l’air en fête, j’ai vu voler plus de mille anges,
et chacun différait par I’aspect et l’éclat.
Et là, parmi leurs jeux et parmi leur musique,
je vis une beauté rire [428], qui dans les yeux
de tous les autres saints devenait de la joie.
Si j’avais l’éloquence aussi riche que l’est
l’imagination, je ne craindrais pas moins
d’affronter le portrait de sa grâce la moindre.
Bernard, voyant mes yeux qui s’étaient arrêtés
attentifs et fixés sur l’ardeur de sa flamme,
tourna les siens vers elle, avec tant de tendresse
que mon regard devint d’autant plus enflammé.
CHANT XXXII
Donc ce contemplateur, tout entier à sa joie,
assuma librement l’office de docteur,
commençant son discours par ces saintes paroles:
«La blessure qu’oignit et que guérit Marie,
ce fut la belle femme assise au-dessous d’elle [429]
qui l’avait fait ouvrir et qui l’envenima.
Au troisième degré que composent ces sièges
est assise Rachel, auprès de Béatrice,
comme tu peux le voir, un peu plus bas que l’autre.
Sarah et Rebecca, Judith la bisaïeule
de ce chantre royal qui disait dans ses vers
miserere mei, regrettant ses erreurs [430],
suivent, comme tu vois, de gradin en gradin,
toujours en descendant, dans l’ordre de leurs noms
formant de haut en bas de la fleur les pétales.
Du septième gradin jusqu’en bas, comme aussi
du sommet jusqu’à lui, une file de Juives,
divisent en longueur la tête de la rosé;
car, suivant le regard dont on considéra
la foi de Jésus-Christ, elles forment le mur
d’où prennent leur départ ces escaliers sacrés [431].
Du côté le plus proche, où tous les pétales
semblent s’épanouir, tu vois rester assis
ceux qui crurent d’abord dans le Christ à venir;
et de l’autre côté, dont le vide interrompt
par endroits les degrés, restent assis ceux-là
qui fixaient leurs regards sur le Christ advenu.
Comme de ce côté le trône glorieux
de la dame du ciel, avec les autres sièges,
se trouvent au-dessous, formant comme un palier,
il fait aussi pendant au trône du grand Jean [432]