— Peut-être, mais là n’est pas la question. Qu’elle se distracte, c’est la vie ; qui puis-je-t-il ?
— Alors quoi, elle divorce ?
— Tu rigoles ! Nous deux c’est pour toujours.
— En ce cas je donne ma langue, Gros.
— Cherche encore, j’ai du mal à te déballer l’affaire. Le mots qui me coincent le corgnolon.
— Tu vas pas bêcher avec un vieux pote comme moi, Alexandre-Benoît. Ça servirait à quoi nos années d’épopée, les deux ? Nos luttes, nos ripailles, nos tringlées…
— Cherche z’encore, je t’en supplille.
— Bon, ton mal vient de Berthy. Tu te fous qu’elle te trompe et il n’est pas question de divorce. De quoi peut-il bien s’agir alors ?
— Je te mets sur la voie : ça concerne Apollon-Jules, not’ enfant.
— Vous avez un différend sur son éducation ?
— Moui, mais y a pire.
Le trait de lumière. Enfin presque. Disons que j’entrevois. Mais n’ose hasarder la question fatale. Si je me trompais, ce serait trop terrible.
— Tu veux dire ?
— Exactement !
— Qu’est-ce qui pourrait te faire douter ?
— Elle m’y a presque dit.
— De quelle façon ?
— La pire.
— Narre !
— Elle voulait qu’on le mît en nourrice chez des gens dont elle connaît : des malgrébiens d’Afrique du Nord.
— Mais puisque Félicie vous l’élève…
— Berthe dit que c’est trop d’ boulot pour ta daronne. V’s’ avez déjà l’ Toinet.
— Au contraire, elle est ravie, m’man. Tu aurais eu des quintuplés, elle te les élevait pareillement.
Le Mastar prend un air gêné.
— Berthe trouve que Toinet est trop déluré et qui pourrait donner des mauvaises manières à Apollon-Jules.
— Donner des mauvaises manières à un bébé de six mois !
— Berthe prétend que d’après un artic’ qu’elle a lu un endividu est déjà formationné dès sa naissance.
— Tandis que ses potes nordafs n’ont pas d’enfants contaminateurs et sont classés monument historique comme éducateurs ?
Il secoue la tête.
— J’ sais bien, mais c’t’ une femme qu’on peut rien lui dire. Elle a ses tronches. Sans doute que le mari du coup’ en question lui a pratiqué un canter d’ seigneur. Pour s’ reconnaît’ du cul elle veut lui faire gagner d’ la fraîche en lu donnant not’ r’j’ton à garder : son côté charitab’.
— Probablement, admets-je.
— Moi, tu penses, je m’ai opposé ; comme quoi j’avais pas fabriqué un beau petit gars pour l’ refiler а une tribu berbère d’ la Goutte-d’Or.
Des larmes lui sortent, dodues, huileuses, qui mettent du temps à s’engager sur ses pommettes incarnat.
— T’ sais ce dont ell’ m’a répondu ?
— J’ai peur.
— J’ t’y dis tout d’ même. Ell’ m’a balancé, très net, en m’ matant droit dans les lotos : « Est-il-tu sûr d’ l’avoir fabriqué toi-même, Sandre ? »
Il se frappe le crâne de son poing et ça fait comme lorsqu’on cogne à la porte d’une cathédrale fermée.
— C’te putain d’ garce. J’y ai sauté su’ l’ poiluchard. « Qu’est-ce tu sous-entends par là, Berthy ? Qu’Apollon-Jules n’est pas d’ moi ? »
« Elle se marrait, la charogne ambulante ! « Quel homme peut-il-t’il êt’ sûr qu’ ses chiares lu sont sortis des bourses ? » elle a lancé. J’ai cru qu’ j’ la butais. »
— Taquinerie de femelle, lâché-je négligemment.
— Tu penses !
— Voyons, Alexandre-Benoît, Apollon-Jules, c’est ton portrait tout craché !
— Je croilliais, mais…
— Il a ton nez large, ta bouche vorace…
— Berthy aussi a un gros pif et des grosses lèvres.
— Mais cet air gentiment con, dis ? Cette expression bêtasse sous la paupière pesante ?
— D’accord, rêvasse-t-il, moui, je dis pas, mais tu r’garderais ma Baleine attentiv’ment, t’ t’apercevrais qu’e l’a pas la frime а Simone Veil malgré son embonpointement.
Je mesure les dégâts qu’a déjà commis le vilain ver introduit par Berthe dans le gros fruit béruréen… Pour arracher de son esprit l’idée fixe dévastatrice, il faut frapper un grand coup.
— Pose ton bénard, Gros.
— Quoi faire ?
— J’ai envie de voir ton cul. Un caprice !
Sans en demander davantage, il se dépantalone. Une fois le grimpant sur les chevilles, il attend, la trompe à l’air, pareil, en sa partie inférieure, à un éléphant à barbe.
— Tu ne portes pas d’ slip ? noté-je.
— J’ai renoncé : y z’étaient tout d’ sute sales.
— Tourne-toi du côté du Sacré-Cœur et baisse-toi !
Exécution. Je choisis la plus longue règle dont je dispose et applique l’une de ses extrémités sur un point de fesse envahie par des poils noirs, frisés serrés.
— Tu le sais que tu as une petite tache de vin à cet endroit, l’enflure ? Je l’avais remarquée la fois où tu baisais la pharmacienne.
— Des dames me l’ont eu dit et j’ me rappelle d’une époque, y a mèche, où je parvenais à l’apercevoir dans une grande glace.
— Eh bien, Apollon-Jules a la même, au même endroit !
— T’es certain ? sursaute l’Ignoble. J’ l’ai jamais vue.
— M’man me l’a fait remarquer l’autre jour en le baignant. Si t’appelles pas cela une signature, mon drôle, c’est que tu es de parti pris.
Soudain rasséréné, il m’accolade.
— Tu m’ sauves le mental, mec. Si ç’aurait pas été de toi, j’ serais d’venu neuneu. Je l’aime tant, ce chiare. Faut que j’aille chercher un litron pour fêter la renaissance d’ mon p’tit gars. Mais t’avouereras, les gonzesses, quelle engeance, hein ?
Quand il est sorti, j’appelle ma Félicie d’amour. Je lui raconte que, oui, oui, la Rose d’Or, une pure merveille. D’accord, je rentrerai pour le dîner. Ce que j’ai envie de manger ? Eh bien, je serais assez partant pour des oiseaux-sans-tête[6] avec des petits pois frais aux lardons. Pour commencer ? Ben, c’est la saison des asperges, non ?
Ensuite, elle me dit que tout va bien at home. Le luron des Bérurier est un ogre qui chiale dès qu’il aperçoit le fond de sa gamelle.
Je demande à maman d’aller chercher dans ma chambre, parmi ma paperasserie et mon matériel de burlingue, un crayon bille violet à l’encre indélébile et de tracer une marque en forme de demi-lune au haut de la fesse gauche du moutard. Je lui donne la raison pieuse d’un tel tatouage et elle promet de faire au mieux.
— Bien que ton crayon soit réputé indélébile, ça finira par partir, objecte ma brave femme de mère.
— Aucune importance, dans vingt-quatre heures, Béru aura oublié l’incident.
Bisou téléphonique. Je raccroche. Et à peine le combiné a-t-il retrouvé sa fourche que ça ronfle. C’est fréquent, ce genre de coïncidence. II arrive même que je trouve un correspondant en ligne à l’instant où je m’apprête à perpétrer un numéro.
La standardiste. Car on s’est modernisés à la Big Chaumière et ce sont des nanas qui pilotent le standard, si bien qu’il est souvent saturé de bites et que les préposées te répondent la bouche pleine.
— Commissaire San-Antonio ?
Je reconnais l’organe mélodieux d’Anaïs. La première fois qu’on l’a entendue, ç’a été le rush, tant sa voix est mélodieuse, sensuelle. Seulement quand on a découvert la mocheté qu’il y avait autour, on s’est tous mis à dégoder comme des centenaires.
— Oui ?
— Une certaine Mathilde Ralousse souhaiterait vous parler.