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— Connais pas, demandez-lui ce qu’elle veut.

Un moment de néant, puis Anaïs aux décibels de rêve me revient dans les trompes d’Eustache :

— Elle dit vous avoir vu hier а Montreux. Son surnom c’est Pâquerette et elle est l’amie de Ted of London !

Santantonio bondit.

— Mais bon Dieu, c’est bien sûr ! Passez-la-me-la !

Bien qu’elle eût très peu moufté la veille, je reconnais le ton dolent de la gravosse tatouée du buste.

— Je vous demande pardon si je vous dérange, j’ai eu votre téléphone par les renseignements internationaux.

— Tu es toujours en Suisse ?

— Oui.

— T’as des problèmes ?

— Ted a disparu.

— Quand ?

— Hier, en sortant du festival. Deux hommes se sont approchés de nous et lui ont montré un papier. Il les a suivis.

— Que t’a-t-il dit ?

— Rien. On était séparés par la foule, vous comprenez ? Ça s’est passé à quelques pas de moi, mais y avait des gens entre nous. Ç’a été très vite.

Un temps, je perçois sa respiration oppressée. Cette grosse gourdasse est une hyper-timide, il a dû lui falloir beaucoup de courage pour oser m’appeler.

— Et alors, môme ?

— Ben, je me demandais…

— Tu te demandais quoi ?

— Si c’était pas vous qui l’avez fait arrêter. J’ sus été à la police d’ici, ce matin, ils ne savaient pas de quoi je parlais.

— Je regrette, je ne suis pour rien dans l’affaire.

— Ah ! bon, tant pis… J’ sus inquiète, vous comprenez ?

— Il y a de quoi. Et tes petits potes, Karim et Mandoline ?

— Ils sont comme moi, ils se demandent ce qui se passe. Mandoline a eu l’idée d’aller vous causer, ce matin, mais elle est tombée sur votre nana qui lui a crié des horreurs et lui a dit que vous étiez parti. C’est ça qui nous a donné à penser que vous aviez peut-être ramené Ted à Paris.

Nouveau silence. Elle doute de moi, de ma parole. Ce micmac la dépasse.

— Écoute, Pâquerette, si j’avais emballé ton tendeur, je te le dirais.

— Qu’est-ce que je dois faire ?

— Rentrez, tous, on va essayer d’y voir clair.

— Et sa voiture ?

— Laisse-la sur un parking de Montreux en prévenant le copain chez qui vous logez, pour le cas où ton Angliche referait surface.

— Bon, se soumet-elle.

Une gonzesse docile à ce point, tu lui pardonnes d’être tarte.

— Mais grouillez-vous, toi surtout. Dès que tu seras à Paname, appelle-moi.

— D’accord. Vous pensez quoi, monsieur le commissaire ?

— Que ton rouquin s’est foutu dans une béchamel qui peut fort bien te rendre veuve, ma fille, réponds-je impitoyablement.

Ainsi que je le prévoyançais, Béru insiste pour m’escorter à la masure. La bise à son rejeton. Il tient à s’assurer de cette tache de vin-signature.

Le môme est justement en pleine bâfrée lorsque nous déboulons. Sa béchamel lui dégouline plein la poire. Il s’en ingurgite des gueulées de bull-dog, l’apôtre ! Me fait songer à Gargantua, fils de Grand-gousier. Il bouffe en émettant des signaux sonores, genre bébé phoque sur sa banquise. Ça tient du gloussement de joie et du « han ! » bûcheron. Parfois, comme il grogne la bouche pleine, ça produit de grosses bulles. II se marre. Une vraie nature, Apollon-Jules. Moi, la main sur le cœur, je suis convaincu qu’il est de Béru ; impossible autrement ! C’est le Mastar en modèle réduit. Et d’ailleurs, sans charre, il lui ressemble.

La « boullie » expédiée, m’man le change pour sa noye. Alors, mister Béru se penche sur l’auguste cul du petit prince. Il découvre the signe et se signe soi-même, soulagé jusqu’au tréfonds de ses énormes bourses.

— Vous resterez bien à dîner, monsieur Bérurier, propose m’man, j’ai des paupiettes de veau.

— Avec beaucoup de parfaitement, chère maâme, d’autant plus que ma Berthe est en voiliage av’c un cousin à elle dont elle n’avait pas r’vu d’puis leur première communion. Y font les châteaux d’ la Loire en passant par la Côte d’Azur. Y z’en ont bien pour une huitaine de jours.

Vachement joyce, l’Enorme. Son fils est de lui, le dîner sera succulent et il sait ma cave dotée de tous les bons auteurs. Je le traite à l’Hermitage, Mister. Blanc pour les asperges, rouge pour la suite. Une petite fiesta sympa.

On en est au flan caramel lorsque mon biniou gredille. C’est la môme Pâquerette. Elle chiale comme douze Madeleine et Marcel Proust réunis. Au point de ne plus pouvoir jacter après m’avoir dit son nom.

— Qu’est-ce qui t’arrive encore, ma poule ? l’encouragé-je.

Je me dis qu’on a peut-être retrouvé son copain refroidi. Si c’est le cas, elle va en avoir pour quarante-huit heures à le pleurer. Ensuite la réaction se fait et la semaine prochaine elle trouvera un autre bandeur pour la sauter. La vie va vite. Quand t’as des lettres de condoléances à expédier, ne tarde jamais, sinon quand elles arrivent à destination, le récepteur ne sait même plus de quoi il s’agit.

A travers cent hoquets, la Dodue me raconte qu’en arrivant chez elle, elle a trouvé son appartement mis à sac. Plus rien qui tienne debout, qui soit entier, intact.

— Où crèches-tu ? je demande.

— 108 rue Saint-Claude, au sixième.

— Attends-moi, j’arriverai d’ici une heure.

Nous prenons le caoua au salon. M’man s’excuse : elle doit aider Toinet qui a compo d’histoire-géo demain.

— J’ sais pas si j’ me tromperais, murmure le Mahousse, lorsque nous sommes seuls, mais y a quequ’ chose qui t’ chicane, on dirait ?

— T’es perspicace.

Je lui raconte ma mésaventure suisse. La pipe-prétexte, le mouchoir-message, mes retrouvailles avec Ted of London, son « arrestation » au sortir du festival, et maintenant l’appartement saccagé du couple, sans oublier l’assassinat par curare d’un spectateur sans papiers.

Il m’écoute en arrosant son café de marc de Savoie, jusqu’à ce qu’il en prenne la couleur pâle.

— Ton gazier devait tremper dans un coup à la manque, diagnostique mon éminent collaborateur. Et puis quand est-ce que ses potes l’ont vu av’c toi, ils ont cru qu’il leur avait fait du contrecarre. Si ça se trouve, le Ted, en ce moment, il est au fond du Léman, cimenté dans un tuliau d’ canalisation.

Lorsque j’annonce que je vais chez lui, sans hésiter, le Mastar se dresse.

— J’ t’accompagne, mec, d’alieurs il est temps qu’ j’ me rapatrille dans mes terres !

Elle a cessé de chialer, la gravosse. La porte de son logement bée, et quand nous déboulons sur le palier on l’aperçoit qui est assise par terre, le dos appuyé au galandage. Son domicile ne comporte qu’un assez vaste studio, un bout d’entrée, un brin de cuisine et une illusion de salle de bains.

Effectivement, c’est la Beresina intégrale. Attila est passé par là ! Tout est brisé, défoncé, déchiré. La moquette détachée du parquet forme un monceau himalayesque dans un coin. Le matelas lacéré a perdu toute sa laine qui, elle, forme les Alpes. Le canapé, quant à lui, a lâché la totalité de son crin pour recomposer le ballon d’Alsace. La vaisselle brisée jonche le sol de la kitchnette, ce qui indique que le (ou les) visiteur(s) ont agi par pur vandalisme, car tu veux planquer quoi dans une assiette, toi ?

Pâquerette murmure :

— Si je vous disais : ils ont même chié sur la photo de ma mère.

Elle est anéantie. Pour elle c’est le butoir du fond de voie. Elle peut pas aller plus loin, la pauvrette. Sa vie joue Calamitas.