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Comme il n’existe plus aucun siège valide, je viens m’asseoir en face d’elle dans l’entrée.

— Il serait peut-être temps que nous discutions, môme.

Elle hausse les épaules. Ses tifs pas lavés pendent devant son visage de poupée russe dépeinte.

— Qu’est-ce on pourrait se dire ? Y a rien à dire !

— Tu te doutes de qui a fait ce carnage ?

— Pas la moindre idée.

D’un doigt, j’écarte la plus grosse de ses mèches afin d’apercevoir ses yeux qui ont la troublante couleur de l’eau des lacs à plonge.

— Tu sais, Pâquerette, répondre franchement à mes questions, c’est peut-être ta dernière chance de rester en vie.

Elle a un soubresaut.

— Pourquoi vous dites ça ?

— Parce que vous avez affaire à des vrais méchants. Il y a deux catégories de méchants : les méchants qui font semblant de l’être et ceux qui le sont pour de bon. Dans votre cas, aucune erreur n’est possible : vous êtes tombés sur ceux de la seconde catégorie.

Ma technique est simpliste : l’effrayer un max pour lui arracher un max. Avec une grosse pomme blette comme elle, ça doit payer. L’ambiance se prête formide à ce genre de conditionnement. Le décor est planté, on n’a plus qu’à jouer son rôle.

Bérurier, qui devient suprêmement rusé quand il entre en connivence avec moi pour ce genre d’entreprise, renchérit :

— Chier sur le portrait d’ ta mère, la môme, c’est ton arête de mort qu’on a signée. Dans la grande truanderie, ça veut dire qu’ tu vas passer à la dessoude dans les heures qui viendent.

Pâquerette se met à claquer des chaules comme si on l’avait enfermée dans une chambre froide en compagnie de Margaret Thatcher.

— Mais je n’ai rien fait à personne !

— Euss, ils croivent le contraire ! tranche Béru. Et c’est ce qui croivent qu’est important, piges-tu, Moustique ?

Un temps. Elle pleure. Ses grosses cuisses frémissent. Sa poitrine à lunettes se soulève jusqu’à son menton avant de choir sur son pubis.

— Dans quel merdier s’est-il foutu, ton Rosbif ?

— Mais, je ne sais pas.

— Bon, on met tout à plat et on rebâtit, ma fille. Il y a longtemps que tu es avec Ted ?

— Deux mois.

— Où l’as-tu connu ?

— En boîte, Le Feu d’Artifice, du côté de Charenton.

— On est chez toi, ici, ou chez lui ?

— Chez moi.

— Tu marnes ?

— Non, j’ sus au chômedu.

— Et avant, tu faisais quoi ?

— Une fabrique de pièces détachées pour vélos.

— Et lui, il gratte ?

— Vouais.

— Pour de bon ?

— Bien sûr.

— Il pourrait vivre de ses rentes ! Et où gagne-t-il son bœuf ?

— Dans un supermarket de La Courneuve.

— Comme directeur ?

— Il est chargé de récupérer les caddies que les clients embarquent avec eux et abandonnent n’importe où.

— Chiens perdus sans colliers !

Je rigole. Y a que des mecs comme Ted of London pour dénicher des jobs pareils !

— Dernièrement, je parie qu’il s’est mis à dépenser du blé, non ?

— Comment que vous le savez ?

— Mon petit doigt qui m’a balancé un coup de fil pour m’affranchir. Bien entendu, vous vous camez, tous les deux ?

— Oh ! un petit joint de-ci, de-là.

— Me fais pas marrer, j’ai vu ses avant-bras pendant qu’il dormait ! Ou alors c’est infesté de moustiques chez vous !

Elle hausse les épaules.

— Alors, rectification ?

— Oui, c’est vrai : Ted y va un peu а la morph’ ; mais pas moi, vous savez ; regardez mes bras.

Elle allonge à travers le couloir étroit ses ailes blafardes veinées de bleu dégueu.

— D’où lui arrivait cette rentrée de flouze ?

— Il ne m’a pas dit.

— Quand tu mens, il te vient des rougeurs au cou, la mère !

Un temps.

Les voisins du dessous viennent de se brancher sur le compte rendu de Roland Garros et on entend claquer des balles sous des boyaux de chat pendant que le commentateur se débonde.

La môme déglutit а plusieurs reprises. Béru qui la regarde murmure :

— Impatiente-toi pas, Sana, elle va tout t’ bonnir, chez elle c’est la timidité qui la bloque, autr’ment sinon c’t’ une gosse plutôt sympa.

Fectivement, Pâquerette s’enhardit et parvient à parler :

— Ted m’a dit qu’il avait trouvé une combine rupine.

— Quel style ?

— Il travaillait pour une agence de police privée.

— Dont le siège se trouve ?

Elle me tend un visage purgé de tout mensonge. L’image de la sincérité éclairant le monde !

— Je n’en sais rien, et lui non plus. Il a été contacté dans la rue et on lui filait rancard dans des églises.

— Pas possible !

— Si, si. En tout cas c’est ce qu’il m’a dit, et pourquoi m’aurait-il menti ?

Ben oui, au fait ?

— Ça consistait en quoi, son travail ?

— Des gens à suivre.

— Et puis ?

— C’est tout.

— Qui étaient ces gens ?

— Alors là, il ne m’en a pas parlé !

— Secret professionnel ? ricané-je.

Elle hoche la tête.

— Sûrement, et puis vous le savez : Ted est anglais, c’est pas un bavard.

— Tu n’as jamais surpris le moindre indice qui te permettrait de m’éclairer un peu ?

— Jamais. Faut comprendre, c’était nouveau, ce travail : huit dix jours, pas plus.

— C’est toi qui as eu l’idée d’aller au festival de Montreux ?

— Non, c’est lui.

— Pour le boulot ?

— Il ne m’a rien dit, mais c’est pas impossible.

— Pourquoi ?

— Parce qu’une fois à Montreux, il m’a laissée presque toute une journée seule.

— Maintenant, venons-en à Mandoline et Karim. Ce sont des potes à Ted ou des potes à toi ?

— C’est-à-dire que Mandoline est ma grande copine. J’étais avec eux au Feu d’Artifice le soir que j’ai connu Ted. II m’a draguée et il est devenu leur ami par la même occasion.

— Vous vous fréquentez beaucoup ?

— Pas mal. Mais…

— Mais quoi ?

— On menait pas exactement la même vie. Eux, ils… ils travaillent.

— Des gens sérieux, somme toute ?

— Enfin, oui, plutôt.

— Pas de drogue ?

— Non. Ils ont horreur.

— Ils ne sont pas encore rentrés à Paris ?

— Ils seront là demain ; ce soir, ils restaient chez leur copain Mohamed Loubji.

— Tu leur as raconté ce qui s’est passé ? La manière dont ton julot s’est fait coiffer ?

— Oui, bien sûr.

— Qu’en pensent-ils ?

— Rien.

— Ils n’étaient pas au courant des activités de Ted ?

— Non. En tout cas il n’en a jamais causé devant eux.

— Les mecs qui ont emballé ton gars, tu as eu le temps de les voir ?

— Un peu, oui. Mais il faisait nuit et y avait plein de monde.

— Tu me racontes à quoi ils ressemblaient ?

— Je sais pas trop. Je crois qu’il y avait un blond avec un blouson de daim noir. L’autre m’a paru âgé ; il avait une moustache épaisse.

— Ted les a suivis sans difficulté ?

— Absolument.

— Il n’a pas cherché à te prévenir ?

— Non. Il semblait pressé et ne m’a pas regardée.

Elle murmure après une minute de silence dédiée au souvenir de Ted, voire à sa mémoire :