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La personne télescopée présente une quarantaine d’années en bonne et due forme, bien assumée. Elle n’est pas empâtée, ni fanée, non plus que plissée. Des séances répétées de findless et de lampe à brunir la gardent fraîche et heureuse. Elle porte un pyjama de soie fuchsia boutonné sur l’épaule. M’est avis qu’elle dormait et qu’elle a mis du temps avant de réaliser qu’on bricolait sa serrure.

En attendant qu’elle dévape, je me livre à une exploration du studio. Dans la vaste penderie, je découvre une foule de tenues disparates : de religieuse, de salutiste, de contractuelle, d’infirmière, d’hôtesse d’accueil, etc. Dans la partie technique, il ne me faut pas un million d’années-lumière pour piger qu’il s’agit d’un centre d’émissions clandestines. Un registre codé est enfermé dans un tiroir fermé à clé, mais que je déferme grâce, cette fois, à mon sésame.

Assis dans un fauteuil, les mains croisées entre ses grandes jambes écartées, M. Blanc m’observe avec intérêt.

— Putain, ce que tu fais flic, mon vieux, assure-t-il ; on ne saurait pas, on comprendrait que t’es un enculé de flic. Ça se voit à la façon que tu bandes dur en jouant les fouille-merde. T’as une bite d’éléphant quand tu fouinasses, mon vieux ! T’es presque beau à voir, flic à un tel point, moi je trouve.

J’acquiesce.

Oui, sûrement qu’il a raison, le Jérémie. C’est l’instant où je sors de ma réelle identité pour me muer en salaud de poulet ! Mon côté Mr. Hyde !

Je feuillette le registre. Des noms, des indications, mais rédigés dans un langage secret. J’essaie de remettre ça en français, appliquant les méthodes courantes comme le retournement des lettres, par exemple, ou bien la numérotation brouillée de l’alphabet ; mais ça reste muet. J’arrache une page du gros bouquin, très proprement, la plie et la glisse dans ma fouille. Après quoi je remets le registre en place et referme le tiroir.

La dadame en pyje est toujours dans la semoule et ça me paraît parti pour un brin de temps. Faudrait peut-être la soigner efficacement, qu’en penses-tu ? Non-assistance à personne а danger, c’est pas reluisant pour un Royco.

Jérémie continue d’attendre en étudiant mon comportement. Et mézigue Bibi, dit Moi-même, dit Sana, dit le Tombeur de Saint-Cloud, je commence à patouiller dans les angoisses. A me dire que je me suis probablement filé dans des emmerdouillages saignants. Que de quel droit, après tout, forcé-je la demeure d’une dadame. Même ses postes émetteurs et ses fringues pour bal masqué ne me confèrent pas l’autorisation de lui violer le domicile et de la tremper dans du sirop de coma, la pauvre biquette. Comment s’appelle-t-elle, au juste ?

Je me mets à la recherche d’un sac à main et j’en trouve quatre, tous plus Hermès l’un que l’autre, soigneusement rangés dans le tireroir d’une commode très commode (ou très pratique si t’as horreur des répétitions).

L’un d’eux, ainsi que je l’escomptais, recèle un portefeuille. Permis de conduire, passeport européen. La personne estourbie est Mme Ruth Booz, née à Monte-Carlo, le 4 septembre 1943, mariée, puis veuve d’un certain Hughes Naut et domiciliée à Typigekpuick, comté de Gaiway, Irlande.

Je note ces renseignements sur mon calepin magique.

Maintenant, faut que je vais prendre une décision sans jambage avec l’occupante de cet étrange appartement.

— On pourrait lui filer de l’eau sur la gueule, mon vieux, suggère Jérémie, ça ne peut pas lui faire de mal ?

— D’accord.

Il pousse une porte donnant sur une kitchenette peu grande mais bien équipée et revient avec un pot d’eau et un torchon.

J’ai beau bassiner les tempes de la femme, comme il est pratiqué dans les bouquins du dix-neuvième cercle dans lesquels les dames riches chopaient des vapeurs pour un ouïe ou gnon, ça ne change rien à la situasse. Elle continue de rester aux abonnés absents. Ce qui me trimbale le mental dans des zones inhospitalières, c’est qu’elle a les yeux ouverts. J’ai beau promener mon doigt devant ses prunelles, elle ne réagit pas. Si son guignol ne continuait de battre la mesure à un rythme à peu près normal, on jurerait qu’elle est morte.

— Hé ! dis, vieux, je l’ai pas refroidie, au moins ? s’inquiète Jérémie. T’es témoin que c’est accidentel, putain d’elle ! Je lui voulais pas de mal. C’était juste pour te donner un coup de main, vieux. Tu le diras, quoi, merde ?

— T’occupe de rien, je te couvre.

J’hésite, puis je décroche le bigophone pour alerter Police-Secours. Appel anonyme. Je donne l’adresse, annonce qu’une femme est grièvement blessée et qu’ils se manient le rond pour la driver à l’hosto. Ciao !

— Allez, viens, monsieur Blanc, on se brise !

Pas besoin de lui envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception pour le faire obéir.

Les deux étages à quatre enjambées, parole ! on s’engloutit dans ma bagnole ! A peine parvenu boulevard Saint-Germain, on perçoit la corne de Police-Secours dans les confins.

— T’es un sacré drôle de putain de flic, toi mon vieux, jubile Jérémie. Un sacré putain de flic comme toi, je savais pas que ça existait.

— Ben, tu vois, fils, tout existe.

— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?

— Te déposer chez toi.

— Et après ?

— Poursuivre mon enquête.

— C’est quoi, poursuivre ton enquête, mon vieux ?

— Prendre des dispositions, contrôler des choses, donner des ordres…

— Tu vas pas te coucher ?

— J’irai dormir une autre nuit.

— Dis donc, vieux, ça te ferait chier si je venais avec toi pour l'enquête ? Ça m’intéresse, mon vieux. Oh ! bonté divine ce que ça m’intéresse !

— Eh, dis, il est tard ; ta femme t’attend.

— Ramadé, jamais elle m’attend. Si je viens, je viens, si je viens pas, je viens pas.

— Faut que tu te reposes. A quelle heure prends-tu ton travail ?

— Je le prends pas demain, c’est mon jour. Alors dis, tu m’emmènes faire l'enquête ?

— O.K.

Je lui dois bien ça.

Pour commencer, nous passons par chez Mathias. Note qu’il n’y a pas le feu. Je pourrais attendre demain matin pour lui confier la page de registre à décrypter ; mais moi, quand j’ai la rate au court-bouillon, faut que ça saute !

Ils sont au plumzingue, naturliche. Et c’est sa mégère qui vient guigner au judas. En m’apercevant, elle maugrée :

— Ah ! non, vous ne venez pas me le débaucher en pleine nuit. Ça, n’y comptez pas !

Mathias qui l’a rejointe demande :

— Qui est-ce ?

— Ton charmant commissaire !

— Eh bien, ouvre, Ninette.

— Non, je n’ouvrirai pas. On laisse les gens dormir. Nous avons de nombreux enfants, monsieur le commissaire. Nous nous sommes épuisés et avons droit au repos.

— Voyons, Ninette !

Ça continue de palabrer. Elle est féroce, cette carne. Malgré leurs dix-sept chiares, j’espère toujours que le Rouillé va la laisser quimper, son ogresse. Ça me ferait mouiller, si un matin il m’annonçait qu'il a largué le pensionnat familial.

— Bon, tranché-je, eh bien je vous laisse, puisque vous ne voulez pas ouvrir. Je suis sûr que vous vous plairez bien en Corrèze.

— Comment ça, en Corrèze ? hargnit le moche tréteau.

— C’est à Tulle que je demanderai et obtiendrai la mutation de Mathias, ma chère dame. Un mec qui n’a rien dans son froc ne saurait rester à Paris. Vous verrez comme il est vivifiant, le plateau de Mille-Vaches. Comme ça, c’en fera une de plus.