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— Mais moi je vais lire, tu vois.

— Ben je te regarderai lire, mon vieux. Fais pas chier, t’avais promis, quoi, merde !

— Comme tu voudras.

Il range son cul dans un fauteuil de cuir râpé cependant que je me plonge dans l’assassinat d’Hugues Naut.

Biographie rapide du dénommé Hugues Naut :

Né à Paris en 1917.

Études au lycée Louis-le-Grand, puis à la faculté de droit de Nancy.

Entre à la Banque Golda Goldenberg en 1938 où ses qualités lui valent, malgré son jeune âge, un avancement rapide.

A l’invasion allemande, la banque appartenant à un consortium composé d’israélites est mise sous tutelle « aryenne ». Hugues Naut y continue son ascension et devient, avant la fin de la guerre, fondé de pouvoir.

Les propriétaires de la banque étant morts et déportation, l’établissement est vendu à un group de financiers. Naut en est le principal actionnaire.

Son irrésistible ascension dans les affaires le placera а la tête d’autres sociétés importantes.

Célibataire endurci, il partage sa vie privée avec beaucoup de conquêtes plus ou moins tapageuses jusqu’en 1970 où, à l’âge de 53 ans, il convole et justes noces avec Ruth Booz. Le couple semble mener une existence mondaine jusqu’en juin 1973. Au cours d’un voyage d’affaires au Liban, pourtant paisible à cette époque, Naut est assassiné au volant de sa voiture, de nuit, sur le parking du casino de Beyrouth, la gorge et les couilles tranchées. Sa femme qui était demeurée à Paris fait des pieds et des mains pour que la police française coopère avec la police libanaise. Mais l’enquête menée tant à Paris qu’à Beyrouth ne donnera rien.

The End.

Juste comme j’achève ma lecture des différente pièces du dossier, on toque à ma lourde. C’est mon chosefrère, le commissaire Levenin.

Un qui mérite bien son nom ! Aigrelet, comme personnage. Pas sûr de soi, mais sur (sans accent circonflexe) comme le lait tourné. Pas grand et furieux de sa taille ; puant de la gueule malgré le précieux concours des Établissements Lajaunie, une poitrine très large avec l’épaule gauche si tombante que tu dirais une gerce essayant de se dénuder un nichemard. Il porte sempiternellement un complet noir froissé qui verdit comme la soutane du cher curé d’Ars, une chemise blanche douteuse et une cravate noire en tire-bouchon qu’il fourre sous sa chemise presque tout de suite à la sortie du nœud. Les joues bleues, les cils eczémateux, les manettes décollées et le nez tordu : ecce homo, comme ils disent à Mykonos.

Sa venue nocturne me surprend de court car on ne se fréquente rigoureusement pas. Deux excellentes raisons à cela : il me jalouse et je le méprise. Par ailleurs nos services n’ont jamais la moindre interférence.

— Salut ! lâché-je par politesse pure.

Il exécute un très vague hochement du chef et va se planter devant Jérémie. Le fixe avec intensité. M. Blanc finit par prendre ombrage de cet examen.

— Il veut ma photo, ce con, ou bien que je lui montre mon cul ? me demande-t-il.

La teigne pique sur mon pote comme un busard des Andes sur agneau crevé.

— Qu’est-ce que tu dis, moricaud ? On cherche des gnons ?

J’interviens :

— Écrase, Levenin ! Mon ami ne te demande rien et tu viens le renifler comme tu respires les colombins jalonnant ta route quand tu te promènes.

Mon confrère me toise, bat des cils, ce qui fait pleuvoir sur ses revers cette espèce de neige enfermée dans des boules de verre pour figurer une tempête en montagne.

— Toujours aussi brillant, hein ? me dit-il.

— Il est tard, on marche sur le groupe cérébral d’appoint. C’est tout ce que tu avais à me dire ?

— Non, je venais te parler de M. Caramé.

— Le dur ou le mou ?

— Qu’est-ce t’entends par là ?

— Caramé le dur et caramel mou, tu saisis ? C’est une pauvre astuce que je sous-titre bien volontiers pour que tu puisses la comprendre. Cela dit, qui est M. Caramé ?

— Un plombier à la retraite qui crève doucement d’un cancer de la vessie. Ça l’oblige à se lever tous les quarts d’heure ; pas marrant, hein ?

— J’aimerais faire quelque chose pour lui, mais je ne suis pas spécialiste des voies urinaires, lesquelles, comme celles de la Providence, sont infinies.

— Ce pauvre bonhomme habite au premier étage d’un immeuble sis rue Mollasson, dans le sixième.

Là, je commence à entrevoir une lueur car la rue Mollasson est celle où nous avons exécuté notre coup de main mignon, M. Blanc et moi.

— Passionnant ; et alors ?

— Et alors, il y a une paire d’heures environ, son attention a été attirée par le comportement de deux types sortant de la maison d’en face un Blanc, élégant comme une pédale de luxe et un Noir baraqué comme… comme môssieur, ici présent.

— C’est palpitant. Ensuite ?

— Ils ont pris place dans une Maserati blanche pareille à celle qui se trouve dans la cour, en bas.

— Et qu’est-ce que le comportement de ces deux hommes avait de surprenant ?

— Ils paraissaient pressés de filer.

— Pour quelle raison ?

— Parce qu’ils venaient de carboniser une dame.

— Qu’appelles-tu carboniser ?

— Fracture du crâne. On est en train de la trépaner à l’Hôtel-Dieu.

Il vient s’asseoir sur le rebord de mon bureau, d’une fesse insolente.

— Bon, me dit-il, si tu as des explications valables, tu les sors, sinon je fais mon rapport.

— Fais-le, mon grand ! Fais-le vite, sans trop de fautes d’orthographe si possible, paraît que tu écris le français comme une bonne portugaise.

Mon ton tranquille l’agace, et plus encore ce qualificatif de « grand » dont je viens de le fouailler. Ses yeux de rat pesteux errent sur mon burlingue avant de se poser sur le dossier Naut dont le nom est calligraphié en belle ronde vachement moulée sur la couvrante verte. Levenin sourcille, sort des notes de sa poche, les vérifie et sourit.

— La pauvre femme dont on est en train de déballer les méninges est la veuve d’un type qui porte ce nom. T’avoueras, le hasard est grand !

— C’est pas à moi qu’il faut dire ça ! fais-je en souriant.

Je lui tends le dossier.

— Tiens, je n’en ai plus besoin ; tu devrais lire ça. Là-dessus, tu m’excuseras, mais j’ai école.

Le v’Ià qui retrouve la verticale, ce qui ne le mène pas très haut. Il glisse le dossier sous son bras tombant, se grattouille les burnes avec deux doigts de joueur de billes.

— Je vois mal l’intérêt que tu as à te comporter ainsi, déclare Levenin. Honnêtement, je pige pas.

— Tu devrais bouffer de la laitance de poisson, grand. Je suis sûr que tu manques de phosphore.

Rageur, il s’évacue en faisant sonner ses talons trop hauts sur le parquet.

Il a les yeux rougis, Mathias. L’insomnie, certes, mais surtout le chagrin. Il ne se pardonne pas d’avoir avoiné sa rosière. Cette danse de Saint-Guy qu’il lui a fait interpréter sur leur palier, devant le front des troupes des voisins rassemblés, il ne pourra plus jamais l’oublier. Et la pauvrette, tisanée à mort, qui trouve la force et l’héroïsme de lui demander pardon ! Rien que d’évoquer cette frêle voix tuméfiée, sourdant péniblement d’atroces bouffissures, le chavire, mon Rouquinos. Mea culpa ! mea culpa ! à s’en défoncer le poitrail. Il va se faire une brèche dans le thorax, ce grand nigaud devenu fou furieux à force de se frapper le palpitant.

Ses mains tremblent. Il parle avec des hoquets dans le gésier.

— Tu as défriché ce puzzle, Blondinet ?