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— Oui, monsieur le commissaire. On a chiffré à l’aide de la méthode Pétahouche qui consiste à…

— Je me tartine la prostate au beurre de cacahuètes de l’en quoi elle consiste, mon trésor.

— Vous avez tort, ça pourrait vous fournir une indication : on part d’un livre donné. On choisit une page. On…

— Oui, je sais, j’ai dû lire ça jadis dans le Reader’s Digest ou dans le Journal de Mickey. C’était quoi, le livre ?

— Vous ne trouveriez pas si je vous demandais de deviner.

— Alors, dis-le.

— Mein Kampf d’Adolf Hitler, et la page clé se trouve dans le chapitre consacré à l’antisémitisme.

Il a raison, l’Incendié, c’est intéressant de savoir ça.

— Je vous ai dactylographié la traduction du texte figurant sur la page arrachée.

— Merci, mon fils, à présent tu peux rentrer chez toi.

— Oh ! non, balbutie-t-il, il est trop tôt. Les fleuristes ne sont pas encore ouverts.

Je me lève pour aller l’embrasser. C’est un grand, Mathias. Un tout grand du métier. Un presque irremplaçable. Le Père la Science !

— Comment as-tu découvert que le livre clé était Mein Kampf ? Je demande.

Il hausse les épaules.

— Ce serait un peu laborieux à expliquer. C’est basé sur la répétition des voyelles et des consonnes. D’après leur fréquence et l’abondance des articles de trois lettres (der, die, das), j’ai déterminé que c’était de l’allemand. Partant de là, je me suis mis à chercher quel auteur avait été choisi. II existe une règle automatique qui fait que lorsqu’on utilise cette méthode, on se réfère presque toujours à un classique célèbre. J’ai pensé à Goethe, puis à Schiller, mais les phrases de ces deux auteurs…

Il jacte, jacte, passionné par son sujet. Un vrai maître de conférence (il me la sort bonne, comme on disait à la communale). Comme ça me casse rapidement les bourses, j’entreprends de lire la feuille. Dès la deuxième ligne, j’ai pigé qu’il s’agit d’une étude relative à un personnage dont l’identité n’est pas précisée ; probablement parce qu’elle va de soi pour les intéressés. On décrit sa maison, son mode de vie, ses occupations professionnelles et ses loisirs. Et alors, c’est ce dernier point qui me crapatouille les régions sexuelles. Je lis et relis et relis avec bonheur le paragraphe suivant :

— Fréquente presque chaque dimanche le golf de Saint-Nom-la-Bretèche où il joue avec son ami Blanche, architecte à Saint-Germain-en-Laye.

Je lève les yeux sur Mathias.

— Et c’est ainsi que l’idée m’est venue de me rabattre sur Mein Kampf, comprenez-vous, commissaire ? est en train de conclure le Rouillé dont je n’ai pas suivi la démonstration.

— Admirable ! complimenté-je, au jugé.

M. Blanc prend la parole :

— Il en a dans la tête, ce con, assure-t-il. On dirait pas à voir sa pauvre gueule de con.

— Rien de plus à signaler а propos de ce papier, fiston ? demandé-je à mon esclave.

— Juste encore une petite chose, commissaire ; l’encre.

— Quoi, l’encre ?

— Ce texte remonte à plusieurs années car il a été tracé avec une encre violette qui ne se fait plus. Elle avait été conçue pour alimenter des stylos de luxe, mais elle était trop fluide et l’on a rapidement renoncé à sa fabrication.

— Chapeau pour la précision, gars !

Cette fois, Jérémie ne se tient plus :

— J’ai jamais vu un con aussi intelligent, assure-t-il, et pourtant, j’en ai vu des cons, mon vieux ! Ya ya, ce que j’en ai vu !

DEUDEUXIÈXIÈME PARPARTITIE

LES VISITEURS DE MONTE-CARLO

Elle lui donna le courrier à signer. Comme chaque fois qu’elle se penchait sur lui, son cœur piqua un sprint. Maurier était le genre de quinquagénaire auquel aucune femme n’aurait pu résister. Denise se dit qu’il touchait à la perfection masculine. Chaque fois qu’elle l’approchait (et la chose s’opérait quinze fois par jour), elle cherchait le défaut de cette admirable cuirasse : une faille, un manque, un détail déplaisant, sans jamais le trouver. Maurier n’était pas très grand, mais admirablement bâti. Musclé, sans le moindre embonpoint, il avait le cheveu poivre et sel, abondant et bien coiffé. Un teint brique d’acteur américain, le regard clair, brillant de volonté et d’intelligence, les traits nets et harmonieux d’un Mercure de médaille, le menton volontaire agrémenté de cette fossette qui est la marque des hommes de grande énergie. Toujours impeccablement vêtu de sombre, avec des sous-vêtements recherchés, il était élégant mais dégagé, contrairement à certains hommes trop apprêtés qui portent leurs vêtements coûteux comme des uniformes.

Il ouvrit le gros porte-courrier de cuir fatigué et se mit à parcourir chaque lettre d’un œil prompt et précis. Il « photographiait » la missive, la captait d’un seul regard puis la signait d’un paraphe bref dans lequel un graphologue aurait lu tout le caractère indomptable de cet homme.

Il posa une virgule manquante dans un paragraphe, ce qui fit défaillir Denise, rechargea un « s » indécis, dû à une touche mal venue, acheva de signer la dizaine de lettres et referma le lourd cahier d’un geste déterminé.

— Merci, Denise. Rien d’autre ?

— Si. Il y a dans l’antichambre un couple de gens qui demandent à vous rencontrer d’urgence.

— Ils n’avaient pas pris rendez-vous ?

— Non, monsieur.

— En ce cas, vous savez bien que je ne reçois personne à I’improviste !

Denise rougit. Tout ce qui, venant de Maurier, pouvait ressembler à un reproche la crucifiait.

Elle tenta de déglutir, mais sa glotte se coinça et elle émit une sorte de petit couac de volatile.

— Le monsieur m’a dit qu’ils venaient vous entretenir de la chose qui vous tenait le plus à cœur en ce monde et que vous ne pouviez pas refuser de les écouter.

Maurier hocha la tête. Ce n’était pas un homme impressionnable et ce genre de langage le rendait furieux sans stimuler sa curiosité.

— Dites à ces gens qu’ils prennent rendez-vous en exposant succinctement l’objet de leur visite.

— Bien, monsieur.

— Ils n’ont pas donné leur nom ?

— Ils ont refusé.

— Et vous voudriez que je les reçoive !

Denise devint écarlate, ses jambes flageolèrent. Elle glissa le porte-courrier sous son bras et quitta la pièce.

Maurier consulta sa montre. Il décida qu'il passerait au club de tennis, histoire de disputer un set ou deux avec son moniteur. Il s’était mis à ce sport sur le tard, afin de maintenir sa forme et surtout de « se changer les idées ».

Il vissa le capuchon de son stylo à encre, un Cartier en or guilloché « qu’elle » lui avait offert dix-huit ans en arrière. D’instinct, il leva les yeux sur la photographie posée devant lui et qui « la » représentait vêtue de blanc, assise sur le dossier de la banquette de son Riva. Si blonde, si claire, si rieuse. Image de vie heureuse que n’importe quel magazine féminin aurait publiée pour illustrer un texte sur le bonheur. Leurs regards se croisèrent, se prirent, s’entrepénétrèrent. Il y eut une seconde de folle, d’impossible connivence entre eux deux. Puis la photographie redevint un papier glacé et lui un homme seul.

On toqua à la porte.

C’était Denise. Elle semblait au supplice.

— Écoutez, monsieur, ces gens…

— Permettez ! fit une voix.

Elle dut s’écarter pour laisser pénétrer le visiteur obstiné.