Il se tait un instant pour s’attarder sur le capiteux souvenir. Son institutrice trombonée, me l’a-t-il assez raconté, le Gros, les soirs de divagation ou les matins de gueule amère. Il a eu une adolescence précocement queutarde : sa bouchère, la couturière, la femme du notaire… On pourrait le brancher des heures sur ces fumantes évocations avec des gargouillements de bidet en fond sonore et des poils de cul sur la langue pour le faire zozoter.
— Si on en revenait à ton problème ?
— Donc, ç’a t’été la féroce carambolée, d’après laquelle je m’endors. Qu’est-ce y m’ réveille ? J’ te le donne en mille, Emile : Berthe !
— Mais je la croyais en voyage avec un cousin ?
— Exaguete, s’lement, y z’ont rebroussaillé chemin d’à la suite comme quoi leur voiture était nasée : le carter pété faute d’huile ! Donc, c’est la Berthy qui m’arrache des toiles av’c une casserole de flotte dans la poire, d’à ce point j’avais la dorme enracinée. Moi, en la voyant, mon raisin n’ fait qu’un tour. C’ qui me rassure, c’est d’ ne plus voir Pâquerette. « Dieu soit acheté ! j’ me dis, elle a eu la bonne idée de se casser avant qu’ ma chère et tendre revient ! » Et puis Berthy découv’ le poteau rose. « Dis voir, Sandre, t’ serait-il pas été engager mes bijoux chez ma tante, j’ les trouve plus. »
« Cré non, c’te suée ! J’ai tout d’ sute compris qu’elle m’avait empaillé, la môme ! Tous les ors, tous les joiliaux d’ la maison ! Plus quatre mille pions qu’on gardait dans la boîte à biscuits d’ la cusine ! Et même la fraîche qui rn’ restait en fouille ! Tu m’ la copiereras, Sana ! Tant qu’ t’auras qu’ des frangines comme ça à m’ présenter, tu t’ les limeras toi-même. »
— Hé dis, crâne de bœuf, qui a proposé à la greluse de venir pieuter chez toi ? Quand on est perpétuellement à l’affût d’une troussée, on finit par se faire entôler, fatal !
— Ma Berthe fait un ramdam du diable. Ell’ veut que j’ vais porter plainte !
— Et pourquoi non ?
Il ôte son bitos et essuie d’un revers de manche son large front emperlé de sueur.
— Tu m’ voyes, moi, officier d’ police, ex-ancien miniss, porter le pet dans un commissariat, comme quoi une pétasse de bas laitage m’a ratissé ?
Un qui ressemble à une tranche de pastèque, c’est M. Blanc. La mésaventure du Mastar l’amuse tellement que sa rate risque d’exploser, je pressens.
— Pourquoi qu’y rigole, le mâchuré ? grogne le Mammouth ; j’espère qui s’ fout pas d’ ma gueule, j voudrais pas saloper ta moquette neuve, Sana.
Jérémie le calme :
— J’ me fous pas d’ ta gueule, mais j’ vous trouve d’ plus en plus cons, les flics, mon vieux. J’ m’en doutais sans en être sûr, note bien. Mais cons à ce point, personne se douterait !
Il exprime d’un ton conciliant, voire cordial. Alexandre-Benoît branle le chef (ce qui lui vaudra de l’avancement).
— Qu’est-ce que tu veux, confirme-t-il, flics ou pas flics, on est des hommes comme les autres.
Le biniou !
C’est Mathias.
Il ne chiale plus. Il me dit que sa bonne femme l’a appelé. Elle s’exprime avec difficulté ayant seize dents (soit la moitié de ses effectifs) cassées et la mâchoire démise ; mais elle vient de lui dire qu’elle l’adore, qu’elle est son bien, sa femme, sa chose, sa gagneuse. Qu’elle est fière de lui. Folle de lui ! Un jules de sa trempe (et de celles qu’il flanque), elle en rêvait depuis sa première branlette. Elle va se consacrer à lui totalement ! Au diable leurs chiares ! Il connaîtra des grands moments de frénésie sexuelle, le Rouquin ! Des nuits d’amour aussi longues que des nuits polaires ; mais plus réchauffantes ! Elle lui taillera des pipes éperdues (son édenture est propice au dessein). Ce sera la grande féerie des sens ! Le tourbillon ! Kama Sutra à toutes heures ! Elle ne cessera de chevaucher son homme que pour chevaucher son bidet.
— Compliments, Rouillé. Te voilà seul maître à bord après Dieu !
— C’est à vous et à votre copain noir que je le dois ! Un jour, j’aimerais vous inviter tous les deux à la maison. Vous n’ignorez pas que ma femme est lyonnaise, commissaire ? Elle vous ferait des pieds de mouton en salade et des quenelles de brochet au gâteau de foie de volailles.
— Je vais transmettre ton invitation à M. Blanc. Tu as du nouveau à propos de l’affaire ?
— Et comment ! Le dénommé Albert Hébasque est mort assassiné, il y a un peu moins de quatre ans. On l’a retrouvé sur un parking de l’autoroute du Soleil, pas très loin d’Aix-en-Provence : deux balles de 9 en pleine poitrine.
— Voyez-vous !
— Attendez, je n’ai pas terminé. Le ou les meurtriers lui ont sectionné les parties génitales et les ont fourrées dans sa bouche !
Alors là, oui, il m’électrise, mon Précieux ! Voilà du costaud ! De l’inattendu ! En somme, ce gros golfeur est mort comme Hugues Naut, le mari de Ruth Booz, à Beyrouth. Sauf que le premier a eu la gorge sectionnée et le second a eu droit à deux méchantes bastos dans la caisse d’horloge ; mais l’un et l’autre sont morts sur un parking ; l’un et l’autre ont eu les burnes coupées et placées dans la clape ! Pas banal, comme détail !
— Encore besoin de toi, Mathias.
— Je suis à vos ordres, commissaire.
— Fais fonctionner les ordinateurs à bloc, mon pote, chauffe-les à blanc si besoin, entre en liaison avec Interpol. Je veux savoir si d’autres personnes, en France ou à l’étranger, ont eu les claouis sectionnées après avoir été assassinées. Compris ?
— Je mobilise tout le monde !
— C’est cela. Donne-moi auparavant l’adresse de feu Albert Hébasque.
Le Rouquemoute me rit au tympan.
— C’est amusant, patron : il habitait à deux pas de chez vous, à Saint-Cloud, rue du Général Pirqueçat, Villa Shako[14].
— Je vais pouvoir enquêter en pantoufles, rigolé-je de bon matin (car chez moi on aime rigoler tôt, comme disait Verdi). Ah ! une dernière chose, grand. D’urgence, il faut que tu me procures une photo…
Bon, le ciel est redevenu bleu pour tous, hormis pour Béru qui se remet mal de s’être laissé arnaquer par Pâquerette. Que, soit dit en passant, je ne l’aurais pas cru comme ça, cette pétasse. Cambrioler un flic, faut le faire ! Probable que la troussée subie lui laissait présager l’impunité. Le sac de son logement a dû l’épouvanter. Elle a décidé de s’esbigner pour se fondre dans la nature, mam’zelle. Pour cela il lui fallait un minimum de blé, alors elle a secoué le premier prunier à sa portée !
— Tu ne prends pas le petit déjeuner avant de sortir ? s’inquiète maman. Je viens d’acheter des croissants tout chauds.