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Gagné ! Elle décrispe.

— Oui, ils sont là au complet, mes chers chéris.

— Cela doit vous faire bizarre de les avoir tous en même temps, alors qu’ils se sont succédé dans votre vie ?

— En effet, c’est émouvant. Ils furent certes différents, mais ils eurent l’amour que je leur vouais comme dénominateur commun.

— Comme cela est joliment dit, madame.

Je montre les feuillets sur le bureau.

— Je parie que vous êtes romancière ?

— Quelle horreur ! Moi ! un roman ! cette friandise pour midinettes ! Non, je suis historienne, commissaire. J’écris un livre qui s’intitulera Les Enfants de Judas, livre dans lequel je règle pas mal de comptes…

— Je ne manquerai pas de l’acheter dès qu’il sortira, madame.

Elle me sourit et murmure : « Merci. » Et ma pomme, je retends la sébile, aussi sec.

— Avez-vous connu un certain Hugues Naut ?

— Le banquier ?

Allez, luia ! Allez, luia ! Allez !.. Elle connaît (ou plutôt connaissait) Hugues Naut, la chérie, la merveilleuse carabosse, la vieille saucisse, la vieille facho, la poire blette. Elle connaît l’homme qui, comme son bonhomme, a été refroidi sur un parking et auquel, comme à son bonhomme, des petits grincheux ont coupé les couilles !

Je l’embrasserais ! Dans le dos et par-dessus sa robe pour ne pas gerber.

— Parlez-moi de lui…

— Il était très lié avec mon mari pendant la guerre. Ils se sont fréquentés un certain temps encore, et puis nous nous sommes perdus de vue. Ce sont les caprices de l’existence.

— Vous savez qu’il est mort ?

— Non, je l’ignorais.

— On l’a assassiné sur un parking а Beyrouth, en 73.

— Oh ! Seigneur, lui aussi !

— Oui, madame, lui aussi. Et il a eu les parties génitales sectionnées.

Elle devient comme un lit vide, la dame. Ses mains se mettent à trembler kif si elle tenait un marteau-piqueur en action.

— Comme pour Robert…

— Rectification, c’est Robert Hébasque qui a été traité comme lui une douzaine d’années plus tard. Vous n’aviez pas eu connaissance de la chose à l’époque ? Les journaux ont bien dû en parler !

— Au début des années 70, nous voyagions beaucoup, Robert et moi, l’affaire se sera produite au cours d’une de nos croisières. Ce que vous m’apprenez me terrifie. Vous pensez qu’il y aurait une corrélation entre les deux assassinats ?

— Cela paraît évident. Quelque temps avant sa mort, votre mari a-t-il reçu des menaces ?

— Absolument pas.

— Il est mort près d’Aix-en-Provence, que faisait-il dans cette région ?

— Il se rendait à Nice pour affairés.

— Vous connaissiez le client qu’il allait voir ?

— Non. Mais je ne m’occupais jamais de son travail.

Ça bavasse encore, ceci, cela. Faut bien mouiller la meule. Et puis je lui balance THE question, celle qui me turlubite depuis un moment :

— Madame Hébasque, vous me dites que votre défunt et Hugues Naut étaient très liés pendant la guerre, savez-vous s’ils ont eu une attitude pro-allemande ?

Elle soutient mon regard avec du défi plein sa prunelle, si fort qu’il éclabousse la pièce comme le phare du cap Gris-Nez éclabousse les falaises de son faisceau impétueux.

— Ce n’est pas impossible : mon époux tenait pour l’ordre et les grandes vertus.

Ben voyons…

— Des… tracasseries à la Libération ?

— Aucune.

— C’est surprenant. En général, tous les gens qui ont affiché leur sympathie pour l’occupant ont eu à s’en expliquer par la suite.

Son sourire contient une bonne dose d’acide « prussique ».

— Ce qui donnerait à penser que mon pauvre Robert savait s’entourer de précautions, glousse la dame.

— Oui, probablement, conviens-je.

Je lui prends le congé et retourne chez ma mère. Une mélopée africaine, soutenue au tam-tam, m’y accueille. C’est M. Blanc qui chante à ma vieille un hymne qu’il vient de composer à son intention. Il est assis au bord d’un tabouret, serrant un chaudron entre ses genoux dont il martèle le cul frénétiquement. Les paroles de sa chanson sont trop belles pour que je ne t’en fasse pas profiter. Les voici in extenso, comme disent les Anglais quand ils causent latin. Le développement est un peu lent, mais les rimes sont d’une richesse totale :

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie

Madame Félicie…

Je prends place autour de la table, le plus délicatement possible pour ne pas troubler cet hommage émouvant. M’man a les larmes aux yeux.

On attend comme ça trente-cinq minutes et Jérémie s’interrompt, pile avant qu’on le flingue à coups de pétard, tant tellement nos nerfs sortent de leurs gaines.

— C’est badour comme du Mozart, déclare le Gros.

M’man embrasse Jérémie pour lui témoigner sa reconnaissance.

— V’s’ êtes sûre qu’y n’ déteint pas ? plaisante Sa Majesté.

M. Blanc lui sourit grand comme la scène de l’Olympia. Enhardi, le Mahousse poursuit :

— Técolle, tu bouffes jamais de chocolat, hein ? Sinon tu t’ mordrais les doigts !

Re-rires plantureux de l’infâme.

— Et toi, tu te regardes jamais dans une glace, sinon tu te buterais, hein, Gros Lard ?

Pour lors, I’Hénorme perd sa musicalité d’ âme.

— J’ t’en prille, Blanche-Neige, provoque-moi pas. C’est pas parce que tu donnes un concert av’c une cass’role qu’ tu peux t’ permett’ des prévôtés envers un n’haut fonctionnaire.

Jérémie lui présente le chaudron :

— Essaie donc d’en faire autant, Sac-à-merde !

Béru lui pose la main sur l’épaule :

— Écoute, Noirpiot, y a un’ chose dont j’aimerais que tu suces : les chaudrons, moi, c’est pas d’ la musique que j’ fais av’c, mais du pot-au-feu. Tiens-te-le pour dix.

LES GRANDS MOYENS

Il est fidèle dans son genre, Achille. II change souvent de maîtresse, mais il les affuble toutes du même sobriquet : « Zouzou ». De la sorte, il évite les pernicieux lapsus, le Dabe ; les étourderies funestes qui te font donner un autre prénom que le sien à la personne que tu honores de tes bas morceaux. Vagir « Oh ! Germaine, je pars, je pars » à une nana qui s’appelle Mauricette, n’a jamais mis beaucoup de liant dans des relations sexuelles, faut conviendre. Tu sais comme elles vétillent pour des riens, ces dames. Prennent la mouche à tout propos. Les cheftaines de la maliniterprétance, ces jolies gueuses !

Il vient de me mander à son de trompe et à corps et а cric ! Illico presto, faut que je me rende à son appel. Le brigadier Poilala, avec sa tête de canard chauve et sa moustache en jet d’arroseuse municipale, m’introduit rapidos, à la volée. Il me guignait depuis le palier. M’apercevant il m’a exhorté pour que je monte six à six aulieu de quatre à quatre, lambin que j’étais. Quand Vieux a sa nervouze, il la communique à toute la crèche. Y a de l’électraque en suspension dans la Maison Poupoule.

— Vite, monsieur le commissaire, « il » ne tient plus en place.