Déjà il toque à la lourde pendant que j’accomplis l’ultime rush. M’ouvre, m’annonce, se retire à demi pour me laisser entrer.
Trois personnes sont laguche : le Dabe, œuf corse, la MIle Zouzou en cours et le commissaire Levenin.
Mon regard s’attarde sur la fille. J’y peux que dalle, c’est ma nature. Tiens, il l’a choisie brune, cette fois. D’ordinaire il donne dans la blonde platinée Marilyn, long châssis, style chochote-dugland, voix et gestes languissants, genre lévrier afghan. Sa nouvelle est très bistre, née native des îles, je suppose. Des yeux étincelants, une bouche charnue et rouge comme celles peintes par Man Ray.
Pas grande, mais moulée sortilège ! Je la devine au plumard, Zouzou number X, frétillante, grouillante à elle seule. Un boisseau de chattounes à se farcir ! Des chaleurs plein partout ! Riche d’initiatives prodigieuses. Dans un regard j’apprends tout d’elle, de la manière dont elle doit bien étrécir son obturateur autour de ton frangin Popaul quand tu l’embroques. Essentiel, le coup du manchon. Ça te happe ! Y a que les reines du radada à réussir cette rare manœuvre.
Mon collègue Levenin, alors là, c’est la statue du faux cul exécutée par Maillot. De Funès dans Harpagon ! Mielleux, fielleux, suintant ! Quelque part, il me fait honte à l’humanité, ce salingue. Je devine qu’il a dû en tartiner long comme un discours de congressiste à mon propos. Me brosser un papier sévère. Noircir mon personnage à l’encre de Chine.
— Mademoiselle, messieurs, salué-je d’un ton que je cherche à enjouer.
Le Vieux, c’est le méchant condor des Andes perché sur la branche haute d’un arbre calciné. Il a l’œil engoncé, la bouche passée à l’astringent. Pour commencer, il reste glacé, enfrileusé par une gigantesque colère.
Je m’avance dans la goguenardise torve de mon homologue. Je donnerais dix ans de ta vie pour pouvoir l’allonger d’un taquet au bouc. Le voir étalé sur la moquette râpée du boss, bras en croix, gueule ouverte.
— Vous m’avez mandé, monsieur le directeur ? que je parviens à gazouiller comme un bengali en cage.
La réponse tarde. Quand Achille articule, ça fait comme lorsque tu étales de la mélasse sur une tranche de pain : c’est mou, visqueux, gluant.
— Vous savez pourquoi ? murmure le Vioque.
Je lui vote un grand rire tranche d’orange.
— La présence ici de mon éminent confrère Levenin me le fait deviner.
— Ainsi donc, vous assassinez les gens, maintenant, commissaire ?
— En service commandé, cela m’arrive, hélas.
— Qui vous a commandé d’aller trucider chez elle une paisible personne nommée…
Il parcourt le rapport de l’Infect…
— Ruth Booz ?
— Si vous consultez le Petit Larousse dans lequel j’ai l’honneur de figurer, à la page 1037, vous trouverez la définition du verbe trucider. II y est dit « massacrer, tuer ». Je ne crois pas que rien de tel ne se soit produit.
— Si, monsieur le commissaire ! Une telle chose s’est produite : la dame est décédée voici une heure des suites de son opération.
Un frisson me glace viande et os, moelle comprise.
Morte !
Putain, cette béchamel ! Si ça cacate pour tout de bon, il va la sentir glisser, M. Blanc !
Je regarde Levenin qui ne peut se retenir de sourire. Lui, parole, je me le payerai tout de suite après ce bigntz. Je crois que je l’énucléerai juste avec mes pouces, et qu’ensuite je lui ferai bouffer ses dents. Allons, Sana, redresse ta tête altière ! Tu vas pas te laisser fabriquer par un bilieux ?
— Puis-je vous parler en tête à tête, monsieur le directeur ?
— Non ! Je n’ai rien à cacher au commissaire Levenin, non plus qu’à Mlle Zouzou que je compte engager comme… collaboratrice.
Le vieux chéri. Le vieux beau ! Le vieux con !
— Moi si, je rétorque. En ce cas, permettez-moi de me retirer.
— Non !
— Puisque vous ne me le permettez pas, je me le permets moi-même ; mes respects, monsieur le directeur !
A gauche, gauche ! En ahant harche !
— San-Antonio, sacrée bourrique !
Voilà qu’il paume le contrôle de son self, l’ancêtre au crâne d’œuf.
Je stoppe.
— Vous me parlez, monsieur le directeur ?
— Je veux vous entendre !
— Je ne demande qu’à être entendu de vous, mais de vous seul.
Ce lèche-cul-pas-torché de Levenin susurre :
— Si vous le jugez bon, je peux sortir, monsieur le directeur.
— Pas question, mon cher ami. Il ferait beau voir qu’un homme de votre valeur cède le pas devant cette espèce d’aventurier qui déshonore notre glorieuse maison. Restez, restez ! Voulez-vous un doigt de whisky ? J’ai du pur malt, vingt-cinq ans d’âge, distillé à mon intention par l’oncle de mon chauffeur anglais, lequel à des origines écossaises.
Quel sac de couilleries, cet Achille ! Vieux nœud, va ! La Bruyère a dû s’inspirer de lui pour décrire certains de ses caractères (je préfère d’ailleurs ceux de Gutenberg).
La situasse me paraît confusément bloquée. Et pas débloquable si chacun entend préserver son honneur personnel, cette allumette humide.
Un silence. C’est miss Zouzou qui le rompt.
— Puisque je suis votre collaboratrice, monsieur le directeur, trille cette adorable créature, peut-être puis-je entendre le commissaire San-Antonio en vos lieu et place, s’il y consent toutefois, après quoi je vous ferai un rapport très succinct de notre conversation ; cela ménagerait toutes les susceptibilités, n’est-ce pas ?
— Ce sera avec plaisir, mademoiselle, m’empressé-je de rétorquer.
Le Vieux indécise. Mais ce daim mité n’ose rien refuser à ses poulettes et il finit par consentir d’un acquiescement un peu gourmé. Soit dit entre le front de mer et celui des troupes, elle est drôlement hardie, la brunette. Se substituer au grand dirlo, faut pas avoir les oreillons !
— Passez dans mon méditorium, grogne le Dabe en allant ouvrir une petite porte qu’il n’ouvre jamais aux gens de la Maison et qui donne sur un salon de repos. il appelle ce lieu méditorium, non sans emphase. Moi, je le qualifierais plus simplement de baisodrome, au vu du large canapé où s’empilent des coussins onctueux, et de l’éclairage extrêmement tamisé, sans parler de la petite salle d’eau attenante.
Miracle ! De l’intérieur, la lourde est munie d’un coquinet verrou de cuivre ouvragé. Que je tire une fois entré.
Et alors, bon, on se trouve un instant indécis avant que je la prenne dans mes bras pour la pelle de l’amitié. Sa bouche (à moins que ce ne soit son rouge à lèvres) a un goût de fraise des bois.
Je ne sais pas ce qu’elles ont, les grognasses du vieux, sitôt qu’elles m’avisent elles me convoitent et me vident les burnes. On doit être complémentaires, Achille et moi. Il rabat les gonzesses avec sa Rolls et ses manières Grand Siècle, et c’est ma pomme qui les comble. Il me sert tout à la fois de fournisseur et de repoussoir. La vie est harmonieuse, non ? Ça doit faire la quatre ou cinquième « Mlle Zouzou » que je m’appuie à sa santé. Cézigue, il palabre, il frime, caresse, se laisse mâcher ; mais le chevalier de Bitauvent s’annonce, décoche son regard coquin, dégaine sa Durandal surtrempée, et doc ! il finit ces beautés !
Le baiser prolongé nous allume. Faut éteindre, maintenant.
Un qui doit baver des plaques d’égouts, c’est Levenin ! Me connaissant comme il, tu parles qu’il sait que je vais tremper le biscuit superbement, à sa santé, l’affreux moche !
Mlle Zouzou est déjà sur le divan, s’est déjupée en un tourne-d’œil ou un clin de main. Dessous, la féerie inespérée : slip de cinq centimètres carrés, porte-jarretelles, bas fumés. Avec une chaglatte fleurant bon le pain chaud et l’eau de toilette.