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Moi, franchement, je ne peux pas lui donner tort. Elle a sa dignité, non ?

Une fois dans notre palace, on allume la loupiote. Béru s’étrille le râtelier encombré de poils de cul.

— Belle aubaine que cette personne, nous révèle-t-il, mais Dieu de Dieu, j’avais la sensation de bouffer un matelas de crin.

Ce qu’il y a de pratique avec les fausses ratiches, c’est que tu peux te briquer le damier à tête reposée, sans avoir à se décrocher la mâchoire non plus qu’à te contorsionner devant une glace.

Le Gros, très allumé par ses récentes prouesses, tient à en assurer le reportage intégral.

— Les rombières du Nord, déclare-t-il, c’t’ à s’demander si on perd pas not’ temps à vouloir leur fignoler des séances ravageuses ; j’ai r’marqué qu’en définitif, y a vraiment qu’ l’ coup de tringle qui les intéresse. Les agaceries, ça leur chatouille plutôt et é s’ marrent comme des pastèques entamées, ces vieux trumeaux. La minouche chantée, le finger dans l’œil de bronze, le piston dans les nichemars, c’est peine perdue. C’qu’é veuillent, c’est du paf ; la bonne emplâtrée des familles ! Leurs vieux crabes les ont dressées ainsi et tu peux pas r’venir cont’ l’ataviste.

Il achève de désherber son jeu de dominos, le fourbit contre son coude, ce qui est sa manière de se brosser les dents, et replace son concasseur sur sa rampe de lancement.

Moi, je guigne en loucedé M. Blanc. Il est fait pour la Rousse, Jérémie. Je retrouve en lui cette jubilation secrète, réfrénée, qui est la mienne parfois lorsque j’ai découvert des choses bandantes et que je retarde l’instant de les annoncer. Un vice.

Le Mammouth ayant enfin achevé ses simagrées, je me tourne vers mon sombre copain.

— Alors, grand, cette balade nocturne ?

— Intéressante.

— Tu t’affales, ou tu nous l’écriras pendant tes prochaines vacances au Sénégal ?

Il se marre.

— Je m’attendais pas à trouver ce que j’ai trouvé, mon vieux.

— C’est ça, le pied, dans notre job, tu piges ? Tu poses une ligne de fond à brochet et t’attrapes un espadon.

Il redevient sérieux et opine.

— Ouais, mon vieux, ça m’ouvre des horizons. Je crois que c’est plus mouillant comme job que balayeur. Piloter des étrons et des Tampax usagés jusqu’au caniveau, ça grise moins que de dénicher des choses que tu ne soupçonnais pas.

Bérurier, que mon intérêt pour Jérémie ulcère, grogne :

— Slave étant dit, apprends à esposer les faits d’un ton suce sein, mon pote ! Causer par zébus, ça te pompe vite l’air et ça perd du temps. Quand t’as le feu à ta crèche, tu compostes pas un pouème pour réciter aux pompiers, si ?

— Écoute-moi ce furoncle, mon vieux ! ricane M. Blanc. Il est jaloux. Je savais que les poulets se tiraient la bourre, mais jalminces à ce point, j’en reviens pas !

Béru lui répond par un pet d’une violence inouïe qui fait sauter l’un des piquets de la tente.

— La voix de son âme ! plaisante Jérémie.

Néanmoins, il juge qu’il m’a fait suffisamment languir comme cela et expose :

— Bon, y a la grande baraque de pierres. Sur la droite, face à nous, tu as un hangar pour les bagnoles, O.K. ?

— Je sais.

— Derrière le hangar, tu as dû remarquer une sorte de petite cahute carrée, de trois mètres sur trois, au toit d’ardoise, avec une girouette sur le sommet ?

— En effet.

— Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu l’idée d’y pénétrer.

— Moi, je sais. Cela s’appelle le flair, Noirpiot. On a des curiosités inexplicables, des impulsions. Alors, donc, tu y es entré ? Qu’as-tu trouvé à l’intérieur ?

— Rien.

— Mais encore ?

— C’est absolument vide.

— Et c’est ça ta grande trouvaille, Mâchuré ? pouffe le Patapaf. Il a trouvé du vide, Césarin ! C’est Chère-loque-omelette, en personne, cézigus pâteux !

Regard flétrisseur de Jérémie. Il murmure :

— Ça fait combien de siècles que tu supportes ce gros moulin à connerie, vieux ? Tu agis par esprit de mortification ou pour t’en servir de repoussoir, dis-moi ?

— Sors dehors, que j’ te rent’ dedans ! aboie le Furax, chauffé au rouge. J’ te préviens, Tonio, tu prendrerais ce nègre dans not’ équipe, qu’aussi sec j’ demande le divorce, toi et moi.

— Donne-lui sa pâtée qu’il ferme sa gueule ! jette M. Blanc. Ou alors tente de lui expliquer, si tu parles son langage, que le nègre, ici, c’est lui.

M’est avis que les rapports risquent d’être tendus et ces messieurs continuent de se regarder en chien de ma chienne de faïence.

— Bon, soupiré-je, termine ton histoire, monsieur Blanc, et ensuite vous irez vous flanquer une toise, je pense que c’est la seule manière d’en finir avec votre stupide antagonisme.

— J’allais ressortir de ce petit pavillon, poursuit Jérémie, lorsque j’ai constaté que ça sonnait le creux quand je foulais le plancher. L’ayant examiné à l’aide de ma lampe électrique, j’ai vu qu’il se composait d’une double trappe. J’ai soulevé l’un des panneaux, un escalier de fer est alors apparu. J’ai soulevé la seconde partie de la trappe afin de pouvoir descendre. C’était vachement profond. Un vrai puits sans fin. J’ai mis au moins dix minutes pour arriver en bas ; quant aux marches, à la tienne ! Presque une échelle. Elles sont étroites, humides, glissantes, faut se cramponner ferme а la rampe. Une fois en bas, j’ai constaté qu’on arrivait dans de la flotte. Attends, donne un papier et un crayon, tu vas mieux piger, poulet !

Ayant obtenu satisfaction, il trace à gros traits un topo de sa découverte. II se révèle que le puits à l’escalier débouche dans un tunnel envahi par la mer à marée haute. D’un côté, il descend vers le large, de l’autre, il va en pente ascendante jusqu’à une sorte de grotte naturelle que la mer, même à marée haute, ne peut inonder. Elle coupe seulement l’accès. De plus, à l’entrée de ladite grotte, il y a une grille en fer.

Jérémie n’a pu aller jusqu’à elle, le niveau de l’eau le lui interdisant. Toutefois, il a pu constater deux choses : une chaîne cadenassée maintient la grille fermée, et des hommes sont prisonniers de la grotte. Il les a entendus se parler. Quand ils ont distingué la lumière de sa lampe électrique, ils se sont tus, comme s’ils avaient peur.

— Tu les as hélés ?

— Non, j’ai préféré venir au rapport, vieux, sans m’être autrement manifesté, peur de faire une connerie en leur parlant, tu piges ?

— Bravo ! Ton examen de passage est concluant. Et ensuite, qu’as-tu fait ?

— Je me suis rapatrié après avoir remis les panneaux de la trappe en place.

— Parfait. Cela s’appelle un sans-faute, mon drôlet.

Il hoche la tête.

— Et toi, pendant ce temps, tu t’es tiré la Hollandaise, hein ?

— Quelle idée ?

— Voilà sa pince à cheveux, sans parler de son vieux qui renaudait comme un follingue. Ce que vous êtes gorets, Seigneur, tous les deux ! Mais y a donc que votre putain de biroute qui compte ?

— Y a ça en feurste, admet Bérurier, ensuite y a nos couilles, mon pote. Et comme tu me les casses, je vais te cirer la gueule un bon coup pour t’apprendre à viv’.

LES FAUVES

Fallait que ça arrive, que veux-tu.

Ils me rappellent les garnements qui se cherchent et finissent par se trouver. Je me rappelle avec mon cousin Dédé. Quand nos parents passaient le véquende ensemble. Le samedi matin, ça boumait fort, les deux, tant on était contents de se retrouver. On jouait à des trucs, on se montrait notre bite. Comme j’avais la plus grosse, il commençait à faire la gueule, Dédé. Ça le défrisait son gnocchi bigornard avec plein de peau au bout qu’en finissait pas, comparé à mon bath joufflu épanoui, pimpant de partout et casqué fallait voir, style armée suisse. Ça le plongeait dans des maussaderies, des aigreurs, des jalousies torves. Il commençait par me chipoter sur les résultats scolaires, l’apôtre, ses dictées se révélant hautement plus performantes que les miennes ! On s’engageait doucettement sur la pente des perfidies. La bougrerie nous emparait. Les méchanceries suivaient. Y avait des turbulences dans nos rapports. Il me faisait chier avec son quart de faute en dictée, alors que je me payais des dix douze fautes à la demi-page ! Les accords participeux, tu peux me dire ce que j’en avais à foutre, l’aminche ? N’empêche que, tout compte fait, je préférais déballer un beau paf opérationnel. Je pressentais qu’il me serait plus utile que l’orthographe, un jour, sans d’ailleurs trop comprendre pourquoi. Avec un dico et une grammaire, tu t’en sors vaille que vaille, mais un bistougnet fripé, ça, c’est irrémédiable. Alors le ton montait. Sentant accourir les orages, nos ancêtres nous prévenaient que « jeux de mains, jeux de vilains » et que ça allait mal tourner. On renfrognait. On passait outre. Et puis la première mandale partait au débotté, en cours de phrase : vlan ! On se mettait à pugilater mochement, tronche et ongles, coups de genou, roulades, prises sauvages. Le combat des chefs, ça oui ! L’empoignade féroce. On voyait pourpre, on était asphyxiés par les haïssures.