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Donc, énorme cadenas.

Nous prenons pied sur un entablement rectifié au ciment. On essaie de sectionner la boucle dudit cadenas à la cisaille, mais ouichtre, comme disent les Auverpiots ! Alors, la scie ! On l’attaque à mort. Je tiens la serrure mobile[19] pendant que Jérémie l’entreprend avec la lame.

Et c’est alors qu’un bruit retentit venant des hauteurs ! Des gens descendent un escadrin de fer. Ils causent en dévalant.

— Prenez garde, les marches sont très étroites ! avertit un homme.

— Ne vous inquiétez pas ! retourne un autre monsieur.

— Il est vrai que vous êtes sportif ! fait la première voix qui semble appartenir à un être déjà ébréché par le temps et une accumulation de tiers provisionnels.

La vraie caravane ! Là encore, la sonorité des lieux multiplie les sons, les rend pompeux comme des bruits d’église.

Jérémie a déjà éteint le projo.

— Écartons-nous de la grille ! je lui dis-je dans un souffle.

Je claque de plus en plus des chaules, moi. Dis, c’est pas joyce de macérer dans de l’eau souterraine !

Nous nous éloignons le plus silencieusement de notre mieux, comme dirait le Gravos, jusqu’à un piton rocheux que j’ai vaguement distingué en refaisant surface et qui se dresse, tels ceux qui rendent la baie de Rio inoubliable, non loin de la grille. On se planque derrière, le noirpiot et moi et, réduits aux aguets, on se met à guigner la suite des événements.

Bientôt la clarté se fait à l’arrivée du puits. Un groupe surgit, nanti de loupiotes en tout genre. II se compose de quatre personnes. Chacune d’elles est équipée d’une lampe frontale de mineur. Celle qui ouvrait la marche a en outre un fort projo arrimé sur sa poitrine par une dragonne. Ce petit monde est chaussé de cuissardes.

Sont présents par ordre d’arrivée : un homme jeune (celui qui trimbale le projecteur supplémentaire et qui coltine en outre une espèce de musette en toile cirée à l’épaule), puis un type d’une soixantaine d’années, vieux et massif, puis un troisième homme élégant, bien découplé comme il est dit dans les books de la collection Guignolet, vêtu d’un costume de chez Cerruti que ses bottes montantes rendent vachement anachronique. Il porte même une cravate, c’est te dire ! Une femme ferme la marche ; plus très jeune, avec une dégaine de vieille Suissesse convertie à l’alpinisme. Elle est finement ridée, basanée, énergique. Ce que mon papa appelait « une maîtresse femme ».

Le vioque dit à l’élégant :

— Faites attention, monsieur Maurier, c’est très glissant. Restez contre la paroi, vous n’aurez de l’eau que jusqu’aux genoux.

C’est lui, le visiteur. L’hôte !

Maintenant, le type le plus jeune est à la grille. Il empare le cadenas, glisse une forte clé dedans et crique-craque la bistougne. Va-t-il s’apercevoir de notre début de violation sur la personne de « la serrure mobile » ? Non ! Il fait jouer la boucle, libère la chaîne, pousse la grille. Elle s’ouvre avec un grand gémissement rouillé pour films d’épouvante.

Et justement, l’élégant, celui qu’on a appelé M. Maurier, remarque d’un ton neutre où sourd son angoisse :

— J’ai l’impression de voir un film d’horreur !

Comme quoi les grandes idées sont dans l’air, hein ? Et chacun les renifle quand il a un tarbouif convenable.

Le groupe pénètre dans la geôle. Un quadruple faisceau illumine celle-ci. Ce que j’aperçois alors désoblige ma dignité humaine.

Deux hommes se trouvent enfermés dans cette grotte. En les apercevant, je me mets à penser à Louis XI, grand roi de France mais parfait salaud, qui tenait des captifs en cage dans les pires conditions en son château de Plessis-lez-Tours (Indre-et-Loire). Les deux hommes que je te cause[20] séjournent dans une cavité n’ayant pas plus d’un mètre cinquante de haut, ce qui les contraint à demeurer perpétuellement couchés, accroupis ou courbés. De plus, détail affreux, ils ne sont pas au sec car l’eau, à marée haute, submerge leur tanière d’une dizaine de centimètres. Au fond de ce trou, un jerricane (d’eau potable supposé-je). Mangent-ils ? Et quoi ? Et que deviennent leurs déjections ? Le flot fait le ménage, probable.

Mais bouge pas, attends, je t’ai pas tout dit : je connais l’un de ces deux prisonniers.

Tu veux savoir ?

Ted of London !

LES JUSTICIERS

Franchement, il n’était pas laubé, l’Anglicbe. Comme Apollon, il donnait davantage envie de gerber aux dadames qu’il ne les humectait (ôte-toi de là que je m’humecte !). Rouquin, rosâtre, tavelé, l’air fumier à foutre des cauchemars à Dracula, balafré par mes soins, c’était pas un lot à réclamer, l’artiste. Mais tu le verrais après quelques jours de détention dans ce trou à crabes, là il ferait avorter toutes les femelles vivipares de la création, à commencer par Mme Thatcher, dont mon gentil Renaud a écrit une remarquable biographie. Sa barbe rousse a poussé, il est tout tuméfié, tout égrotant, cerné, bouffi, vanné, brisé menu. Le moral en haillons, le corps en perdition. Plus du tout content de soi. Depuis mon bain de siège, je le contemple dans les clartés qui dansent autour de sa piètre personne, ajoutant une fantasmagorie sordide à cette scène de cauchemar.

Il se tient de guingois, la tête courbée, les jambes un tantinet fléchies ; déjà à bout de ressource.

L’homme qui dirige les opérations ordonne à son compagnon au projo d’éclairer l’individu.

— Voilà, monsieur Maurier, fait-il de son ton bonasse de maquignon, c’est lui !

L’élégant semble comme intimidé. Il s’approche d’un pas, regarde Ted, puis recule de deux.

La femme s’adresse au pauvre Rosbif :

— Je vous prie de raconter votre équipée de Neuilly, un matin de l’an passé.

Il a conservé son accent anglais, Ted of London. Ça donne un petit charme plaisant à sa converse, généralement. Mais là, il est à ce point démantelé que cet accent paraît pitoyable, voire même tragique.

Ses tortionnaires ont dû le « questionner » auparavant, lui faire cracher tout le morcif car il semble réciter un texte déjà dit. Ses hésitations, ses comas, sont dus à sa mémoire. Il cherche à retrouver des mots, non à retarder ses réponses.

— J’étais sans travail. J’ai rencontré un ami surnommé le « Para », qui m’a proposé un coup au domicile d’un industriel nommé Maurier qui habitait Neuilly.

Il parle… On dirait qu’il n’a pas pigé que le Maurier auquel il fait allusion est là, devant lui.

Depuis mon poste d’observation, je le contemple avec une vague commisération. Tous les hommes en mauvaise posture redeviennent plus ou moins des mêmes.

— Le Para avait eu pour copine une fille qui avait servi comme bonne chez les Maurier. Elle savait qu’il existait un coffre dans le mur, caché derrière un tableau. Il était plein de fric et de bijoux. Il m’a proposé d’aller le vider, un matin, pendant que la dame était seule. J’ai accepté. On s’est présentés à l’appartement. Y avait pas de domestique, c’est la patronne qui nous a ouvert. On l’a braquée. Puis on l’a ligotée et on lui a demandé la combinaison du coffre. Elle nous a assuré qu’elle ne la connaissait pas. On ne l’a pas crue. Alors on a secoué cette femme pour la faire avouer ; mais elle a persisté à prétendre ignorer cette combinaison…

Il se tait, oppressé. Sa voix est cassée, grumeleuse. Il claque des dents pire que moi, Teddy. Depuis des jours dans cette niche pourrie, accroupi, les pieds et le cul dans l’eau, à la tienne !

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19

Soulignons les scrupules professionnels de San-Antonio qui, pour ne pas avoir à user une troisième fois du mot cadenas, se sert de sa définition qui est « serrure mobile ». Par moments, il me flanque le vertige !

Poirot Delpech
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20

On dit : « San-Antonio, San-Antonio homme de lettres ! » Mes couilles, oui ! Quand on commet une phrase pareille, on va se cacher !

Jean-Paul Claudel