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Nous, on reste placardés derrière notre rocher, nature ! Mais comme il n’y a que cette cachette de possible, le mec s’annonce droit vers nous et contourne le piton.

Faits comme des zouaves ! In the babe, Sir ! Profoundly. Whith just un peu de vaseline, please, pour faciliter la tendresse. The love, you know ?

Dans la lumière aveuglante, je souris plus grand que l’abbé Jouvence (lequel, pour un ecclésiastique, s’est vraiment mêlé de trucs féminins qui n’avaient rien à voir avec son sacerdoce !).

Contre mauvaise fortune, hein ? Alors, soyons beaux joueurs.

— Avancez ! ordonne l’homme au projo.

J’obéis d’autant plus tout ce qu’il y a de volontiers que j’en ai ma claque de me tremper le prose dans la baille.

M. Blanc me suit comme… mon ombre (ils vont encore bramer au racisme, ces connards, toujours à l’affût de la moindre discrimination raciale comme ils disent).

On franchit la grille et, la marée commençant à rentrer chez elle, nous voici hors de l’eau, qu’ouf ! c’est pas dommage. Après t’attrapes des rhumatismes et t’as même plus la force d’arracher la queue d’une cerise.

— Salut tout le monde ! fanfaronné-je, n’ayant rien de plus urgent à branler pour l’instant.

Le vieux et sa bergère s’approchent pour me visualiser dans des conditions optimales. Puis défriment mon sombre compagnon.

— Ce sont eux, n’est-ce pas ? murmure l’homme.

— A n’en pas douter, rétorque la dame.

De près, mon aversion pour elle se renforce à la vitesse grand « V ». Pas liante, la donzelle. Capable des décisions les plus extrêmes. Un regard d’acier, des mâchoires de brochet, un nez pincé, un front étroit et bombé.

— C’est ce Noir qui a tué Ruth ! fait-elle.

— En effet, renchérit son vioque.

Et à moi :

— J’ai cru comprendre que vous apparteniez à la police française ?

— Commissaire San-Antonio.

— De quel droit êtes-vous ici, dans une propriété privée en République d’Irlande ?

— Je vous demande pardon, cette grotte ne saurait appartenir à un particulier, objecté-je. Le sous-sol est toujours le bien de l’Etat, monsieur. Et je vois que vous en disposez à des fins qui me semblent pour le moins un peu glauques.

— Vous avez tort de persifler, c’est moi qui contrôle la situation.

— Les autorités d’ici exprimeront leur sentiment sur la question.

— Ah ! vous croyez cela ?

— Parfaitement.

Il a un rire hargneux.

— Vous ne manquez pas de culot !

— C’est le propre de notre race, cher monsieur.

— Vous avez eu tort de tuer Mme Booz, tort aussi de nous harceler jusqu’ici. Puisque vous êtes venu jusqu’à cette crypte, commissaire, vous n’en sortirez plus vivant.

— La mort de Ruth Booz a été accidentelle.

— Un accident consécutif à une violation de domicile !

— Une violation de domicile justifiée par un rapt !

— Le rapt de qui ?

Je désigne Ted of London.

— De cet individu que vous avez enlevé à Montreux, au Palais du Festival, après avoir fait passer son complice le Para de vie à trépas. J’entends d’ailleurs prouver que vous avez bien d’autres meurtres sur la conscience. Vous les signez de façon bien barbare, en sectionnant les organes génitaux de vos victimes et en fourrant ceux-ci dans leur bouche.

— N’appelez pas cela des meurtres, commissaire. Ce sont des exécutions. Nous ne sommes pas des assassins mais des justiciers ! Certains criminels ne méritent même pas que leur cadavre conserve un sexe.

— Nul n’a le droit de se substituer à la Justice !

— Quand la Justice est inefficace, si ! Nous avons formé une milice ayant la vengeance pour motif. Nous rayonnons sur la France, l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique…

— Qui ça « nous » ?

— Quelques compagnons qui partagent le même point de vue. Sous l’impulsion de Ruth et avec les gros moyens dont elle disposait, nous sommes parvenus à réaliser un groupe international d’une efficacité prodigieuse. Nous fonctionnons d’une manière peut-être artisanale, mais nous obtenons des résultats auxquels vous autres, policiers, n’atteignez jamais. Croyez-moi, avec nous, justice est faite ! Justice se fait ! Justice se fera !

Tu sais qu’il a la foi, le vieux bougre ?

— Je suppose que tout cela a débuté par un règlement de compte personnel de Mme Booz, n’est-ce pas ? questionné-je.

Là, je marque un point. Il sourcille, jette un œil à sa grognasse puis hoche la tête.

— Je vois que vous savez déjà pas mal de choses, commissaire, note l’étrange bonhomme.

— Figurez-vous que je détiens un don, mon bon monsieur : ce que j’ignore, je l’invente. D’où ma réputation. Un flic sans imagination reste à taper à la machine sur une vieille « Royale » déglinguée dans un commissariat de province.

« Je vois les choses ainsi : Ruth Booz devait être apparentée à la banque Golda Goldenberg, dont tous les administrateurs moururent en déportation pendant la guerre ; tous sauf le dénommé Hugues Naut, lequel était aryen et qui devint le grand patron de cet important établissement. »

— Juste : Moïse Goldenberg était le grand-père maternel de Ruth.

— Un jour, elle décida de récupérer les biens dont sa famille avait été spoliée par ce gredin de Naut et employa pour cela le plus simple des systèmes : elle se fit épouser par lui. Ensuite, restait à accomplir la seconde partie de son programme : la vengeance. Je suppose que c’est à partir de là qu’on vous trouve dans ce qui allait devenir une organisation… d’épuration ?

Rire mystérieux du bonhomme.

— Beyrouth ! Les couilles dans la bouche de Naut !…

— Ma femme est la demi-sœur de Ruth ! explique l’homme comme si cela constituait une justification de ses actes.

— Vous avez le culte de la famille, bravo ! Après la mort du… traître, Mme Booz a décidé d’utiliser sa fortune pour continuer son œuvre vengeresse, pas vrai ?

— Puisque vous le dites…

— Alors vous avez réglé son compte à Albert Hébasque, collabo notoire, lequel avait été l’ami et le complice d’Hugues Naut pendant l’Occupe. Je suis toujours sur la bonne voie ?

— Rien à redire jusque-là.

— Après, je flotte un peu. Je suppose que vous vous étiez forgé une philosophie, sans philosophie on accepte mal ses propres crimes. L’idéal, vrai ou faux, ressenti ou feint, est un bon support pour justifier ses saloperies.

— Quoi, des saloperies ! fulmine soudain le vioque ! Nous rendons la justice !

— Écoutez, monsieur Saint Louis, vous n’expérez pas convaincre un commissaire de police que votre soi-disant milice est une entreprise de salut public, non ?

— Je ne me soucie pas de convaincre, commissaire. J’agis ! NOUS agissons ! Ce que nous avons réalisé en équipe réduite pourrait appartenir à l’histoire ! Combien de traîtres avons-nous liquidés ? Des tortionnaires nazis, des tueurs de juifs, des meurtriers sadiques comme ce type, ici présent, des terroristes impunis toujours sauvés par de honteuses tractations à l’échelle des gouvernements.

Il me désigne le compagnon de détention de Ted of London.

— Vous voyez cet homme, là ? Il s’appelle Kader Houcel. C’est lui qui a dévalisé la Poste Centrale de Chartres, abattant un caissier, et qui a posé un engin explosif dans le Passage des Masturbations, à Paris, causant la mort de cinq personnes dont une adorable fillette de huit ans ! Vos putains de service le connaissaient et auraient pu l’interpeller, comme vous dites dans votre jargon. Seulement, il y avait des intérêts dits « supérieurs » à respecter. Alors on l’a traqué pour la forme et laissé filer. Mais NOUS, commissaire, nous qui avons des couilles au cul avec la manière de nous en servir, nous l’avons retrouvé, embarqué, questionné. Il nous a tout craché sur son entreprise maudite car nous savons faire parler les gens les plus coriaces, NOUS ! Et savez-vous ce que nous avons fait, ma femme et moi ? Il y a dix jours nous avons fait sauter l’état-major de la base d’entraînement terroriste de Tripoli. Et vous voulez voir de quelle manière je le traite, ce fumier ?