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Les deux cavaliers de l’apocalypse prennent du thé avec des toasts beurre-confiture. Ils sont encore ensommeillés. La manière laborieuse dont ils clapent, leur mutisme pâteux, leurs regards qui capotent…

J’attends, évaluant les déplacements de Lola. Elle a déjà enfilé son jean et son tee-shirt représentant Donald en gros plan. Ses baskets… Voilà. Maintenant sa grosse veste de laine versicolore… Très bien. Ah ! elle allait sortir sans ses fafs ! Bon, alors son sac en bandoulière. Parée ? Conne ! Et les clés de la tire, dis ? Oui, sur le marbre de la commode. En route ! Elle attend l’ascenseur bien que nous fussions au second laitage ; mais la vie présente est basée sur la flemme, je t’apprends rien. Y a deux Japonouilles et un couple d’Anglais qui poireautent déjà. L’ascenseur a une capacité de six personnes, s’il y a déjà du trèpe dedans, compte pas sur les Japs pour te laisser la place, ma vieille ! Quant aux Rosbifs…

Ça y est, là voilà en bas. Elle va déposer la clé de notre piaule au concierge qui la gratifie d’un « Bonne journéye, mademoiselle » on ne peut plus aimable. Le parkinge dans le sous-sol. Tu vas la reconnaître, notre guinde, au moins, connasse ? Une Pigeot 205 rouge, bas de caisse noir. Là-bas, près du pilier de soutènement. Oui : près de la grosse Mercedes jaune. Inutile de t’escrimer sur la serrure je l’ai pas fermée à clé. En Suisse, on peut avoir confiance, tu penses !

Voilà, démarre. Ça tourne bien ces jolis petits moulins, hein ? La rampe ! Emballe pas le moteur comme une vachasse, bordel ! Elle me fait patiner l’embrayage, cette morue. Note qu’ils répareront tout le circus après l'emplâtrage réclamé.

La voilà qui jaillit. Elle se repère. Aperçoit les Flots bleus, là-bas. La moto bleue. Ça te fait plaisir de carnager un peu, la mère ? On a tous un peu de vandalisme qui somnole dans nos recoins. Appuie ! Je tends l’oreille. Crois percevoir le ronflement rageur de la petite tire. Coup de frein, et blaouf ! Elle a pas chialé sa peine, Lola. Et même elle a pris des risques parce que c’était pas évident de télescoper ce tas de ferraille à cette allure ! La moto valdingue sur le trottoir. Bris de verre ! Le heurt de la tôle contre toutes les biduleries de la Nagasaki est une musique que je reconnaîtrais même par téléphone.

— Nom de Dieu ! crie le copain de ma suceuse en s’élançant.

Il a renversé son thé. Ça dégouline de la table. Sa môme n’a pas bien réalisé le topo. Elle regarde à l’extérieur, hésite à sortir, se lève à demi…

— Non, laisse-les se débrouiller, chérie, je lui fais en m’asseyant en face d’elle à la place qu’occupait son compagnon.

Dans sa combinaison de cuir, elle ressemble à une otarie. Sa tignasse en brosse n’a pas été gominée et mollasse sur sa tête à demi rasée. Je remarque qu’elle a deux gros grains de beauté sur la frime. L’un au menton, l’autre près de la narine droite. Ça fait comme deux boutons pression. A la lumière du jour, on se rend compte que si elle ne se mutilait pas avec ses punk-simagrées, elle serait pas plus locdue qu’une autre.

Mon arrivée intempestive ne la trouble pas outre mesure. Il lui reste beaucoup de son maquillage de la veille. Pas très soignée, la môme. Les fonds de teint se sont délayés, ça forme sur sa petite gueule comme des ecchymoses verdâtres virant au bleu.

Je tire de ma vague le mouchoir utilisé comme papier а lettres.

— J’ai bien trouvé votre bafouille, fais-je. Merci, facteur.

Elle sourit.

— Vous êtes pas fâché ?

— Non, pourquoi ?

— Y a pas de conneries écrites dessus ?

— Vous n’avez pas lu ?

— Comment je pourrais ? Je cause aucune langue étrangère. C’est de l’anglais, non ?

Le plus fort c’est qu’elle semble sincère. Ses yeux barbouillés contiennent toute la candeur du monde, plus une partie de la candeur lunaire.

— Expliquez-moi un peu pourquoi vous m’avez collé ce tire-gomme dans le slip, ma jolie.

Elle pouffe.

— C’est un gage.

— Comment ça ?

— Une copine à moi m’a mise au défi de placer ce mouchoir dans votre slip avant la fin du spectacle.

— Oh ! bon, et moi qui croyais que votre indicible pipe résultait d’un coup de cœur !

Elle me cligne de l’œil.

— Je dis pas que ç’a été désagréable ; un braque comme le vôtre, on n’en pompe pas tous les jours.

Elle regarde а l’extérieur où son julot invective ma pauvre Lola à s’en faire craquer les cordes vocales.

— Il est teigneux, note-t-elle ; sa moto, c’est sacré. Soyez gentil ne restez pas à ma table, sinon il risque de piquer sa crise. Y a pas plus jalmince que Karim.

— Et vous, quel est votre nom ?

— On m’appelle Mandoline.

— Et l’état civil vous appelle comment, lui ?

— Quelle importance ? Vous voulez pas m’épouser ?

— Pas aujourd’hui, non, j’ai des rendez-vous d’affaires. La copine qui vous a donné ce gage qui fut si divin pour moi, c’est quoi, son blaze ?

— Décidément, vous voulez tout savoir !

— Tout, non : juste l’essentiel. Alors ?

— Elle, c’est Pâquerette.

— Je veux sa véritable identité.

— A cause du mouchoir ?

— Peut-être.

— Y a des conneries de marquées dessus ?

— J’espère. Si vous ne répondez pas, c’est à votre grand plumeau que je vais poser la question.

— Holà ! doucement, vous fâchez pas. Pâquerette, son vrai nom, c’est Mathilde Ralousse.

— Vous êtes français, dans votre équipe ?

— A part Karim qu’est un Beur.

— Vous venez de Paname ?

— Bien sûr ! 18, rue Maurice-Rheims, а Vanves.

— Et où créchez-vous а Montreux ?

— On s’entasse chez un pote à Karim qui est plongeur dans un restaurant d’ici.

— Il s’appelle comment et il habite où ?

Elle explose.

— Vous en faites des histoires, juste pour une toute petite blague ! Elle était bidon, ma pipe ? Non, hein ? Je vous ai fignolé complet ; vous pourriez m’en être un tout petit peu reconnaissant, non ?

— Le nom du plongeur et son adresse ! fais-je en lui bichant le corsage à pleine main et en la foudroyant d’un regard qui flanquerait des tics au docteur Petiot.

— Mohamed Loubji, 15, rue Terrasse-Fleurie. Vous, alors, vous exagérez.

— Ton Karim, il n’assistait pas au spectacle, hier soir ?

— Vous pensez bien que non. Il est arrivé tôt ce matin, moi je suis venue avec Pâquerette et son copain, en bagnole.

— Où est-elle, ta Pâquerette, en ce moment ?

— Elle roupille ; on s’est vagués à cinq plombes.

— Et vous allez où, Karim et toi ?

— On buvait un jus avant d’aller tirer un coup en campagne. Il adore limer dans les forêts.

— C’est un bucolique ?

— Faites gaffe, le v’là.

Je retourne à ma table, perplexe en plein. Cette gamine me bidonne-t-elle ou pas ? Son histoire du gage, c’est trop con pour être inventé.

Peut-être que je pourrais aller dire bonjour à Pâquerette, tu ne crois pas ?

— J’ai cru qu’il allait me mettre une avoinée, ce sale con ! fulmine Lola un peu plus tard ; sa bécane il la vénère mille fois plus que sa mère.

— Elle a beaucoup de dégâts ?

— Le carénage qui est meurtri, le guidon faussé, le porte-bagages écrasé ; je te répète ce qu’il a dit. Mais il n’a pas fait de difficultés pour établir le constat. Au contraire, c’est lui qui voulait qu’on appelle les flics.

— Et tu l’as fait renoncer ?

— Je lui ai fait remarquer que nous étions domiciliés en France, lui et moi, et qu’on n’avait pas besoin des poulets suisses pour régler une banale histoire d’assurance. Il a fini par en convenir.