— Salut, bouffie, la salue-je galamment ; sois gentille : cache ta triperie ! Le matin, les abats me portent au cœur !
Elle relève un bout de drap qui traînait par là sur sa poitrine gélatineuse.
Une docile. Plutôt une soumise. La môme idéale pour devenir pute professionnelle. Elle se trouve dans l’antichambre de la prostitution, Pâquerette. Un pas de plus et elle met le pied dedans, comme toi dans une merde quand tu vas acheter le journal.
— Donc, reviens-je à Ted, il s’agit d’une blague ? Tu m’as vu à la Rose d’Or. Tu te dis : « Tiens, ce salaud de flic à qui je dois la belle cicatrice qui ajoute tant à mon charme, prend du bon temps avec une gerce, je vais lui jouer un tour ». Tu tires ton mouchoir, tu écris ce message mystérieux et inquiétant. Tu charges ta rombiasse de me le faire tenir sans m’alerter. Cette grosse charrette, pas sûre d’elle, transmet le flambeau à la copine délurée qui vous accompagne. Et, effectivement, ta babille sur fil d’Écosse arrive à bon port. O.K. ? C’est la version qu'on enregistre, tout est bon, y a pas de virgule à changer dans le texte ?
— C’est l’exacte vérité ! répond Ted of London avec son léger accent.
— Bon, O.K., alors saboulez-vous, les deux, et suivez-moi.
— Où ça ?
— Jusqu’à mon hôtel, c’est plus confortable qu’ici.
— Pour y faire quoi ? s’inquiète Ted.
— Pas une partouze, rassure-toi, ton brancard me ferait dégoder. Faut être english pour pouvoir s’embourber ce catafalque de bidoche pas nette !
J’ai débité la dernière réplique en anglais, pas désobliger la grosse. Tu connais ma galanterie légendaire ?
Le couple se lève, sans trop de pudeur, et se loque avec mornitude. Ted est blafard sous sa rouquinerie. Il a des cils de porc, comme ceux dont se servent les artistes chinois pour peindre sur un grain de riz la conquête de Pékin par les Mandchous en 1644. En passant son jean, je le vois qui en palpe les vagues.
— Non, tu ne l’as pas perdu, lui fais-je ; c’est moi qui l’ai.
Il renfrogne et ne pipe plus.
Une qui ouvre des vasistas grand comme l’entrée principale de Saint-Pierre de Rome en nous voyant radiner tous les trois, c’est ma miss Lola.
Elle me questionne du regard.
Et moi, pas la laisser dépérir de curieusance :
— Ce sont les amis qui m’ont carré dans la braguette le message que tu sais !
Du coup, la v’là qu’ébullitionne. Elle louche sur Pâquerette.
— C’est cette morue qui t’a pompé ?
— Non, une de ses amies beaucoup plus souple.
— Et on va faire quoi ?
— Commander à bouffer, ils ont un room service а l’hôtel. J’ai lu le menu dans l’ascenseur, je serais assez pour de la viande des grisons et des filets de perche meunière, pas vous, mes amis ? C’est bon et léger pour le déjeuner. Ça ne vous abîme pas l’après-midi. Un coup de fendant pour arroser le tout et nous serons en pleine forme pour faire quelques parties de rami dans l’après-midi.
Lola pige de moins en moins.
— On va passer notre vie avec ces gens-là ! s’indigne-t-elle.
— Non, rassure-toi. On reste ensemble jusqu’au spectacle de ce soir. Nous irons à la Rose d’Or tous les quatre ; et ensuite, si nous sommes encore vivants, nous nous séparerons. O.K., Teddy ?
Il me regarde et hausse les épaules.
— Comme vous voudrez, commissaire.
TOUJOURS A MOI QUE ÇA ARRIVE !
Ces dames refusant de jouer aux cartes, nous fîmes un poker, Ted et moi. Il trichait à la grecque, ce qui est rare pour un natif de la Grande Albion de mes fesses et m’épongea cinq cents francs. Et cinq cents vrais francs : pas des français ni des belges, des suisses. Tu avoueras qu’il n’est pas commun qu’un flic se fasse secouer sa fraîche par le malfrat qu’il surveille. Mais je ne suis pas n’importe quel poulet, tu l’auras déjà pressenti.
La journée se dérouta dans une torpeur un peu cafardeuse, sous un ciel où le soleil se laissait biter par des floconneries de nuages. Les cris acides des mouettes ajoutaient à la mélancolie ambiante. J’avais déjà vécu des moments de ce tonneau au (long) cours de veillées funèbres consacrées à des gens qui ne me touchaient pas de trop près. Entre autres, après le décès de la mère Dunkerque, une voisine presque impotente qui se prénommait Rose (car c’est la rose l’impotente).
M’man s’était occupée d’elle sur la fin de ses jours. Elle ressemblait à une baleine échouée sur la grève de son plumard, la mère Dunkerque. Des bajoues à n’en plus finir, des nichons plein le lit, un ventre qui foirait tout azimut. Elle matait sa téloche toute la sainte journée, en actionnant constamment, les boutons de la télécommande, sans jamais se fixer sur un programme. Une butineuse d’ondes hertziennes ! Et puis elle était clamsée gentiment, un après-midi d’automne (c’était peut-être le printemps, mais quand tu meurs, c’est toujours l’automne). On l’avait veillée en compagnie d’un autre voisin serviable.
Au début, on avait essayé de parler d’elle, mais il n’y avait pas grand-chose à en dire. Ensuite on était allés chercher à boire et la converse s’était orientée sur des sujets plus ambitieux, plus généraux, aussi la politique, le bout de guerre en cours dans un coin du globe (si on peut parler de « coin »), les films… La nuit faisait du sur place, tout comme la pauvre mère Dunkerque emplâtrée dans sa mort, avec un brin de buis entre ses doigts de glace.
La ronde des heures…
Et enfin l’aube ! L’aube pour nous tout seuls. La vieille, elle continuait sa route dans la nuit noire. On avait été bien heureux de la larguer pour retourner vivre ailleurs. L’existence, ça vous mène pire qu’une envie de pisser. Vachement tenace, vachement chiendent !
Et nous voilà dans la grande salle, à nouveau, les quatre. Compressés par la meute, bousculés par les gonziers de la tévé aux prises avec leur matériel sophistiqué. Moi, franchement, je les trouve bien plus intéressants à regarder que les guignolos en éruption sur les scènes, avec leurs guitares à haute tension en guise de bouclier, leurs fringues de cuir, leurs tignasses rasées boule ou teintes en violet.
Y a déjà une fumée d’après coup de grisou. Comment ils deviennent pas tubars à qui mieux mieux, les mômes, toujours à draguer dans ces atmosphères vénéneuses ? Le Bon Dieu, tu crois ? Oui, probable ; y a pas d’autres explicances.
Bon, et alors le groupe Monzob succède au groupe Témiche, le groupe Sabite au groupe Voburnes, et rien ne se passe. Ça chauffe à outrance. Le public délire, les formations disjonctent. Panne de courant. Ça naze aussitôt, biscotte sans la fée électricité, t’as plus de chanteurs et plus d’instruments vu qu’on ne chauffe pas encore les sonos au charbon ou au gaz de Lacq.
L’incident me donne à penser qu’il va se passer peut-être bien un machin-chose carabiné. Mais non. Un type promet que le jus va reviendre. Un groupe (électrogène celui-là) de secours dispense une clarté d’urinoirs suffisante pour qu’on puisse s’entre-défrimer. Les garçons en profitent pour lutiner les filles. Le grand Noir coiffé à la casque romain, qui égosillait au micro, vêtu d’une veste en panthère joue de son sourire fluo, en attendant que sa voix lui soit rendue.
Quelques minutes de confusion et puis la luce revient ; les braguettes se referment, un immense « Aaaaahhhh » de satisfaction passe dans l’assistance et le spectacle repart.