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— Cela vient d’un pays qui s’appelait la Grèce, dit-il en souriant. Un pays très glorieux, sur la Terre, il y a très longtemps.

Les puissants alcaloïdes contenus dans la drogue s’étaient répandus presque instantanément dans son sang et avaient atteint le cerveau. Il sentait décroître les tensions provoquées par les rencontres de l’aube.

— J’ai une mauvaise toux, dit Thane. Je n’arrive pas à m’en débarrasser.

Comme obéissant à un signal, elle fut prise d’une violente quinte. Sur Hydros, ce genre de toux sèche pouvait être aussi bénigne que n’importe où ailleurs, mais elle pouvait également être le signe d’une affection beaucoup plus grave. Tous les insulaires le savaient.

Un champignon parasite flottant, vivant en général dans les eaux septentrionales tempérées, se reproduisait en infestant différents animaux marins avec les spores qu’il libérait dans l’atmosphère en épais nuages noirs. Une de ces spores inhalée par un mammifère aquatique montant respirer à la surface de la mer se logeait douillettement dans l’œsophage de l’hôte et se développait aussitôt en propageant un enchevêtrement de filaments d’un rouge brillant qui pénétraient sans difficulté dans les poumons, les intestins, l’estomac et même dans le cerveau. L’organisme de l’hôte devenait une masse compacte de filaments écarlates attirés par l’hémocyanine, un pigment respiratoire renfermant du cuivre. Le sang de la plupart des animaux marins contenait ce proieide qui lui donnait une couleur bleutée et dont le champignon semblait si friand.

La mort par infestation de ce champignon était lente et affreuse. L’hôte, le corps distendu par les gaz exhalés par le parasite, flottait sans pouvoir bouger et succombait après une longue agonie. Peu après, le champignon expulsait ses organes de fructification arrivés à maturité par une ouverture creusée dans l’abdomen de son hôte. C’était une masse globulaire ligneuse qui se divisait pour libérer la nouvelle génération de champignons adultes qui, à leur tour, émettaient des nuages de spores. Et le cycle recommençait.

Les spores de ce champignon tueur étaient capables de s’implanter dans les poumons humains, une situation à laquelle personne n’avait rien à gagner. Le corps humain n’était pas en mesure de fournir au champignon l’hémocyanine dont il avait besoin et le parasite se voyait contraint d’envahir toutes les régions de l’organisme de son hôte dans sa recherche du pigment respiratoire, une dépense d’énergie tout à fait inutile.

Le premier symptôme de l’infestation dans un organisme humain était une toux persistante.

— Je vais prendre quelques renseignements sur vous, dit Lawler. Puis nous allons regarder cela de plus près.

Il sortit une fiche vierge d’un tiroir et écrivit le nom de Sundira Thane en haut de la feuille.

— Votre âge ? demanda-t-il.

— Trente et un ans.

— Votre lieu de naissance ?

— L’île de Khamsilaine.

— C’est sur Hydros ? demanda Lawler en levant les yeux.

— Oui, bien sûr, répondit-elle avec une pointe d’impatience avant d’être secouée par une nouvelle quinte de toux. Vous n’avez jamais entendu parler de Khamsilaine ? poursuivit-elle dès qu’elle fut en mesure de parler.

— Les îles sont nombreuses et je ne voyage pas beaucoup. Non, je n’en ai jamais entendu parler. Sur quelle mer dérive-t-elle ?

— La Mer d’Azur.

— La Mer d’Azur, répéta Lawler sans cacher son étonnement.

Il n’avait qu’une très vague idée de l’endroit où se trouvait la Mer d’Azur.

— Je n’en reviens pas, poursuivit-il. On peut dire que vous avez fait du chemin, vous. Vous êtes arrivée de Kentrup il y a quelques mois, c’est bien cela ?

— Oui, répondit la jeune femme avant d’être interrompue par un nouvel accès de toux.

— Combien de temps y êtes-vous restée ?

— Trois ans.

— Et avant cela ?

— J’ai passé dix-huit mois à Velmise. Deux ans à Shaktan. À peu près un an à Simbalimak. Simbalimak se trouve aussi dans la Mer d’Azur, ajouta-t-elle en lui lançant un regard peu amène.

— J’ai entendu parler de Simbalimak, dit Lawler.

— Et avant, je vivais à Khamsilaine. Sorve est donc ma sixième île.

Lawler prit note.

— Avez-vous été mariée ?

— Non.

Il le nota également. Une répugnance répandue à épouser un membre de la communauté de sa propre île avait entraîné sur Hydros la pratique généralisée de l’exogamie. Les célibataires désireux de se marier allaient le plus souvent chercher l’âme sœur sur une autre île. Si une femme aussi séduisante que Sundira Thane avait autant voyagé sans jamais avoir épousé personne, cela signifiait soit qu’elle était particulièrement exigeante, soit que le mariage ne l’intéressait pas.

Lawler soupçonnait que la deuxième solution était la bonne. Le seul homme en compagnie duquel il l’eût jamais vue depuis son arrivée à Sorve était Gabe Kinverson, le pêcheur. Maussade et renfermé, le robuste et rude Kinverson aux traits taillés à la serpe pouvait exercer une attirance animale, mais, à son avis, ce n’était pas le genre d’homme qu’une femme comme Sundira Thane aimerait épouser, en supposant qu’elle cherchât à se marier. D’autre part, Kinverson n’avait de son côté jamais semblé intéressé par le mariage.

— Quand avez-vous commencé à tousser ? demanda Lawler.

— Il y a huit, dix jours. À peu près au moment de la dernière Nuit des Trois Lunes.

— Cela ne vous était jamais arrivé auparavant ?

— Non, jamais.

— Température, douleurs dans la poitrine, frissons ?

— Non.

— Est-ce une toux avec expectoration ? Crachez-vous du sang ?

— Expectoration ? Vous voulez dire des mucosités ? Non, il n’y a pas de…

Elle eut une nouvelle quinte de toux, la plus violente depuis son arrivée. Elle avait les yeux larmoyants, les joues cramoisies et tout son corps était agité de tremblements. Quand ce fut terminé, elle demeura quelques instants immobile, la tête penchée en avant, l’air épuisé et malheureux. Lawler attendit qu’elle reprenne son souffle.

— Nous n’avons pas traversé les latitudes où se développe le champignon tueur, dit-elle enfin. Je n’arrête pas de me le répéter.

— Cela ne veut rien dire, vous savez. Le vent peut transporter les spores sur des milliers de kilomètres.

— Je vous remercie, docteur.

— Vous ne pensez pas sérieusement qu’il s’agit du champignon tueur ?

— Comment voulez-vous que je le sache ? dit-elle en levant brusquement la tête et en lui lançant un regard furieux. Mon corps est peut-être rempli de filaments rouges de la poitrine aux orteils ! Tout ce que je sais, c’est que je n’arrête pas de tousser ! C’est à vous de me dire pourquoi !

— Peut-être, dit Lawler. Peut-être pas. Je vais regarder cela de plus près. Enlevez votre chemise.

Il ouvrit un tiroir et en sortit son stéthoscope. C’était un instrument ridiculement grossier, rien d’autre qu’un cylindre de bambou de vingt centimètres de long sur lequel avaient été fixés deux tubes flexibles terminés par un écouteur en plastique. En fait d’équipement médical moderne, Lawler ne disposait pas de grand-chose, de pratiquement rien, en réalité, de ce qu’un de ses confrères du vingtième ou du vingt et unième siècle eût considéré comme moderne. Il lui fallait s’accommoder d’objets primitifs, d’instruments moyenâgeux. Une radiographie lui aurait indiqué en quelques secondes s’il y avait infestation du champignon. Mais où pourrait-il se procurer l’appareil ? Hydros avait si peu de contacts avec le reste de l’immense univers et pas le moindre échange commercial. Ils devaient déjà s’estimer heureux de disposer de ce minimum d’équipement médical et d’avoir quelques médecins, même avec une formation aussi rudimentaire que la sienne. La colonie humaine était fondamentalement démunie ; ils étaient si peu nombreux et le réservoir de talents si réduit.