– C’est vrai. Ah! ah!… khi, khi, khi, khi. Drôle et si sale!… khi, khi.
– Votre Excellence, Votre Excellence, je suis au comble du bonheur. Je vous aurais tendu ma main, mais je n’ose, Votre Excellence. J’ai bafouillé, je le sens, mais maintenant, mes yeux se dessillent. Je suis sûr que ma femme est pure et innocente. Je l’ai soupçonnée en vain.
– Sa femme? Sa femme? cria la dame les yeux pleins des larmes du fou rire.
– Il est marié, vraiment? Je ne l’aurais jamais pensé! observa le mari.
– Votre Excellence, ma femme… elle est la coupable, autrement dit c’est ma faute à moi, puisque je l’ai soupçonnée… je savais qu’un rendez-vous était fixé là-haut à l’étage supérieur… J’avais intercepté une lettre, je me suis trompé d’un étage et me suis trouvé sous le lit…
– Oh! oh! oh! oh! oh!…
– Ah! ah! ah! ah! ah!…
– Oh! oh! oh! oh! oh! Ivan Andreievitch pouffa, lui aussi, de rire. Si vous saviez combien je suis heureux! Oh! comme il est agréable de voir que nous sommes tous d’accord et contents! Et ma femme aussi, est entièrement innocente. J’en suis presque certain. Car elle l’est, n’est-ce pas; Votre Excellence?
– Ah! ah! ah!… khi, khi. Sais-tu qui c’est mon trésor? put enfin dire le vieillard après avoir dominé son rire.
– Qui? ah! ah! ah! qui?
– Mais c’est la petite charmante qui fait les yeux doux à ce gandin! C’est elle. Je parie que c’est sa femme!
– Non, Votre Excellence, je suis sûr que ce n’est pas elle… absolument certain.
– Mais, mon Dieu, vous perdez votre temps, s’écria la dame cessant de rire, courez, filez là-haut. Peut-être les trouverez-vous ensemble?
– Au fait, Votre Excellence, j’y vole. Mais je ne trouverai personne, Votre Excellence. Ce n’est pas elle, je le sais d’avance. Elle est maintenant à la maison. Et moi qui… je suis simplement jaloux et voilà… Qu’en pensez-vous, les y trouverai-je, Votre Excellence?
– Oh! oh! oh! oh!
– Hi, hi, hi, hi, hi, hi!… khi, khi…
– Filez, filez… Et lorsque vous redescendrez, venez nous raconter, demanda la dame. Ou plutôt… demain matin, cela vaudra mieux. Et amenez-nous la, je veux faire sa connaissance.
– Au revoir, Votre Excellence, au revoir. Je vous l’amènerai sans faute, et je suis très heureux de vous connaître. Je suis content, heureux que tout se termine de manière aussi imprévue et se dénoue pour le mieux…
– Et le bichon? N’oubliez pas: avant toutes choses, le bichon.
– Je vous l’apporterai, Votre Excellence, sans faute, je l’apporterai, dit vivement Ivan Andreievitch qui se précipita de nouveau dans la chambre, car il était déjà sorti après avoir fait ses adieux. Certainement je reviendrai avec le bichon. C’est un amour. Comme si un confiseur l’avait fabriqué avec des bonbons. Et vous verrez, il court, se prend dans ses poils et tombe… Tel que, je vous l’assure. Je disais même à ma femme: «Qu’a-t-il donc, ma chérie à rouler tout le temps par terre?» Il est si petit, me répondait-elle. Fait en sucre, Votre Excellence et très, très heureux de vous avoir connu. Ivan Andreievitch salua et sortit.
– Oh! Monsieur! attendez, revenez.
Le vieillard rappelait Ivan Andreievitch. Ivan Andreievitch rentra pour la troisième fois dans la pièce.
– Écoutez, je n’arrive pas à trouver mon chat, Vasska? Vous ne l’avez pas vu quand vous étiez sous le lit?
– Non, je ne l’ai pas remarqué, Votre Excellence. Du reste, je serai très heureux et considérerai comme un honneur de le connaître.
– Il a un rhume, aujourd’hui, et ne cesse d’éternuer… Il faudra le fouetter.
– Mais naturellement, Votre Excellence, les châtiments rééducatifs sont nécessaires aux animaux domestiques.
– Quoi?
– Je dis que les châtiments rééducatifs sont nécessaires aux animaux domestiques…
– Allons, que le Seigneur vous bénisse. Je voulais simplement…
Lorsqu’il se retrouva dans la rue, Ivan Andreievitch demeura longtemps immobile, pareil à un homme qui s’attend, d’une seconde à l’autre, à s’effondrer dans une attaque d’apoplexie. Il ôta son chapeau, essuya la sueur froide de son front, fronça les sourcils, parut réfléchir et prit en courant la direction de sa maison.
Quelle ne fut pas sa stupéfaction quand il apprit, chez lui, que Glafira était depuis longtemps revenue du théâtre. Elle avait beaucoup souffert des dents, avait mandé un médecin, s’était fait mettre des sangsues. Glafira, au lit, attendait Ivan Andreievitch.
Ivan Andreievitch se frappa le front. Enfin il se rendit dans la chambre à coucher de sa femme.
– Où diable passez-vous votre temps? Regardez-vous donc et voyez dans quel état vous êtes! En voilà une figure! Où vous êtes-vous fourré? Réfléchissez, Monsieur, votre femme se meurt, et on court toute la ville pour vous trouver. Où étiez-vous? Vous vouliez encore me prendre en flagrant délit, vous cherchiez à m’empêcher de me trouver au rendez-vous fixé? Je ne sais à qui du reste! Honteux, Monsieur! On vous montrera bientôt du doigt.
– Mon trésor, répondit Ivan Andreievitch.
Mais il se sentit si fortement gêné qu’il dut prendre son mouchoir dans sa poche. Il interrompit la phrase commencée, ne trouvant ni pensée, ni parole… Alors, avec stupeur, avec effroi, avec horreur, lorsqu’il tira son mouchoir, il vit le défunt Amichka tomber sur le tapis. Il n’avait pas remarqué que, tout en rampant hors du lit, dans sa crise de désespoir, il avait fourré dans sa poche Amichka. Ivan Andreievitch espérait ainsi effacer toute trace de son acte, détruire toute preuve de son crime et éviter la punition méritée.
– Qu’est-ce que c’est? cria l’épouse. Un petit chien mort? Seigneur! D’où vient-il? Mais qu’avez-vous donc fait? Où étiez-vous? Répondez vite, où étiez-vous?
– Mon cher trésor… Ivan Andreievitch se sentit plus mort qu’Amichka. Ma chérie…
Mais nous allons quitter ici notre héros, jusqu’à la prochaine fois. Un jour ou l’autre, ô mes lecteurs, nous terminerons l’histoire de tous ses malheurs, de toutes les épreuves que le destin fit subir à Ivan Andreievitch. Avouez cependant que la jalousie est une passion inexcusable, plus même: une calamité.
(1860)