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— Toute son histoire était fausse ?

— Entièrement. J’ai appelé le lycée français de Bamako pour qu’il me faxe son exeat, un certificat de radiation indispensable pour inscrire un nouvel élève. Ils n’avaient jamais entendu parler d’elle.

Je nageais en plein brouillard. Plus j’avançais dans mes investigations, plus l’image d’Anna se dérobait. Clotilde Blondel écrasa sa cigarette.

— Le lendemain, je me suis rendue à l’adresse qu’Anna m’avait indiquée : une chambre de bonne qu’elle louait rue de l’Université. J’ai passé la journée avec elle et j’ai tout de suite compris que c’était le genre de personne que vous ne croisez qu’une fois dans votre vie. Un être solitaire, mi-femme, mi-enfant, en quête de reconstruction, mais déterminé à réussir. Elle n’était pas venue à Sainte-Cécile par hasard : elle avait un projet professionnel précis, devenir médecin, une intelligence hors normes et de grandes capacités de travail qui avaient besoin d’un cadre pour s’épanouir.

— Donc, qu’avez-vous décidé ?

Quelqu’un frappa à la porte de son bureau : le proviseur adjoint qui se débattait avec un problème de gestion des emplois du temps. Clotilde lui demanda de patienter un instant. Au moment où il refermait la porte, elle m’interrogea :

— Raphaël, vous connaissez l’Évangile de Matthieu ? « Étroite est la porte, resserré le chemin qui mène à la vie, et il y en a peu qui les trouvent. » C’était mon devoir de chrétienne d’aider Anna. Et l’aider, à ce moment-là, signifiait la cacher.

— La cacher de qui ?

— De tout le monde et de personne. C’est justement là que résidait la difficulté.

— Concrètement ?

— Concrètement, j’ai accepté de scolariser Anna sans l’inscrire sur les registres de l’académie pour qu’elle puisse terminer son année scolaire de première avec nous.

— Sans lui poser davantage de questions ?

— Je n’avais pas besoin de lui poser de questions. J’avais découvert son secret par moi-même.

— Et c’était quoi ?

Je retins mon souffle. Enfin, j’effleurais la vérité. Mais Clotilde Blondel doucha mes illusions :

— Ce n’est pas à moi de vous le dire. J’ai juré à Anna que je ne révélerais pas son passé. Et c’est une promesse que je ne trahirai jamais.

— Vous pourriez m’en dire un peu plus.

— Inutile d’insister. Vous n’obtiendrez rien de plus de moi de ce côté-là. Croyez-moi, si un jour vous devez apprendre son histoire, il sera préférable que ce soit de sa propre bouche et non de celle de quelqu’un d’autre.

Je réfléchissais à ce qu’elle venait de me dire. Quelque chose ne collait pas.

— Avant de pouvoir vivre de mes romans, j’ai été prof quelques années. Je connais le système : en classe de première, vous ne pouvez pas passer les épreuves anticipées du bac si vous n’êtes inscrit nulle part.

Elle hocha la tête.

— Vous avez raison, Anna n’a pas passé ces épreuves cette année-là.

— Mais c’était reculer pour mieux sauter, le problème restait entier pour la terminale, non ?

— Oui, cette fois, plus moyen de se dérober. Si Anna voulait faire des études supérieures, elle devait réussir son bac.

Elle alluma une autre cigarette et tira plusieurs bouffées fébriles avant de poursuivre :

— Pendant l’été qui a précédé la rentrée scolaire, j’étais désespérée. Cette histoire me rendait malade. Désormais, je considérais Anna comme faisant partie de ma famille. Je lui avais promis de l’aider, mais j’étais face à un problème en apparence insoluble et nous courions à la catastrophe.

Elle baissa les yeux. Son visage s’était crispé, donnant l’impression de revivre ces moments douloureux.

— Mais il y a toujours une solution et, comme bien souvent, elle se trouve devant vos yeux.

Joignant le geste à la parole, elle souleva le cadre photo posé sur le bureau devant elle. Je pris l’objet qu’elle me tendait et scrutai le cliché sans comprendre.

— Qui est-ce ? demandai-je.

— Ma nièce. La véritable Anna Becker.

5.

Marc Caradec fonçait.

Depuis qu’il avait quitté Paris, le flic avalait les kilomètres sans se préoccuper du Code de la route. Il voulait, il devait vérifier de visu les informations de Mathilde Franssens, son amie de la Sécu.

Il klaxonna un poids lourd qui essayait d’en doubler un autre et se rabattit au dernier moment pour attraper la sortie de l’autoroute. La spirale de la bretelle en béton lui donna l’impression que sa voiture plongeait dans le vide. Vertige. Oreilles qui bourdonnent. Le sandwich qu’il avait avalé en conduisant lui avait donné la nausée. Pendant quelques secondes, il se sentit perdu au milieu du nœud autoroutier, puis il retrouva progressivement ses esprits, se raccrochant aux indications fournies par son GPS.

Un rond-point à l’entrée de Châtenay-Malabry puis une route étroite qui partait vers le bois de Verrières. Marc ne se détendit pleinement qu’à mesure que la nature gagnait sur le béton. Il baissa sa vitre lorsqu’il se retrouva entouré par les châtaigniers, les noisetiers et les érables. Une dernière portion de route sablonneuse et l’édifice surgit devant lui.

Il gara le Range Rover sur une aire de parking en gravier stabilisé et claqua la portière. Les mains derrière le dos, il resta quelques instants à contempler le bâtiment issu d’un mélange déroutant entre vieilles pierres et matériaux plus modernes : verre, métal, béton translucide. L’ancien hospice, deux fois centenaire, avait été modernisé (massacré, pensa Caradec) par l’installation sur les toits de panneaux solaires photovoltaïques et d’un mur végétalisé.

Le flic se dirigea vers l’entrée de la structure. Hall presque désert, personne derrière le comptoir d’accueil. Il feuilleta les prospectus qui se trouvaient devant lui et qui présentaient l’établissement.

Le foyer d’accueil médicalisé Sainte-Barbe accueillait une cinquantaine de patients polyhandicapés ou atteints de syndromes autistiques. Des accidentés de la vie n’étant plus autonomes et dont l’état de santé nécessitait des soins constants.

— Je peux vous aider ?

Caradec se retourna en direction de la voix qui l’interpellait. Une jeune femme en blouse blanche était en train d’insérer des pièces de monnaie dans un distributeur.

— Police. Marc Caradec, capitaine à la BRB, se présenta-t-il en la rejoignant.

— Malika Ferchichi, je suis l’une des aides médico-psychologiques du foyer.

La beurette appuya sur le bouton pour récupérer son soda, mais la machine se bloqua.

— Encore HS ! Bon sang, ce truc a déjà dû me piquer l’équivalent d’une demi-paie !

Marc empoigna l’appareil et se mit à le secouer. Au bout de quelques secondes de ce traitement, la canette finit par tomber dans le sas de récupération.

— Au moins, vous aurez celle-là, dit-il en lui tendant son Coca Zero.

— Je vous dois un service.

– Ça tombe bien, parce que j’en ai un à vous demander. Je suis ici pour vérifier des informations sur une de vos patientes.

Malika décapsula sa boisson et en prit une gorgée.

Pendant qu’elle buvait, le flic détailla sa peau mate, sa bouche ourlée de rose, son chignon strict, ses yeux taillés dans du saphir.

— J’aurais aimé vous renseigner, mais vous savez très bien que je n’en ai pas le droit. Adressez-vous au directeur qui…