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Il ne faisait plus aucun doute à présent que la femme que j’aimais n’était pas la personne qu’elle prétendait être. En empruntant deux pistes différentes, Marc et moi avions réussi à remonter la trace d’Anna — qui ne s’appelait pas Anna — jusqu’à l’automne 2007.

Je lançai mon traitement de texte et décidai de synthétiser l’essentiel de nos découvertes :

Fin octobre 2007 : une jeune fille d’environ 16 ans (venue des États-Unis ?) débarque à Paris avec plus de 400 000 euros en cash. Elle cherche à se cacher, trouve refuge dans une chambre de bonne qu’elle loue en liquide à un propriétaire peu scrupuleux. Elle est traumatisée par un événement qu’elle vient de vivre, mais elle est suffisamment dégourdie pour se procurer de faux papiers. D’abord de très mauvaise qualité et plus tard de bien meilleure facture.

En décembre, elle se présente dans un établissement catholique, l’institution Sainte-Cécile, où elle réussit à se faire scolariser et à passer son bac en endossant l’identité d’Anna Becker, la nièce de Clotilde Blondel, la directrice du lycée.

Cette substitution d’identité est un coup de maître : clouée dans un fauteuil roulant, vivant dans un foyer pour handicapés, la véritable Anna Becker ne voyage pas, ne conduit pas, ne poursuit pas d’études.

En 2008, munie d’une déclaration de perte ou de vol, la « fausse » Anna se présente à la mairie pour faire refaire son passeport et sa carte d’identité. Dès lors, l’illusion est parfaite. « Anna » détient de véritables papiers avec sa propre photo et habite pleinement une identité qui n’est pas la sienne. Bien qu’elle possède un numéro de Sécurité sociale, elle est prudente et respecte sans doute scrupuleusement certaines règles : toujours payer elle-même ses consultations médicales et ses médicaments pour que la Sécu ne s’intéresse pas de trop près à elle.

Je levai la tête de mon ordinateur tandis que le serveur apportait mon plat. Je pris une gorgée d’eau et une bouchée de daurade. Deux femmes se partageant la même identité : le subterfuge mis en place par Clotilde Blondel était osé, mais suffisamment solide pour durer depuis dix ans. Notre enquête n’avait pas été vaine, pourtant, à ce stade, elle n’avait soulevé que des questions sans réponse. Je les notai à la volée sur mon écran :

— Qui est réellement « Anna » ?

— D’où proviennent les 400 000 euros trouvés chez elle ?

— Qui sont les trois corps carbonisés sur la photo ? Pourquoi « Anna » s’accuse-t-elle de leur mort ?

— Pourquoi a-t-elle disparu juste après avoir commencé à me révéler une partie de la vérité ?

— Où se trouve-t-elle à présent ?

Machinalement, je ne pus m’empêcher de composer une nouvelle fois son numéro. Pas de miracle : toujours le message d’accueil que j’avais dû subir cinquante fois depuis la veille.

C’est alors qu’une idée fusa dans mon esprit.

2.

Six ans plus tôt, alors que j’étais à New York pour des repérages, j’avais perdu mon téléphone portable dans un taxi. Je rentrais à mon hôtel après une soirée au restaurant et je ne m’étais pas aperçu tout de suite de ma gaffe. Le temps que j’en prenne conscience et que j’appelle la compagnie de taxis, il était trop tard : l’un des clients que le chauffeur avait chargés après moi avait trouvé mon portable et s’était bien gardé de le signaler. À tout hasard, je lui envoyai un SMS depuis le téléphone de mon attachée de presse. Une heure plus tard, je reçus un appel d’une personne s’exprimant dans un anglais aléatoire me proposant de me rendre mon appareil contre la somme de 100 dollars. Cédant à la facilité, j’avais accepté la proposition. Rendez-vous fut pris dans un café de Times Square, mais à peine étais-je arrivé sur les lieux que mon maître chanteur m’appelait pour me dire que le prix avait changé. Il désirait à présent 500 dollars, à lui remettre à une adresse dans le Queens. J’avais alors agi comme j’aurais dû le faire depuis le début : je racontai mon histoire aux deux premiers flics que je croisais. En quelques minutes, ils tracèrent mon portable grâce à la plate-forme de géolocalisation, arrêtèrent mon voleur et me restituèrent mon téléphone.

Pourquoi ne pas procéder de la même manière avec celui d’Anna ?

Parce qu’il est probablement éteint ou que sa batterie est déchargée…

Essaie quand même.

Mon ordinateur était toujours ouvert devant moi. Je demandai au serveur le code pour me connecter au Wi-Fi du café, puis me rendis sur le site de cloud computing du fabricant. La première étape ne posait pas de difficulté : il suffisait de rentrer son identifiant, autrement dit son adresse e-mail. J’inscrivis celle d’Anna, mais butai sur la deuxième marche : son mot de passe.

Je ne perdis pas de temps à essayer des codes au petit bonheur la chance. Ce type de truc ne marche que dans les films et les séries télé. Je cliquai sur le lien « Mot de passe oublié », qui ouvrit une nouvelle page Web m’invitant à répondre aux deux questions de sécurité qu’Anna avait paramétrées lors de la création de son identifiant.

+ Quel était le modèle de votre premier véhicule ?
+ Quel est le premier film que vous avez vu au cinéma ?

La première question était facile. Anna n’avait jamais possédé qu’une seule voiture dans sa vie : une Mini couleur « marron glacé » qu’elle avait achetée d’occasion deux ans auparavant. Même si elle ne l’utilisait pas beaucoup, elle adorait ce petit cabriolet. Chaque fois qu’elle en parlait, elle ne disait pas « la Mini » ou « le cabriolet », mais « la Mini Cooper ». C’est donc cette réponse que je tapai dans la case correspondante. Et j’étais sûr de mon coup.

Place à la seconde question.

Nous n’étions pas toujours d’accord côté cinéma. J’aimais Tarantino, les frères Cohen, Brian De Palma, les vieux thrillers et les pépites de série B. Elle préférait des trucs plus intellos, tendance Télérama  : Michael Haneke, les frères Dardenne, Abdellatif Kechiche, Fatih Akın, Krzysztof Kieslowski.

Cela ne m’avançait guère : rares sont les enfants qui entament leur initiation cinématographique par Le Ruban blanc ou La Double Vie de Véronique.

Je pris le temps de la réflexion. À quel âge pouvait-on emmener ses enfants au cinéma ? Je me souvenais très bien de ma première fois : l’été 1980, Bambi, au cinéma L’Olympia, rue d’Antibes, à Cannes. J’avais six ans et j’avais prétendu avoir une poussière dans l’œil pour justifier mes pleurs au moment de la mort de la mère du faon. Salaud de Walt Disney.

« Anna » avait aujourd’hui vingt-cinq ans. Si elle avait vu son premier film à six ans, c’était en 1997. Je consultai les succès de cette année-là sur Wikipédia et un film me sauta aux yeux : Titanic. Succès planétaire. Pas mal de gamines de l’époque avaient dû tanner leurs parents pour aller voir Leo. Persuadé d’avoir trouvé, je tapai le titre du film à la vitesse de l’éclair, validai et…

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Déception. Je m’étais enflammé trop vite et, à présent, il ne me restait plus que deux essais avant que le système ne se bloque.