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— Sérieusement, Marc.

Il claqua sa portière et fit quelques pas sur le bitume bouillant.

— Crois-en mon expérience, dans ce genre de situation, le meilleur plan, c’est de ne pas en avoir.

Il glissa son semi-automatique dans sa ceinture et se dirigea d’un pas décidé en direction du blockhaus.

2.

Ballet des diables et des transpalettes. Odeur persistante de carton brûlé. Chorégraphie des chariots élévateurs et des conteneurs sur roulettes. Le rez-de-chaussée s’ouvrait sur une zone de manutention prolongée par des quais de déchargement encombrés de véhicules.

Caradec toqua contre la paroi vitrée d’un bureau au pied de la rampe en béton qui desservait les étages.

— C’est la police ! lança-t-il en agitant sa carte tricolore.

— Là, vous m’en bouchez un coin ! Je vous ai appelés il y a même pas dix minutes ! s’exclama un petit homme volubile assis derrière une table métallique.

Marc tourna la tête vers moi. Son regard disait : « Je ne comprends rien, mais laisse-moi faire. »

— Patrick Ayache, se présenta l’employé en venant à notre rencontre. Je suis le responsable du site.

Ayache avait un accent pied-noir à couper au couteau. Une silhouette trapue, un visage carré et jovial auréolé de cheveux drus. Sa chemise Façonnable était largement ouverte sur une chaîne en or. Si j’en avais fait un personnage de roman, on aurait crié à la caricature.

Je laissai donc Marc prendre les choses en main :

— Expliquez-nous ce qui s’est passé.

D’un signe de la main, Ayache nous invita à le suivre en empruntant une coursive réservée au personnel qui permettait d’accéder à une batterie d’ascenseurs. Il s’écarta pour nous laisser entrer, appuya sur le bouton du dernier étage avant de s’exclamer :

— C’est la première fois que je vois ça !

Alors que la cabine se mettait en branle, je distinguai à travers la vitre des rangées de box en bois et des conteneurs plombés qui s’étendaient à perte de vue.

— C’est le bruit qui nous a alertés, poursuivit-il. On aurait dit un carambolage : une série de chocs surpuissants dans un fracas de tôle écrasée, comme si l’autoroute passait sur notre tête !

L’ascenseur s’ouvrit sur un palier carrelé.

— Ici, c’est l’étage de self-stockage, expliqua Ayache en nous entraînant dans son sillage. Les clients peuvent louer des box de la taille d’un grand garage et sont autorisés à y accéder à n’importe quel moment.

Le gérant marchait aussi vite qu’il parlait. Ses pas grinçaient sur le revêtement plastifié et nous avions presque du mal à le suivre. Les allées succédaient aux allées. Toutes les mêmes. L’horreur désespérante d’un parking sans fin.

— Voilà, c’est ici, annonça-t-il enfin en désignant un grand box dont la porte défoncée donnait l’impression d’avoir été perforée.

Un Black aux cheveux gris montait la garde devant l’entrée. Polo blanc, blouson kaki, casquette Kangol.

— Lui, c’est Pape, nous présenta Ayache. Devançant Caradec, je m’approchai pour examiner les dégâts.

Il ne restait plus grand-chose des deux battants.

Ils avaient giclé de leurs gonds. Même les doubles barres de renfort n’avaient rien pu faire pour contrer l’assaut. La surface en acier galvanisé était tordue, pliée, arrachée. Suspendues aux griffes de métal, les chaînes rompues de deux cadenas pendaient dans le vide.

— C’est un tank qui a fait ça ?

— Vous ne croyez pas si bien dire ! s’exclama Pape. Un 4 × 4 a forcé l’entrée de l’entrepôt il y a vingt minutes. Il est monté jusqu’ici par la rampe d’accès et il a foncé sur la porte jusqu’à ce qu’elle cède. Comme une véritable voiture-bélier.

— Les caméras de surveillance ont tout capté, assura Ayache. Je vous montrerai les films.

J’enjambai la brèche pour pénétrer dans le box. Vingt mètres carrés éclairés d’une lumière crue. Vide. À l’exception de robustes rayonnages métalliques soudés au sol et de deux bombes aérosols jetées à terre. L’une était blanche, l’autre noire. Elles ressemblaient à des bouteilles Thermos auxquelles on aurait greffé un bouchon propulseur. Enroulés autour d’un montant en acier, des cordages, des restes de chatterton, un serreflex récemment tranché.

Quelqu’un avait été séquestré ici.

Anna avait été séquestrée ici.

— Tu sens cette odeur ? me demanda Marc.

Je hochai la tête. C’était effectivement l’une des premières choses qui m’avaient marqué. Un parfum puissant aux effluves changeants flottait dans la pièce. L’odeur était difficile à cerner : entre le café fraîchement torréfié et la terre après la pluie.

Le flic s’agenouilla pour examiner les deux aérosols.

— Tu sais ce que c’est ?

— Je te présente Ebony & Ivory, dit-il d’un air soucieux.

— Noir et blanc. Comme le titre de la chanson de Paul McCartney et de Stevie Wonder ?

Il approuva de la tête.

— C’est une fabrication artisanale à base de détergents utilisés dans les hôpitaux. Un mélange qui efface complètement les traces ADN présentes sur une scène de crime. Un truc de pro. Le kit du parfait fantôme.

— Pourquoi deux sprays ?

Il désigna la bombe noire.

— Ebony contient un détergent ultrapuissant qui va détruire quatre-vingt-dix-neuf pour cent des traces ADN.

Puis il pointa le spray blanc.

— Quant à Ivory, c’est un produit masquant capable de changer la structure des un pour cent restants. En gros, tu as devant toi la recette miracle permettant de dire à toutes les polices scientifiques du monde d’aller se faire foutre.

Je sortis du box pour revenir vers Ayache.

— Qui loue cet emplacement ?

Le gérant ouvrit les mains en signe d’incompréhension.

— Personne justement. Il est vide depuis huit mois !

— Qu’y avait-il d’autre dans le garage ? demanda Caradec en nous rejoignant.

— Rien, s’empressa de répondre Pape.

Le flic prit une profonde respiration. L’air à la fois las et tracassé, il s’approcha de Patrick Ayache et ouvrit la bouche comme pour le menacer, mais à la place il lui posa la main sur l’épaule. En quelques secondes, la poigne de Caradec avait quitté la clavicule du pied-noir pour remonter le long de son cou. Son pouce s’enfonçait dans le larynx tandis que son index se refermait sur sa vertèbre cervicale. Asphyxié par les mâchoires de la pince, Ayache n’en menait pas large. J’hésitai à intervenir, affolé par cette violence soudaine. Caradec y allait au bluff alors que visiblement les deux types disaient la vérité. Du moins c’est ce que je croyais jusqu’à ce qu’Ayache lève la main en signe de capitulation. Le flic desserra sa prise, juste de quoi lui permettre de reprendre sa respiration. Puis, dans une tentative pathétique pour sauver la face, Ayache articula :

— Je vous assure qu’il n’y avait rien d’autre que les deux objets que j’ai gardés au PC sécurité.

3.

Le « PC sécurité » version Ayache était une petite pièce tapissée d’une dizaine d’écrans sur lesquels défilaient les images en noir et blanc du système de vidéosurveillance.

Assis derrière son bureau, le responsable du site ouvrit l’un des tiroirs.

— On les a trouvés coincés sous l’étagère, précisa-t-il en posant sur la table ses deux trophées.

Le premier était le téléphone portable d’Anna. Je le reconnus sans hésitation grâce au sticker de la Croix-Rouge collé sur la coque. Ayache poussa la déférence jusqu’à me prêter son propre chargeur, mais impossible de le rallumer. L’écran était fracassé. Pas le genre de dommages que l’on encourt en laissant tomber son cellulaire. Quelqu’un avait dû s’acharner à coups de talon pour le pulvériser de cette manière.