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Le second objet avait plus de valeur. Il s’agissait d’une pochette en lézard brillant ornée de cristaux de quartz roses. L’un des premiers cadeaux que j’avais offerts à Anna et qu’elle portait la veille au soir, lors de notre sortie au restaurant. Je fouillai le sac rapidement : porte-feuille, porte-clés, paquet de Kleenex, stylo, lunettes de soleil. Rien de remarquable.

— Voici les vidéos ! Vous allez voir le carnage !

Ayache avait repris du poil de la bête et ne tenait plus en place sur son siège. Comme s’il jouait dans une série américaine, il venait lui-même de s’introniser grand prêtre des images, jonglant avec les écrans, maîtrisant les ralentis, les avances rapides et les retours en arrière.

— Cesse tes gesticulations et balance ton film, s’énerva Marc.

Dès la première image, la stupeur nous saisit : un félin body-buildé prêt à bondir. Une silhouette musclée, bardée de vitres teintées, qui se prolongeait par une double calandre chromée.

Nous échangeâmes un regard rageur : c’était le 4 × 4 qui avait failli nous percuter !

Sur les premières images de vidéosurveillance, on le voyait forcer la barrière d’entrée de l’entrepôt avant d’emprunter la rampe qui desservait les niveaux supérieurs. On le retrouvait ensuite au dernier étage.

— Stop ! s’exclama Caradec.

Ayache s’exécuta. En observant attentivement l’énorme SUV, je reconnus le modèle : un X6 BMW, au croisement d’un tout-terrain et d’un coupé. Lorsqu’il avait eu son deuxième enfant, un de mes amis, auteur de polars, en avait fait l’acquisition et m’en avait vanté les « mérites » : au moins deux tonnes, cinq mètres de long, plus d’un mètre cinquante de hauteur. Le spécimen que je voyais sur l’écran était plus menaçant encore avec son pare-chocs renforcé, ses vitres fumées, ses plaques d’immatriculation masquées.

Marc appuya lui-même sur une touche pour remettre l’image en mouvement.

Le conducteur du 4 × 4 savait exactement pourquoi il était là. Sans hésitation, il fila jusqu’à la dernière rangée, fit demi-tour et immobilisa le véhicule sous l’emplacement de la caméra. On distinguait seulement le capot de la voiture, et les dizaines de box en enfilade. Puis… on ne vit plus rien.

— Le fils de pute, il a déplacé l’appareil ! siffla Caradec entre ses dents.

La poisse. Le type — mais rien ne dit qu’il ne s’agissait pas d’une femme ni qu’il n’y ait pas eu plusieurs personnes dans la voiture — avait manifestement tourné la caméra de surveillance en direction du mur. Sur l’écran, il n’y avait plus désormais qu’une neige sale et grisâtre.

De rage, Caradec abattit son poing sur la table, mais Ayache, tel un magicien, avait plus d’un tour dans son sac.

— Montre-lui ton téléphone, Pape !

Le Black avait déjà son appareil en main. Un large sourire éclairait son visage.

— Moi, j’ai pu tout filmer ! Le vieux Pape, il est autrement plus malin que…

— File-moi ça ! cria Marc en lui arrachant le portable des mains.

Il manipula le cellulaire et lança le film.

Première déception : l’image était sombre, saturée, granuleuse. Courageux, mais pas téméraire, Pape s’était tenu à distance des opérations. On devinait plus qu’on ne voyait précisément la scène, mais l’essentiel était là. Brutal, violent, affolant. Dans un vacarme d’enfer, le 4 ×4 pilonnait le box jusqu’à le défoncer. Puis un homme cagoulé jaillissait du véhicule et s’introduisait dans le garage. Lorsqu’il en ressortait, moins d’une minute plus tard, il portait Anna pliée en deux, sur son épaule.

Preuve que l’homme n’était pas un chevalier blanc venu la délivrer, Anna criait et se débattait. Le type ouvrait le coffre et la projetait sans ménagement à l’intérieur. Après un bref passage dans l’habitacle, il ressortait en tenant les deux bombes spray et se dépêchait de retourner dans le garage pour y faire son ménage. La vidéo s’arrêtait au moment où la voiture redémarrait en trombe et repartait vers la sortie de l’entrepôt.

Espérant y repérer un indice, Marc relança le film dans la foulée en montant le son du téléphone au maximum.

Le calvaire recommença : la voiture folle, la destruction du box et Anna, prisonnière de cet inconnu.

Juste avant qu’il ne la jette dans le coffre, je tendis l’oreille plus attentivement. C’était moi qu’Anna appelait.

Elle hurlait mon prénom.

— Raphaël ! Aide-moi, Raphaël ! Aide-moi !

4.

Portières qui claquent. Marche arrière. Passage d’une vitesse.

Caradec accéléra brutalement, abandonnant quelques traînées de gomme sur le goudron. Plaqué sur mon siège par la violence du démarrage, je bouclai ma ceinture en regardant s’éloigner, dans le rétroviseur, l’image saccadée du cube de béton.

J’étais rongé par l’inquiétude pour Anna, fiévreux comme jamais. La voir m’appeler au secours ainsi m’avait secoué, je pouvais à peine imaginer ce qu’elle devait ressentir. J’espérais de toutes mes forces que, dans sa terreur, elle me croyait capable de la retrouver. Alors que Marc fonçait pour rejoindre la nationale, j’essayai de mettre de l’ordre dans mon esprit. Pendant un moment, la stupeur avait pris le pas sur toute réflexion. J’étais complètement paumé : depuis ce matin, nous avions appris beaucoup de choses, mais je ne parvenais pas à relier entre eux les événements ni à leur donner le moindre sens.

Je me concentrai. De quoi étais-je absolument certain ? De pas grand-chose, même si, à première vue, certains faits n’étaient guère contestables. Après notre dispute, Anna avait bien pris son avion, hier soir, à l’aéroport de Nice, pour rentrer à Paris. Elle était arrivée à Orly vers 1 heure du matin. Comme l’attestait la présence de son sac dans son appartement, elle s’était probablement rendue en taxi jusqu’à Montrouge. Et après ? Une conviction plus qu’une certitude : elle avait contacté quelqu’un pour le prévenir qu’elle m’avait montré la photo des trois cadavres. Qui et pourquoi ? Je n’en avais pas la moindre idée. Mais à partir de là, tout avait basculé. Anna avait reçu une visite à son appartement. S’était ensuivie une conversation qui avait dégénéré en dispute. On l’avait enlevée et séquestrée quelques heures dans le garde-meuble de la banlieue nord. Jusqu’à ce qu’un autre inconnu défonce le box avec son bolide non pas pour la libérer, mais pour la garder en captivité.

Je me frottai les paupières et baissai la fenêtre pour prendre un peu d’air. Je naviguais en eaux troubles. Mon scénario n’était pas forcément inexact, mais il manquait trop de pièces au puzzle.

— Tu vas devoir prendre rapidement une décision.

La voix de Marc me sortit de mes pensées. Il avait allumé une cigarette et conduisait pied au plancher.

– À quoi tu penses ?

— Veux-tu ou non prévenir la police ?

— Après ce qu’on vient de voir, c’est difficile de ne pas le faire, non ?

Il tira une longue bouffée de sa clope en plissant les yeux.

— C’est à toi que revient cette décision.

— Je te sens réticent.

— Pas du tout, mais il faut que tu sois bien conscient d’une chose : la police, c’est comme le sparadrap du capitaine Haddock. Une fois que tu seras dans l’engrenage, tu ne pourras plus en sortir. Les flics enquêteront. Ta vie et celle d’Anna seront fouillées. Tout sera déballé. Tout sera sur la place publique. Tu ne contrôleras plus rien et tu ne pourras plus jamais revenir en arrière.