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— Concrètement, qu’est-ce qui va se passer si on décide d’aller voir les flics ?

Marc sortit de sa poche le téléphone de Pape.

— Avec cette vidéo, on leur a déjà mâché une partie du travail. À présent qu’on a une preuve concrète qu’Anna est en danger, le procureur ne pourra pas faire autrement que de considérer qu’il s’agit d’une disparition inquiétante, voire d’un enlèvement.

— Qu’est-ce que la police peut faire de plus que nous ?

Caradec jeta son mégot par la fenêtre et prit le temps de la réflexion.

— En premier lieu, ils essaieront d’exploiter la ligne téléphonique d’Anna pour voir l’historique de ses appels.

— Quoi d’autre ?

— Ils tenteront de remonter la piste d’Ebony & Ivory, mais ça ne les mènera pas loin. Puis ils sortiront les listings pour voir à qui appartient le 4 × 4. Les plaques sont masquées, mais comme ce n’est pas un modèle courant, ils parviendront plutôt facilement…

— … à s’apercevoir que c’est une bagnole volée.

Il hocha la tête.

— T’as tout compris.

— C’est tout ?

— Pour l’instant, je ne vois rien d’autre.

Je respirai un grand coup. Quelque chose me retenait d’aller trouver les flics : le soin pris par Anna pour camoufler son identité pendant toutes ces années. Qu’une fille de seize ans ait un tel besoin de se cacher me semblait stupéfiant. Avant de griller sa couverture, il fallait que je sache qui elle était vraiment.

— Si je décide de continuer l’enquête, je peux compter sur ton aide ?

— Oui, je suis ton homme, mais tu dois être conscient du danger et bien peser tous les risques.

— Que va-t-il se passer avec les flics de Seine-Saint-Denis qu’Ayache a appelés ?

Caradec balaya mes craintes :

— Ils n’étaient pas très pressés d’arriver, ceux-là. Crois-moi, ils ne feront pas de zèle. Jusqu’à preuve du contraire, il ne s’agit que d’un garage fracturé, rien de plus. Sans la vidéo, les deux guignols ne seront pas crédibles. Il n’y a plus d’empreintes sur la scène et nous avons récupéré les seuls objets qui auraient pu leur permettre de remonter jusqu’à Anna : son téléphone et sa pochette. À propos, tu es certain qu’il n’y a rien d’exploitable dans ce sac ?

Par acquit de conscience, je vérifiai une nouvelle fois le contenu de l’étui en lézard. Portefeuille, mouchoirs en papier, porte-clés, lunettes de soleil, Stabilo.

Non. Je bloquai sur ce dernier objet. Le bâtonnet en plastique coiffé d’un capuchon que j’avais pris dans un premier temps pour un feutre était en réalité… un test de grossesse. Je regardai dans la fenêtre de résultat pour découvrir deux petites bandes bleues parallèles.

L’émotion me saisit à la gorge. Mon corps fut transpercé de mille flèches glacées qui me paralysèrent. Autour de moi, la réalité se dilua, le sang pulsa et bourdonna dans mes oreilles. J’essayai d’avaler ma salive, mais fus incapable de déglutir.

Le test était positif.

Tu es enceinte.

Je fermai les yeux. Comme des éclats d’obus, des centaines d’instantanés explosèrent dans ma tête : des images de notre dernière soirée avant qu’elle ne dégénère en dispute. Avec acuité, je revis tes expressions, ton rayonnement, la lumière sur ton visage. J’entendis ton rire et décodai les inflexions de ta voix. Ton regard, tes paroles, chacun de tes gestes prenait à présent un sens nouveau. Tu avais prévu de me l’annoncer hier soir. J’en étais certain. Avant que je ne gâche tout, tu avais prévu de m’annoncer que tu portais notre bébé.

J’ouvris les yeux. Mon enquête venait de changer de nature. Je ne recherchais plus seulement la femme que j’aimais, mais également notre enfant  !

Le soufflement rauque dans mes oreilles se dissipa. Lorsque je me tournai vers Caradec, il était au téléphone. Sous le coup de l’émotion, je n’avais même pas entendu la sonnerie.

Comme le périph bouchonnait, il avait rejoint les Maréchaux au niveau de la porte d’Asnières et se faufilait à présent rue de Tocqueville pour éviter les embouteillages du boulevard Malesherbes.

Le portable coincé entre l’oreille et l’épaule, il semblait lui aussi bouleversé.

— Bordel de merde ! Vasseur ! tu es absolument certain de ce que tu me dis ?

Je n’entendis pas la réponse de son interlocuteur.

— OK, marmonna le flic avant de raccrocher.

Il resta sans voix quelques secondes. Son teint était livide. Son visage s’était décomposé. Jamais je ne l’avais vu comme ça.

— C’était qui ? demandai-je.

— Jean-Christophe Vasseur, le flic de la Crim à qui j’ai envoyé la photo des empreintes d’Anna.

— Alors ?

— Les empreintes ont matché. Anna est bien fichée au FAED.

La chair de poule couvrit mes avant-bras.

— Quelle est sa véritable identité ?

Le flic s’alluma une autre cigarette.

— Anna s’appelle en réalité Claire Carlyle.

Un silence. Ce nom me disait vaguement quelque chose. J’avais déjà dû l’entendre, il y a longtemps, mais je ne me souvenais plus des circonstances.

— Elle est accusée de quoi ?

Caradec secoua la tête en exhalant la fumée.

— De rien, justement. Claire Carlyle est censée être morte depuis des années.

Il me regarda et lut l’incompréhension sur mon visage.

— Claire Carlyle est l’une des victimes de Heinz Kieffer, précisa-t-il.

Mon sang se figea et j’eus l’impression de tomber dans un abîme de terreur.

Deuxième jour

L’affaire Claire Carlyle

7

L’affaire Claire Carlyle

C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.

Jean RACINE
1.

Le jour se levait.

Une lumière rose colorait les jouets que mon fils avait éparpillés aux quatre coins du salon. Cheval à bascule, puzzles, arbre magique, piles de livres, petit train en bois…

Un peu après 6 heures, la nuit avait cédé la place à un ciel bleu cobalt, foncé et limpide. Passage d’Enfer, les oiseaux s’étaient remis à chanter et, sur mon balcon, l’odeur de rose des géraniums s’était intensifiée. En me levant pour éteindre les lampes, j’avais écrasé une tortue en plastique qui s’était mise à beugler une comptine et il m’avait fallu presque une minute pour la faire taire. Heureusement, quand Théo dormait, un feu d’artifice ne l’aurait pas tiré de ses rêves. Après avoir entrebâillé sa porte pour l’entendre dès qu’il se réveillerait, j’avais ouvert la fenêtre pour guetter l’apparition du soleil et j’étais resté ainsi, accoudé à la balustrade, espérant trouver un peu de réconfort dans la lumière de l’aube.

Où es-tu, Anna ? Ou plutôt dois-je à présent t’appeler Claire…

Les teintes froides s’étaient décantées, tirant sur le violet avant de se réchauffer en une clarté irréelle, recouvrant d’un voile orangé les lattes de chêne du parquet. Mais le réconfort attendu n’était pas venu.

Je refermai la fenêtre et récupérai plusieurs feuilles dans le bac de mon imprimante. Puis je les épinglai sur le panneau de liège que j’utilisais d’ordinaire pour classer la documentation lors de l’écriture de mes romans.

J’avais passé la nuit à écumer le Net. Sur les sites de presse en ligne et dans les librairies numériques, j’avais parcouru des centaines d’articles, téléchargé plusieurs livres, imprimé quantité de photos. J’avais aussi visionné tous les programmes de faits divers qui avaient consacré une émission à l’affaire (L’Heure du crime, Faites entrer l’accusé, On the Case with Paula Zahn…).