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L’analyse de la scène de crime dura deux jours entiers. Dans les canalisations de la maison ainsi que dans le pick-up de Kieffer, on trouva des cheveux ainsi que d’autres traces fraîches d’ADN qui n’appartenaient ni au criminel ni à ses trois victimes. Les résultats tombèrent une dizaine de jours plus tard : il y avait deux empreintes génétiques, dont l’une restait inconnue. L’autre était celle de la jeune Claire Carlyle.

À peine cette information révélée, on établit qu’au moment de l’enlèvement de Claire, Heinz Kieffer rendait visite à sa mère qui vivait dans une maison de soins à Ribérac, en Dordogne, à soixante kilomètres à peine de Libourne.

On délimita un périmètre assez large autour de la bâtisse. À nouveau, on dragua les étangs, on fit venir des pelleteuses, on mobilisa des hélicos pour survoler la forêt et on fit appel à toutes les bonnes volontés pour organiser de vastes battues.

Et le temps passa.

Et l’espoir même de voir réapparaître un corps s’envola.

Si on ne retrouva jamais le cadavre de l’adolescente, il ne fit de doute pour personne que Claire Carlyle était morte. Quelques jours ou quelques heures avant de mettre fin à ses jours et d’organiser son carnage, Kieffer l’avait emmenée dans un endroit reculé, l’avait tuée et s’était débarrassé du corps.

Le dossier resta néanmoins ouvert pendant deux ans sans qu’aucun élément nouveau fût apporté par les enquêteurs. Puis, à la fin de l’année 2009, le juge chargé de l’instruction signa l’avis de décès de Claire Carlyle.

Et plus personne n’entendit jamais parler de « la fille de Brooklyn ».

8

La danse des spectres

La vérité est comme le soleil. Elle laisse tout voir mais ne se laisse pas regarder.

Victor HUGO
1.

— Debout, là-dedans !

La voix de Caradec me fit tressaillir. J’ouvris les yeux en sursautant. J’étais en nage, mon cœur battait la chamade et un goût de cendre se répandait dans ma bouche.

— Comment tu es entré, putain ?

— J’ai toujours le double de tes clés.

Un pain de campagne sous un bras, un sac de courses sous l’autre, il revenait visiblement de l’épicerie-boulangerie du coin de la rue. J’avais du sable sous les paupières et un début de nausée. Deux nuits blanches d’affilée, c’était plus que ce que mon corps pouvait supporter. J’écrasai deux bâillements coup sur coup avant de me lever péniblement de mon fauteuil pour rejoindre Marc dans la cuisine.

Un coup d’œil à l’horloge murale : presque 8 heures. Merde. La fatigue m’était tombée dessus par surprise et m’avait emporté pendant plus d’une heure.

— J’ai une mauvaise nouvelle, annonça Marc en allumant la cafetière.

Pour la première fois depuis son irruption, je le regardai dans les yeux. Sa mine sombre ne laissait rien augurer de bon.

— Comment les choses pourraient-elles être pires ?

— Il s’agit de Clotilde Blondel.

— La proviseure du lycée ?

Il acquiesça de la tête.

— Je reviens à l’instant de Sainte-Cécile.

Je n’en croyais pas mes oreilles.

— Tu y es allé sans moi ?

— Je suis venu te chercher il y a une heure, s’agaça-t-il. Mais tu dormais comme une souche, alors, j’ai décidé de m’y rendre seul. J’ai passé la nuit à réfléchir : Blondel est l’une de nos seules pistes. Si j’ai bien compris ce que tu m’as raconté, elle en sait beaucoup plus que ce qu’elle t’a déjà dit. Je pensais qu’après avoir vu la vidéo de l’agression de sa protégée, elle prendrait peur et se mettrait à table.

Avant de poursuivre, il tassa le café moulu dans le porte-filtre.

— Mais lorsque je suis arrivé rue de Grenelle, il y avait pléthore de flics devant le portail du lycée. J’en ai reconnu certains : des mecs de la 3DPJ. Toute la bande de Ludovic Cassagne. J’ai fait profil bas pour qu’ils ne me repèrent pas et je suis resté planqué dans ma caisse jusqu’à ce qu’ils partent.

J’eus un mauvais pressentiment.

— Qu’est-ce que les policiers foutaient à Sainte-Cécile ?

— C’est le proviseur adjoint qui les a appelés : le corps de Clotilde Blondel a été retrouvé inanimé dans la cour de l’école.

J’émergeai brutalement de ma léthargie, sans être certain d’avoir tout compris.

— J’ai pu interroger le jardinier, poursuivit Marc en mettant à griller des tranches de pain. C’est lui qui a découvert Blondel en prenant son service à 6 heures ce matin. Les flics pensent que quelqu’un a balancé la directrice à travers la vitre de son bureau. Une chute de trois étages.

— Elle est… morte ?

Marc eut une moue dubitative.

— D’après ce que m’a dit le type, elle respirait encore lorsqu’il l’a trouvée, mais elle était dans un état critique.

Il sortit un calepin de la poche de son jean et chaussa ses lunettes pour déchiffrer ses notes :

— Les secours l’ont transférée en urgence à l’hôpital Cochin.

Je pris mon téléphone. Je ne connaissais personne à Cochin, mais j’avais un cousin, Alexandre Lèques, qui était responsable du pôle cardiologie de l’hôpital Necker. Je lui laissai un message sur son répondeur en lui demandant d’activer ses réseaux et de me tenir au courant de l’évolution de l’état de santé de Clotilde Blondel.

Puis je m’effondrai sur la banquette, gagné par la panique, écrasé par la culpabilité. Tout cela était ma faute. En poussant Anna dans ses retranchements, je l’avais forcée à me révéler une vérité qui ne devait pas l’être. Sans le vouloir, j’avais libéré les fantômes tragiques du passé, qui se déchaînaient à présent dans un torrent de violence.

2.

— Bi’eron, papa ! Bi’eron !

Encore ensommeillé, Théo émergea de sa chambre en trottinant devant moi et me précéda jusqu’au salon. Le sourire aux lèvres, il attrapa le biberon que je venais de lui préparer avant de s’installer dans sa nacelle.

Les yeux brillants, fixes et grands ouverts, il suçait la tétine avec avidité, comme si sa vie en dépendait. Je regardai son beau visage — ses boucles blondes, son nez retroussé, son regard aigue-marine, aussi pur que limpide — en essayant d’y puiser des forces et de l’espoir.

Sa tasse de café à la main, Marc déambulait devant mon panneau de liège.

— C’est cette photo qu’elle t’a montrée, n’est-ce pas ? devina-t-il en pointant une impression en couleurs punaisée au mur. J’approuvai de la tête. La photo représentait les corps carbonisés des trois adolescentes enlevées par Kieffer. À présent, je pouvais mettre un nom sur ces victimes : Louise Gauthier, Camille Masson, Chloé Deschanel.

— Où l’as-tu retrouvée ? demanda-t-il sans quitter l’image des yeux.

— Dans un numéro hors série de la presse régionale : un « Spécial fait divers » coédité par La Voix du Nord et Le Républicain lorrain. Le cliché illustrait une double page sur Kieffer et son « repaire de l’horreur ». Étrange d’ailleurs que le rédacteur en chef ait laissé passer une illustration comme ça.

Marc prit une gorgée de café en soupirant. Il plissa les yeux et pendant cinq minutes survola les articles que j’avais accrochés dans l’ordre chronologique.