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Sur les traces de la fille de Brooklyn.

2.

Moselle. Autoroute A 4.

Sortie 44 : Phalsbourg/Sarrebourg.

En patientant devant l’unique cabine de péage, Marc Caradec jeta un coup d’œil à sa vieille Speedmaster avant de se frotter les paupières. Sa gorge était sèche, ses pupilles dilatées. Il avait quitté Paris un peu après 11 heures, avalant plus de quatre cents kilomètres en quatre heures et demie, ne s’accordant qu’une seule pause pour refaire le plein dans une station-service au niveau de Verdun.

Le flic tendit une poignée de pièces de monnaie à l’employé de la SANEF et prit la départementale qui menait jusqu’à Phalsbourg.

Située à la lisière du parc naturel des Vosges, l’ancienne cité fortifiée était la dernière ville de Lorraine avant l’entrée sur le territoire alsacien. Marc gara son Range Rover sur la place d’Armes inondée de soleil. Il alluma une cigarette et mit sa main en visière pour se protéger de la réverbération. L’ancienne caserne en grès ocre, la statue de bronze monumentale d’un maréchal d’Empire, tout, dans les proportions hors normes de l’endroit, renvoyait à l’héritage guerrier de la ville. Une époque pas si lointaine de défilés militaires et de revues de troupes auxquels devaient se plier des gamins de vingt ans avant d’aller servir de chair à canon. Il pensa à son propre grand-père, « tué à l’ennemi » en décembre 1915, à la Main de Massiges en Champagne. Aujourd’hui, heureusement, la place était paisible. Pas de bruits de bottes ni de chants belliqueux, mais des gens souriants attablés aux terrasses, qui dégustaient des cappuccinos sous les marronniers.

Marc avait profité du long trajet depuis Paris pour aller à la pêche aux informations. Quelques coups de fil lui avaient suffi pour retrouver la trace de Franck Muselier, le gendarme qui avait donné l’alerte et était arrivé le premier sur les lieux de l’incendie de la maison de Heinz Kieffer. Le militaire commandait aujourd’hui la brigade de proximité de la gendarmerie de Phalsbourg. Marc avait contacté son secrétariat et obtenu facilement un rendez-vous. Son interlocutrice lui ayant signalé que la gendarmerie partageait ses locaux avec la mairie, il demanda son chemin à un employé de la voirie qui élaguait les arbres, puis traversa la place, dallée de pierres grises et de granit rose.

Il respirait à pleins poumons. ça faisait longtemps qu’il n’avait pas mis les pieds hors de Paris et il appréciait que son enquête le mène loin de la capitale. Pendant un moment, il s’abandonna à la quiétude de l’endroit, s’offrant un voyage dans le temps vers la Troisième République : le drapeau tricolore qui claquait au vent sur le fronton de la mairie, les cloches de l’église qui sonnaient la demie, le brouhaha de la cour de récréation de l’école communale.

Les maisons qui entouraient la place renforçaient cette impression de « force tranquille » : des façades en grès, des poutres patinées, des toits très hauts, à double pente, recouverts de tuiles en terre cuite.

Caradec pénétra dans l’hôtel de ville, un ancien corps de garde qui abritait également un musée historique et un bureau de poste. À l’intérieur du bâtiment, il fut accueilli par une fraîcheur bienvenue. Sous la haute voûte, le rez-de-chaussée ressemblait à une église, avec ses statues de marbre et ses boiseries sombres. Après s’être renseigné, il apprit que les locaux qu’il cherchait se trouvaient au dernier étage. Il emprunta un escalier en chêne à la pente raide et arriva dans un couloir qui butait sur une porte en verre.

D’aménagement plus récent, l’endroit ne débordait pas d’activité. À part une jeune femme à l’accueil, la gendarmerie paraissait déserte.

— Je peux vous aider, monsieur ?

— Marc Caradec, j’ai rendez-vous avec Franck Muselier.

— Solveig Maréchal, se présenta-t-elle en lissant une mèche blonde derrière son oreille. C’est moi que vous avez eue au téléphone.

— Enchanté.

Elle décrocha son combiné.

— Je vais le prévenir de votre arrivée.

Caradec défit un bouton de sa chemise. Sous ces toits, il faisait une chaleur d’enfer. Tout l’étage était mansardé. Les murs, bardés de bois blond, donnaient l’impression de caraméliser au soleil.

— Le lieutenant-colonel va vous recevoir dans deux minutes. Vous voulez un peu d’eau ?

Il accepta volontiers. La gendarme lui servit un verre accompagné d’une sorte de bretzel sucré à base de pâte à chou qu’il dévora à pleines dents.

— Vous êtes flic, n’est-ce pas ?

— Parce que je mange comme un cochon ?

Solveig partit dans un fou rire. Elle attendit qu’il ait terminé sa pâtisserie pour le conduire dans le bureau de son supérieur.

3.

New York.

Le numéro 6 de Bilberry Street — là où Claire avait passé toute son enfance et où sa mère était morte — était occupé par une maison couleur prune avec une porte blanche à double battant surmontée d’un fronton brisé.

Tandis que je scrutais la bâtisse depuis plusieurs minutes, une femme apparut sous la galerie. Chevelure rousse, visage très pâle constellé de taches de rousseur. Enceinte jusqu’aux yeux.

— Vous êtes le type de l’agence immobilière ? me demanda-t-elle avec un regard mauvais.

— Non, madame, pas du tout. Je m’appelle Raphaël Barthélémy.

— Ethel Faraday, dit-elle en me tendant la main à l’européenne. Vous avez un accent français, remarqua-t-elle. Vous venez de Paris ?

— Oui, j’ai pris l’avion ce matin.

— Moi, je suis anglaise, mais mes parents habitent en France depuis quelques années.

— Vraiment ?

— Oui, dans le Luberon, dans le village de Roussillon.

Nous échangeâmes quelques banalités sur la France et sur sa grossesse : c’était insupportable d’être enceinte par cette chaleur, ce n’était pas forcément une bonne idée de faire un troisième enfant à quarante-quatre ans, « d’ailleurs, je n’arrive pas à tenir debout, ça ne vous gêne pas si je m’assois ? Je viens de faire du thé glacé, vous en voulez ? ».

Visiblement, Ethel Faraday s’ennuyait et était prête à accepter n’importe quelle compagnie. C’est donc installé devant un verre, sous la galerie, que je lui avouai, du moins en partie, le but de ma visite :

— Je suis écrivain et je mène une enquête sur une jeune fille qui a passé son enfance dans votre maison.

— Vraiment ? s’étonna-t-elle. À quelle époque ?

— Dans les années 1990 et le début des années 2000. Elle fronça les sourcils.

— Vous êtes certain que c’était ici ?

— Oui, je pense. Cette maison appartenait à Joyce Carlyle, n’est-ce pas ?

Ethel approuva de la tête.

— Mon mari et moi l’avons rachetée à ses sœurs.

Ses sœurs ?

Ethel fit un signe de la main en direction de l’est.

— Angela et Gladys Carlyle. Elles vivent plus bas dans la rue, au numéro 299. Je les connais peu, pour ne pas dire pas du tout. Personnellement, je n’ai rien contre elles, mais ce ne sont pas les femmes les plus sympathiques du quartier.

— Quand leur avez-vous racheté la maison ?

Elle se mordit la lèvre inférieure tandis qu’elle réfléchissait :

— En 2007, à notre retour de San Francisco. J’étais enceinte de mon premier, justement.

– À cette date, vous saviez que quelqu’un était mort d’une overdose dans cette maison ?

Ethel haussa les épaules.

— Je l’ai appris par la suite, mais ça ne m’a fait ni chaud ni froid. Je ne crois pas à ces foutaises autour des malédictions ou des maisons hantées. Il faut bien mourir quelque part, non ?