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Elle prit une gorgée de thé puis désigna les habitations qui l’entouraient.

— Et puis, entre nous, c’est Harlem, ici ! Vous voyez toutes ces jolies maisons convoitées par les gentilles petites familles bien proprettes et branchées ? Dans les années 1980, avant d’être rénovées, elles étaient à l’abandon, squattées par les dealers ou transformées en crack house. Je vous mets au défi d’en trouver une seule dans laquelle il n’y ait pas eu une mort violente.

— Vous saviez que Joyce Carlyle avait une fille ?

— Non, je l’ignorais.

— J’ai peine à le croire.

Elle s’étonna :

— Pourquoi vous mentirais-je ?

— Sérieusement, vous n’avez jamais entendu parler de cette adolescente du quartier qui en 2005 a été enlevée dans l’ouest de la France ?

Elle secoua la tête.

— En 2005, nous vivions en Californie, dans la Silicon Valley.

En quête de fraîcheur, elle posa son verre sur son front avant de continuer :

— Je voudrais être sûre de bien comprendre : vous me dites que la fille de l’ancienne propriétaire a été enlevée, c’est ça ?

— Oui, par un monstre absolu du nom de Heinz Kieffer.

— Elle s’appelait comment ?

— Claire. Claire Carlyle.

Alors que je n’attendais plus rien d’elle, le visage déjà pâlot d’Ethel Faraday se figea et prit une couleur de craie.

— Je…

Elle commença une phrase puis s’arrêta net. Pendant quelques secondes, son regard se troubla avant de se perdre dans le vague, remontant vers des souvenirs lointains.

— En y repensant, il s’est bien passé quelque chose, reprit-elle au bout d’un moment. Un coup de fil étrange, le jour de notre pendaison de crémaillère. C’était… le 25 octobre 2007. On avait choisi cette date pour inviter nos amis parce que c’était aussi l’anniversaire de mon mari qui fêtait ses trente ans.

Pour rassembler ses souvenirs, elle marqua une nouvelle pause qui me parut interminable. Je la relançai pour l’inciter à continuer :

— Donc, ce jour-là, vous avez reçu un coup de fil…

— Il devait être aux environs de 20 heures. La fête battait son plein. Il y avait de la musique et des éclats de voix. J’étais occupée dans la cuisine, en train de planter les bougies sur le gâteau, lorsque le téléphone mural a sonné. J’ai décroché et, avant même que j’aie pu prononcer la moindre phrase, j’ai entendu une voix qui hurlait : « Maman, c’est moi, c’est Claire ! Je me suis échappée, maman ! Je me suis échappée. »

À présent, c’était moi qui me figeais, électrocuté par un frisson. Il y avait six heures de décalage horaire entre la France et la côte Est des États-Unis. Si Ethel avait reçu un tel coup de fil vers 20 heures, ça voulait dire que Claire l’avait passé vers 2 heures du matin. Soit plusieurs heures avant l’incendie. Comme nous l’avions deviné avec Marc, Claire avait bien réussi à se libérer des griffes de Kieffer, mais, contrairement à ce que nous croyions, sa libération ne remontait pas à la matinée, mais à la veille. Ce qui changeait tout…

À présent, Ethel était lancée :

— J’ai demandé qui était à l’appareil et là, en entendant ma voix, je pense qu’elle a compris qu’il ne s’agissait pas de sa mère.

Quelque chose me chiffonnait.

— Mais comment Claire a-t-elle pu tomber sur vous après tout ce temps ? En déménageant, vous n’aviez pas gardé le numéro de l’ancienne propriétaire ?

— Si justement. La ligne n’avait jamais été fermée, seulement suspendue, et lorsqu’on a contacté AT&T, ils nous ont proposé cette solution. C’était courant à l’époque. Surtout, c’était moins cher que d’ouvrir une nouvelle ligne, et comme on tirait un peu le diable par la queue…

— Et après cet appel, vous n’avez pas prévenu la police ?

Ethel ouvrit des yeux ronds, agacée :

— Qu’est-ce que vous me chantez ! Pour quelle raison l’aurais-je fait ? Je ne connaissais rien à cette histoire et je n’ai pas compris qui était cette fille.

— Et que lui avez-vous répondu ?

— Je lui ai dit la vérité : je lui ai dit que Joyce Carlyle était morte.

4.

Haute stature, voix rocailleuse et visage adipeux, Franck Muselier vint à la rencontre de Marc et lui serra la main.

— Merci de me recevoir. Marc Caradec : je suis…

— Je sais qui vous êtes, capitaine ! coupa le gendarme en lui indiquant un siège. Un crack de la BRB : le gang des Salvadoriens, la bande de la banlieue sud, les fourgons blindés de la Dream Team. Votre notoriété vous précède.

— Si vous le dites.

— En tout cas, vous nous avez bien fait rêver ! Ce n’est pas dans nos patelins qu’on a des affaires aussi bandantes.

Muselier tira un mouchoir en tissu de sa poche et s’épongea le front.

— Et en plus, on n’a même pas la clim !

Il demanda à Solveig de leur apporter deux verres d’eau et fixa son interlocuteur, un sourire placide sur le visage.

— Bon, qu’est-ce qui me vaut la visite de la BRB ?

Devant un gendarme, Caradec préféra éviter les bobards :

— Je vous préviens tout de suite pour qu’il n’y ait pas de malentendu : je suis à la retraite et je travaille pour mon compte.

Muselier haussa les épaules.

— Si je peux vous donner un coup de main, ça ne me pose pas de problème.

— Voilà, je m’intéresse à l’affaire Carlyle.

– Ça ne me dit rien, affirma-t-il en tirant sa chemise pour masquer sa bedaine.

Marc fronça les sourcils. Sa voix se fit plus ferme :

— Claire Carlyle, répéta-t-il. L’une des victimes de Heinz Kieffer. La petite dont on n’a jamais retrouvé le corps.

Le visage de Muselier s’éclaira, légèrement contrarié.

— D’accord, je comprends mieux. C’est à cause du jeune Boisseau, c’est ça ? C’est lui qui vous a engagé ?

— Pas du tout. Qui est ce Boisseau ?

— Laissez tomber, éluda le gendarme alors que Solveig refermait la porte du bureau après avoir déposé deux petites bouteilles.

Muselier ouvrit la sienne et but directement au goulot.

— Qu’est-ce que vous voulez savoir exactement sur Kieffer ? demanda-t-il, s’essuyant les lèvres du dos de la main. Vous êtes au courant que ce n’est pas moi qui ai mené l’enquête, n’est-ce pas ?

— Mais c’est bien vous qui êtes arrivé le premier sur les lieux de l’incendie. Je voudrais savoir par quelles circonstances.

Le gendarme eut un rire nerveux.

— J’aimerais vous dire que c’est grâce à mon flair, mais en réalité, tout n’est dû qu’au hasard. Si vous m’aviez prévenu du motif de vos recherches, je vous aurais retrouvé la déposition que j’avais faite à l’époque. Je pourrai vous la faxer si vous le souhaitez.

— Je veux bien. En attendant, vous pouvez toujours m’en rappeler l’essentiel.

Muselier se gratta derrière l’oreille et dans un effort presque surhumain se leva de son siège pour faire face à la carte murale accrochée derrière son bureau.

— Bon, vous connaissez un peu le coin ?

Sans attendre de réponse, il enchaîna :

— Ici, à Phalsbourg, on est à la frontière entre la Lorraine et l’Alsace, d’accord ?

Il attrapa une règle qui traînait sur son bureau et pointa une zone sur la carte : une représentation en relief de la région comme on en trouvait autrefois dans les écoles.

— J’habite côté Alsace, mais, à l’époque de l’affaire, je travaillais à la gendarmerie de Sarrebourg, en Moselle. Plus de trente bornes à se coltiner chaque matin.