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— Pas pire que les transports en commun parisiens, nota Marc.

Muselier ignora la remarque.

— Ce jour-là, en me rendant à mon boulot, j’ai aperçu une colonne de fumée noire qui provenait de la forêt. ça m’a intrigué et j’ai prévenu les secours. C’est tout.

— Il était quelle heure ?

— Aux alentours de 8 h 30.

Marc se rapprocha de la carte.

— Où se trouvait la maison de Kieffer ?

— Par là, affirma le gendarme en désignant une zone au milieu de la forêt.

— Donc, comme tous les matins, vous vous rendiez à la gendarmerie…

Caradec sortit un stylo de sa poche. Joignant le geste à la parole — mais sans décapuchonner le Bic —, il suivit sur la carte l’itinéraire emprunté par le gendarme.

— … et là, sur le coup de 8 h 30, vous avez aperçu de la fumée qui venait… d’ici.

— Oui, capitaine.

Marc resta courtois :

— J’ai déjà emprunté le col de Saverne. Honnêtement, je ne vois pas très bien comment on pourrait avoir la moindre visibilité sur cette partie-là de la forêt.

— Touché, répondit le gendarme. Comme je l’ai mentionné dans ma déposition, je ne circulais pas sur la route principale.

À nouveau, il pointa sa règle.

— J’étais sur une traverse de la D 133, à ce niveau.

— Et avec tout le respect que je vous dois, mon colonel, qu’est-ce que vous foutiez sur une route forestière aussi éloignée à cette heure si matinale ?

Muselier ne se départit pas de son sourire.

— Est-ce que vous aimez la chasse, capitaine ? Parce que moi, c’est mon grand plaisir, ma grande passion.

— Qu’est-ce qu’on chasse par ici ?

— Chevreuil, sanglier, cerf, lapin de garenne. Si vous avez de la chance, vous pouvez tomber sur des perdrix et des faisans. Bref, à cette date — c’était un vendredi matin d’octobre —, la chasse était déjà ouverte depuis quelques semaines, mais tous les week-ends précédents avaient été pourris.

Il retourna s’asseoir et poursuivit :

— Que de la flotte sans discontinuer ! Cette fois, enfin, la météo prévoyait deux jours de grand beau temps. J’appartiens au Cercle des chasseurs de Moselle et avec les copains, on avait prévu de profiter pleinement du week-end. J’étais donc sur cette route pour faire des repérages en prévision du lendemain. Vérifier l’état des sentiers et des clôtures, etc. J’aime observer le soleil qui se lève sur la forêt après la pluie, j’aime humer les odeurs de sous-bois.

Tu es gendarme, mec, pas garde-chasse, pensa Marc, mais il s’abstint de toute remarque. Huileux et tout en fausse rondeur, ce type n’était pas net, mais Marc ne trouvait pas l’angle pour lui rentrer dedans.

Il soupira discrètement et recentra la discussion :

— Donc, vous avez aperçu de la fumée depuis la route…

— Voilà. Et comme j’avais ma bagnole de service — une chouette Megane soit dit en passant —, j’ai pu prévenir par radio à la fois les collègues et les pompiers.

— Puis vous vous êtes rendu sur les lieux ?

— Oui, pour sécuriser l’arrivée des secours et être certain qu’aucun promeneur ou chasseur ne se trouvait dans les environs. Logique, non ?

— Ouais, vous avez fait votre boulot.

— C’est gentil à vous de le reconnaître.

Muselier sourit et nettoya ses Ray-Ban Aviator avec un pan de sa chemise. Caradec refusait de lâcher prise :

— Si vous me permettez encore une ou deux questions…

— Très vite, alors, répondit l’autre en consultant sa montre. Je dois rejoindre mes hommes au rond-point de l’A 4. Les agriculteurs ont installé un barrage filtrant depuis ce matin et…

Caradec le coupa :

— J’ai relu les articles de journaux de l’époque. On a relativement peu parlé du véhicule de Kieffer. Celui dans lequel on a retrouvé des traces génétiques de Claire Carlyle.

— Il n’y avait pas que les empreintes de cette fille, nota le militaire. Il y avait des traces de toutes les autres victimes. Et vous savez pourquoi ? Parce que c’est dans cette bagnole que ce malade transportait ses proies. Lorsque les TIC sont venus faire leurs relevés, j’ai pu observer ce putain de corbillard sous toutes les coutures. Kieffer y avait aménagé une sorte de cage, de coffre, comme un grand cercueil insonorisé.

Caradec fouilla dans sa poche pour en sortir un article de journal qu’il avait récupéré dans l’appartement de Raphaël.

— C’est la seule photo que j’aie pu retrouver, dit-il en la tendant au gendarme.

Muselier observa le cliché. En noir et blanc, au grain épais.

— C’est bien elle, un pick-up Nissan Navara.

— Et ça, c’est quoi, derrière ?

— C’est la moto de Kieffer. Une 125 type moto-cross. Elle était sanglée dans la benne du véhicule.

— Qu’est-ce qu’elle foutait là ?

— Comment voulez-vous que je le sache ?

— En tant que gendarme, vous devez bien avoir une explication.

Muselier secoua la tête.

— Je ne me suis jamais posé la question. Comme je vous l’ai expliqué, je n’ai pas été chargé de l’enquête. Dites, entre collègues, on pourrait se tutoyer, non ?

— Bien sûr, enchaîna Marc. Kieffer, tu le connaissais avant que l’affaire éclate ?

— Jamais rencontré, jamais entendu parler.

— Pourtant, tu chassais près de chez lui, non ?

— La forêt est immense, répondit Muselier en se levant et en attrapant sa veste. Bon, il faut vraiment que j’y aille, là.

— Une dernière question si tu permets, demanda Caradec en restant assis. Dix ans après les faits, comment peux-tu te souvenir de la marque de sa voiture ? La photo est complètement floue. Le gendarme ne se démonta pas :

— Justement, à cause de l’affaire Boisseau ! Je pensais que c’était pour ça que tu étais venu m’interroger.

— Raconte-moi.

Après une hésitation, le gendarme se rassit. Quelque chose dans cette conversation l’amusait. Dans ce jeu du chat et de la souris, il avait l’impression d’être imbattable.

— La famille Boisseau-Desprès, tu connais ? Marc secoua la tête.

— Ben, t’es pas le seul. Peu de gens les connaissent, même dans la région. Pourtant, on trouve leur nom dans la liste des cent cinquante plus gros patrimoines de France. Des gens très discrets, issus d’une vieille famille d’industriels nancéiens qui sont aujourd’hui à la tête d’un petit empire dans la distribution de matériel de BTP.

— Quel rapport avec mon affaire ?

Muselier tirait plaisir de l’impatience de son interlocuteur.

— Figure-toi qu’il y a six mois, je vois débarquer ici l’un des rejetons de la famille : Maxime Boisseau, un petit gars de vingt ans, fébrile, agité, mal dans sa peau. Il s’est assis sur le même siège que toi, me tenant un discours désordonné, m’expliquant qu’il suivait actuellement une psychanalyse et que c’était sa thérapeute qui lui avait conseillé de venir me voir pour qu’il soit enfin reconnu en tant que victime et…

Caradec s’impatienta :

— Tu me sors la version courte, s’il te plaît ?

— Faudrait savoir ce que tu veux à la fin ! Bref, j’ai écouté son histoire attentivement et voilà le topo : le 24 octobre 2007, le gamin, alors âgé de dix ans, prétend avoir été enlevé par un type en plein centre de Nancy.

— Le 24 octobre ? Deux jours avant l’incendie ?

— Tout juste ! Une opération éclair. À peine plus de vingt-quatre heures entre l’enlèvement et la remise de la rançon. Le gosse nous a dit qu’à l’époque il avait eu la présence d’esprit de retenir le numéro de la plaque d’immatriculation de son ravisseur. Neuf ans après, il nous la donne, on la rentre dans la bécane et devine quoi ?