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Les deux vendeurs étaient débordés. Sur son gilet rouge, le plus jeune avait épinglé un badge qui renseignait sur son prénom.

— Maxime Boisseau ? Capitaine Caradec, brigade de répression du banditisme, j’ai quelques questions à vous poser.

— Oui, mais je… Enfin, pas ici, bredouilla-t-il.

Maxime Boisseau faisait beaucoup plus jeune que Marc l’avait imaginé. Il avait un beau visage torturé qui ne laissait rien ignorer de ses doutes et de sa vulnérabilité. Caradec pensa immédiatement à Montgomery Clift dans ses premiers rôles : La Rivière rouge, Une place au soleil

— Tu peux prendre une pause, assura l’autre employé qui était aussi le responsable du rayon. Je vais rappeler Mélanie.

Maxime enleva son gilet aux couleurs du magasin et suivit Caradec qui jouait des coudes pour s’extraire de la cohue.

— Avec ce monde, je n’ai pas eu le temps de déjeuner, dit le libraire en arrivant sur le trottoir. Il y a un bar à sushis un peu plus haut, ça vous dit ?

— J’aurais préféré un bon steak, mais pourquoi pas.

Cinq minutes plus tard, les deux hommes étaient attablés côte à côte sur des tabourets. Le restaurant fonctionnait selon le principe du kaiten  : des petites assiettes sous des cloches en plastique défilaient sur un tapis roulant. À cette heure-ci, il venait à peine d’ouvrir et était presque vide.

— J’ai déjà tout raconté au colonel Muselier, commença Boisseau en touillant son Vittel menthe avec sa paille.

Caradec annonça la couleur d’entrée :

— Oublie ce connard. Comme tu l’as compris, ce n’est pas lui qui t’aidera.

Même si ce langage de vérité sembla ne pas déplaire au jeune libraire, il prit la défense du gendarme :

— D’un autre côté, Muselier n’a pas tort : neuf ans après les faits, mon histoire n’a plus de sens.

Marc secoua la tête.

— Non seulement elle a du sens, mais elle pourrait nous aider pour une autre affaire.

— Vraiment ?

— Laisse-moi d’abord te poser des questions et je t’expliquerai le reste ensuite, d’accord ?

Le jeune homme acquiesça. Marc déroula les grandes lignes de l’histoire telle que la lui avait racontée le militaire.

— Donc, à l’époque, tu avais dix ans, c’est ça ?

— Dix ans et demi. Je venais d’entrer en sixième.

— Tu habitais où ?

— Chez mes parents, dans un hôtel particulier de la place de la Carrière.

— Dans la vieille ville, n’est-ce pas ? Près de la place Stanislas ?

Boisseau hocha la tête et poursuivit :

— Chaque mercredi après-midi, le chauffeur de la famille me conduisait au catéchisme.

– À quel endroit ?

– À la basilique Saint-Epvre. J’avais menti à mon père sur les horaires pour avoir plus de temps devant moi. Le chauffeur me laissait rue de Guise et une fois sur deux, au lieu d’aller voir les curés, je fonçais au parc Orly. Il y avait un animateur du BIJ qui donnait des cours de théâtre aux enfants. L’accès était libre. Pas d’inscription, pas d’embrouille. C’était drôlement bien.

Marc prit une gorgée de bière au goulot et attrapa un assortiment de sashimis. Maxime continua son histoire d’une voix tremblante :

— C’est sur le chemin du retour que le type m’a chopé. Je prenais toujours un raccourci en coupant par le CHRU. Je ne l’ai pas vu arriver et en quelques secondes je me suis retrouvé enfermé à l’arrière de son 4 × 4.

— Il savait qui tu étais ?

— C’était évident. C’est d’ailleurs la première chose qu’il m’a dite : « Tout se passera bien : ton père va te faire sortir de là très vite. » Il devait me pister depuis plusieurs semaines.

— Vous avez roulé pendant combien de temps ?

— Environ deux heures. Lorsqu’on est arrivés chez lui, au milieu d’une forêt, il pleuvait et il faisait presque nuit. Il m’a d’abord enfermé dans une cabane à outils près de la maison. Je pense que j’avais de la fièvre à cause du choc. Je délirais, je hurlais, sans pouvoir m’arrêter. Pour tout dire, je me chiais dessus, vous comprenez ? Au propre comme au figuré. Il m’a foutu deux ou trois baffes puis il a décidé de me faire entrer dans la maison. D’abord, il m’a bandé les yeux, puis il m’a fait descendre plein de marches. Il a ouvert une porte, puis une autre. Pour finir, il m’a confié à une fille. Elle avait une voix très douce et elle sentait bon. L’eau de violette du linge fraîchement repassé. Elle m’a dit de ne pas enlever mon bandeau et de ne pas m’inquiéter. Elle m’a lavé avec un gant de toilette et elle m’a même bercé pour que je m’endorme.

— Cette fille, tu connais son nom ?

Boisseau fit oui de la tête.

— Elle m’a dit qu’elle s’appelait Louise.

Caradec cligna des yeux.

Louise Gauthier, la première victime, âgée de quatorze ans lors de sa disparition à la fin de l’année 2004 lorsqu’elle était en vacances en Bretagne chez ses grands-parents.

À présent, Maxime avait des sanglots dans la voix.

— Dire que pendant toutes ces années, j’ai cru que cette fille était sa complice ! Ce n’est que récemment, en lisant des articles sur ce type, Heinz Kieffer, que j’ai deviné qui elle était ! C’était…

— Je sais qui c’était. Tu as été en contact avec d’autres filles pendant que tu étais là-bas ?

— Non, juste Louise. Rien ne m’a jamais laissé penser qu’il y ait eu d’autres filles dans la maison.

Immobile, les yeux dans le vague, Maxime demeura muet pendant presque une minute.

— Tes parents ont mis combien de temps pour réunir la rançon ? voulut savoir Caradec.

— Quelques heures à peine. Kieffer n’a pas commis la bêtise de réclamer une somme démentielle. Cinq cent mille euros en petites coupures et billets non marqués. Vous le savez sans doute : la fortune de ma famille est colossale. C’est un montant que mon père n’a pas eu de difficulté à rassembler.

— Où s’est déroulée la remise de rançon ?

— Dans la forêt de Laneuveville-aux-Bois, un bled près de Lunéville.

— Comment peux-tu te souvenir de tous ces détails ?

Boisseau expliqua :

— Le lendemain, au moment de quitter sa baraque, il m’a ligoté, mais, cette fois, je n’avais pas de bandeau et j’étais avec lui, à l’avant, sur le siège passager. À mi-chemin, il s’est arrêté dans une cabine téléphonique au bord de la route. Il a appelé mon père pour lui fixer le lieu de rendez-vous.

— Lui, Kieffer, il était comment à ce moment-là ?

— Vachement fébrile, putain. Très désordonné et complètement parano. C’était de la folie de me laisser devant. Même s’il n’empruntait que des petites routes, on aurait pu me repérer. Il s’était mis une cagoule, il parlait tout seul, il était survolté. Comme s’il avait pris des trucs.

— Des médocs ? De la dope ?

— Ouais, sans doute.

— Et à quel moment as-tu vu la plaque de la bagnole ?

— Dans la lueur des phares, lorsque je suis allé rejoindre mon père.

— C’était dans la forêt, donc ? Leurs deux voitures se faisaient face ?

— C’est ça, comme dans Le Clan des Siciliens. Mon père a balancé la mallette pleine de fric, Kieffer a vérifié puis il m’a laissé repartir. Fin de l’histoire.

— Attends, attends. Quelle mallette ? Ton père a remis l’argent dans un sac, non ?

— Non, c’était une mallette d’homme d’affaires.