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— Je ne sais pas exactement ce que vous cherchez ici, mais je vous ai photocopié ça, annonça-t-elle en sortant une pochette cartonnée.

Je feuilletai les premières pages. C’étaient les pièces judiciaires qu’avait autrefois obtenues Angela grâce à l’avocat qu’elle avait engagé.

— Tout le dossier de police n’y figure pas, mais vous avez un regard neuf. Il est possible que vous découvriez un détail qui nous a échappé.

Gladys me jaugea un instant du regard, puis se décida. Elle avait autre chose pour moi.

— Et quitte à enquêter, vous pourriez faire un tour là-bas, conseilla-t-elle en me tendant une clé qui pendait à un anneau publicitaire.

— De quoi s’agit-il ?

— D’un garde-meuble dans lequel est conservée une partie des affaires de Joyce et de sa fille. Allez-y. Vous y trouverez peut-être quelque chose.

— Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?

— Quelques semaines après la mort de Joyce, nous avons loué un espace dans ce local pour y entreposer certaines de ses affaires. Le jour où nous nous sommes rendues sur place, le box que nous avions réservé n’était finalement pas disponible à cause des locataires précédents qui avaient tardé à déménager. Moyennant une ristourne, le propriétaire nous a proposé un autre local de façon transitoire.

Elle parlait tellement vite que j’avais du mal à la suivre, mais la chute de son histoire s’avérait intéressante.

— Et devinez quoi ? Le lendemain, le box qui devait nous être attribué a entièrement brûlé. ça fait beaucoup de hasards, non ?

— Qu’est-ce qu’on aurait cherché à faire disparaître ?

– Ça, c’est à vous de le trouver, monsieur le romancier.

Je la regardai sans rien dire encore quelques secondes. ça me faisait du bien parce que, par certaines expressions du visage, elle me rappelait Claire.

Elle me rappelle combien tu me manques.

— Merci de me faire confiance.

Gladys eut une moue dubitative avant de me fixer droit dans les yeux.

— Je vous fais confiance parce que je ne peux pas faire autrement, même si je ne suis toujours pas certaine que la fille dont vous me parlez soit vraiment Claire. Mais je vous préviens : il a fallu des années pour qu’Angela et moi fassions le deuil de notre sœur. Aujourd’hui, nous avons toutes les deux des enfants et je ne laisserai pas un vendeur d’espoir briser notre foyer.

— Je ne vends rien, me défendis-je.

— Vous êtes romancier. Vous vendez de belles histoires.

— On voit bien que vous n’avez pas lu mes livres.

— Si Claire est vivante, retrouvez-la, c’est tout ce que je vous demande.

2.

La pluie tombait depuis que Marc avait quitté Nancy.

Rebelote. À nouveau une heure et demie de route vers l’est, mais un trajet moins agréable que dans l’après-midi à cause des poids lourds en grand nombre et de la chaussée glissante.

Le flic retourna à la gendarmerie de Phalsbourg. Comme il le redoutait, Muselier était absent, mais Solveig faisait des heures sup, connectée à Facebook, derrière l’écran de son ordinateur.

— Alors, capitaine, vous avez décidé de passer la nuit dans notre belle région ?

Caradec n’était pas d’humeur à plaisanter :

— Où se trouve Muselier ?

— Il est rentré chez lui, j’imagine.

— C’est où exactement ?

La gendarme prit une feuille dans le bac de l’imprimante pour lui dessiner un plan rapide à main levée.

— Le colonel habite ici, expliqua-t-elle en pointant une croix avec son stylo. À Kirschatt, un lieu-dit un peu paumé entre Steinbourg et Hattmatt.

Accoudé au comptoir d’accueil, le flic se massa les tempes pour chasser un début de migraine. Tous ces noms presque jumeaux, à consonance alsacienne, commençaient à lui taper sur le système.

Il mit le plan dans sa poche, remercia Solveig et reprit la route sous la flotte. Le temps qu’il parcoure les trente kilomètres, il faisait presque nuit. Dans l’obscurité, son voyant d’huile s’alluma. La guigne ! ça faisait des mois que son Range avait une petite fuite, mais il avait pris soin de faire une « révision maison » avant de quitter Paris. Il croisa les doigts pour que ça ne s’aggrave pas. Au bout de quelques kilomètres, le voyant s’éteignit. Fausse alerte. Sa voiture était à son image : fatiguée, déglinguée, capable d’être victime de coups de mou, mais finalement increvable.

Suivant les indications de Solveig, il quitta la D 6 pour emprunter un chemin de terre étroit qui s’enfonçait dans la forêt. Au moment où il croyait s’être trompé, le passage déboucha soudain sur une petite clairière au centre de laquelle se trouvait une ferme alsacienne à colombages. Une ancienne maison paysanne, plus proche de la ruine que d’un article dans Art & Décoration.

La pluie avait cessé. Caradec se gara et fit quelques pas sur le sol boueux. Assis devant l’entrée sur une chaise basse, dans la lumière d’une ampoule à nu, Franck Muselier était en train de vider un pack de bière.

— Je t’attendais, capitaine. Je savais que tu reviendrais, assura-t-il en lui lançant une canette.

Marc l’attrapa au vol.

— Viens t’asseoir, proposa-t-il en désignant une Adirondack en cèdre qu’il avait installée à côté de lui.

Caradec préféra rester debout et alluma une cigarette. Le gendarme partit dans un éclat de rire.

— Le sac jaune, bien sûr ! C’est là que j’ai merdé, comme un bleu.

Marc ne cilla pas. Comme dans une garde à vue, Muselier était mûr. Plus la peine de multiplier les questions, il suffisait d’écouter les réponses. Petit à petit, le gendarme se mit à table.

— Il faut que tu m’imagines à l’époque. Je n’étais pas ce sac à vin que tu as devant toi. J’étais marié, j’avais un fils. J’étais un bon flic avec de l’ambition. File-moi une cigarette, s’il te plaît !

Marc lui tendit son paquet et son briquet. Muselier enflamma le bout d’une clope, aspira une longue taffe et s’en gargarisa avant de recracher la fumée.

— Tu veux savoir ce qui est vraiment arrivé ce fameux soir, n’est-ce pas ? Ce drôle de jeudi 25 octobre 2007, j’avais passé la soirée à Metz, dans l’appartement de ma maîtresse, Julie, une vendeuse des Galeries Lafayette. Tu connais l’expression : « Suis-moi, je te fuis, fuis-moi, je te suis. » Elle résumait bien notre couple. Encore une fois, nous nous étions disputés. Cette fois, nous avions forcé sur l’alcool et la coke. J’avais repris ma voiture vers minuit. J’étais soûl et complètement défoncé. Le début de ma chute.

Il tira longuement sur sa cigarette et prit une gorgée de bière avant de poursuivre :

— Je roulais déjà depuis presque une heure lorsque c’est arrivé. J’étais tellement rond que je m’étais trompé de route et je cherchais un moyen pour récupérer la départementale. C’est alors qu’elle a surgi devant ma voiture, déboulant de je ne sais où, et qu’elle s’est figée, telle une biche, dans la lumière de mes phares.

— Claire Carlyle, devina Marc.

— Je n’ai su que bien plus tard comment elle s’appelait. Elle était diaphane, simplement vêtue d’un bas de pyjama et d’un tee-shirt. C’était terrible et en même temps c’était beau. J’ai enfoncé le frein de toutes mes forces, mais je l’ai percutée et elle s’est écroulée sur le sol.

Il marqua une pause pour essuyer son nez qui coulait avec sa manche comme quand on est enfant.

— Je ne savais pas quoi faire. Je suis sorti de la bagnole et je me suis penché sur elle. C’était une gamine, une jolie métisse, très maigre. Elle devait avoir quinze ou seize ans. Un sac de toile jaune était sur le sol à côté d’elle. Au début, j’ai cru l’avoir tuée, mais, en approchant mon visage du sien, j’ai compris qu’elle respirait. Elle avait quelques écorchures, mais ne présentait pas de blessures apparentes.