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Troublé par la pulsion de vie qu’il sentait monter en lui, il garda sa réponse en réserve et composa le numéro de Raphaël. Répondeur. Message : « J’ai du nouveau. Du lourd ! Rappelle-moi pour me dire si tu as trouvé quelque chose de ton côté. »

Café, cigarette, plaisanterie avec le garagiste alors que la pluie recommençait à tomber.

Caradec se réfugia dans le Range Rover, mit le contact et vérifia les voyants du tableau de bord. Il démarra, marqua le stop à la sortie de la station et en profita pour allumer une nouvelle cigarette. Là, alors qu’il rêvassait encore au message de Malika, une vision le cueillit à froid.

Putain de bordel de merde !

La voiture qui venait de passer devant lui à toute vitesse était un X6 BMW noir. Caradec avait reconnu les vitres teintées et la double calandre chromée. Il aurait mis ses attributs à couper que c’était la voiture qui avait enlevé Claire !

Traversant la route pour s’y engager en sens inverse, Caradec prit le 4 × 4 en chasse. Il ne pouvait pas s’agir d’une coïncidence. Que faisait le SUV dans ce coin perdu ? Il parvint à le rejoindre, mais resta à bonne distance, espérant glaner d’autres informations. Pas question de se faire repérer.

Branchant la ventilation, il essuya le pare-brise embué avec sa manche. Il tombait à présent une pluie lourde et obstinée fouettée par le vent.

Juste après un virage dangereux, le X6 tourna sans mettre de clignotant pour s’enfoncer sur une route de campagne qui ne portait aucun panneau indicateur. Caradec le suivit sans hésiter.

Plus il avançait, plus l’état de la chaussée se détériorait. On n’y voyait pas à dix mètres. L’accès était étroit, cerné par les broussailles et les rochers. Même si le 4 × 4 ouvrait la piste devant lui, Marc progressait difficilement. Ce n’est que lorsqu’il s’aperçut qu’il aurait du mal à faire demi-tour qu’il comprit qu’il avait été piégé.

De fait, le X6 pila brutalement.

Armée d’un fusil à pompe, une silhouette en manteau sombre jaillit du véhicule et avança vers Caradec. Dans la lumière des phares, Marc reconnut son visage. Bon sang !

Il retint sa respiration. Dans sa tête, les traits de quatre femmes se mélangeaient : Élise, sa fille, Malika, Claire.

Face à lui, son assaillant épaula son fusil et le mit en joue.

Non, c’était trop con. Il ne pouvait pas mourir maintenant.

Pas si près du but.

Pas avant d’avoir résolu l’affaire Claire Carlyle.

Une détonation claqua, secoua la voiture et fit exploser le pare-brise du Range Rover.

13

Dans le regard des autres

Un malheur […] c’est une fange glacée, une boue noire, une escarre de douleur qui nous oblige à faire un choix : nous y soumettre ou la surmonter.

Boris CYRULNIK
1.

Je m’appelle Claire Carlyle.

Je dois avoir quinze ou seize ans. Tout dépend en fait du nombre de jours pendant lesquels je suis restée enfermée dans cette prison. Deux cents ? trois cents ? six cents ? Impossible de le savoir vraiment.

De ma cellule, je ne vois pas la lumière du jour. Je n’ai accès à aucune horloge, à aucun journal ni poste de télévision. La plupart du temps, je vis dans un brouillard d’anxiolytiques. Tout à l’heure, d’ailleurs, avant de partir — je pense qu’il s’apprêtait à sortir parce qu’il portait une grosse veste doublée et une écharpe… — , il est venu me faire une injection dans le bras. Avant, il me donnait des cachets, mais il a fini par s’apercevoir que je ne les avalais qu’une fois sur deux.

La piqûre m’a fait mal parce qu’il était nerveux et agité. Il transpirait, il jurait, il clignait des paupières sans arrêt. Il avait le visage creusé et les yeux fous. J’ai poussé un cri à cause de la douleur, ce qui m’a immédiatement valu une gifle et un coup de poing dans le thorax. Excédé, il m’a traitée de « sale petite pute », puis il a retiré l’aiguille et a quitté la pièce en claquant la porte. Comme il ne m’avait pas enchaînée, je me suis recroquevillée dans un coin de ma cellule, sous ma couverture sale.

Il fait un froid de chien. J’ai mal aux os, la morve au nez, la tête en feu. Malgré le système d’insonorisation, il me semble entendre la pluie, mais c’est impossible, alors peut-être que la pluie ne tombe que dans mon crâne. Allongée au sol, j’attends que le sommeil m’emporte, mais il ne vient pas facilement. La faute à une chanson qui joue dans ma tête. Freedom, un air d’Aretha Franklin. J’ai vraiment essayé de la faire taire, en vain. Quelque chose cloche, je ne sais pas quoi, et il me faut encore une éternité pour comprendre : il a oublié de verrouiller la porte !

Je me lève d’un bond. Depuis que je suis prisonnière, un tel oubli ne lui est arrivé que deux fois. La première, ça n’a servi à rien. D’une part parce que j’étais menottée, d’autre part parce qu’il s’en est rendu compte presque immédiatement. La deuxième fois, j’ai pu sortir dans le couloir et remonter un escalier en béton ciré qui menait à une porte protégée par un code d’accès. J’ai rebroussé chemin parce qu’il était encore dans la maison et que j’avais peur qu’il m’entende. Mais là, il était sur le point de partir !

J’ouvre la porte, je longe le couloir et je monte les marches au pas de course. Je place mon oreille contre la porte. Il n’est pas là, j’en suis certaine. Je regarde le boîtier qui luit dans l’obscurité, invitant à taper le code. Mon cœur se déchaîne dans ma poitrine. Il faut que je trouve ! En regardant la taille du petit écran rectangulaire et les nombres qui s’affichent lorsqu’on presse les touches, je conclus que la clé d’entrée ne doit pas dépasser quatre chiffres. Comme le code pin d’un portable. Je tape des suites au hasard : 0000#, 6666#, 9999#, etc. Puis je me dis que quatre chiffres, c’est parfait pour une date. Je me souviens de ce qu’il m’a affirmé un jour : « Notre rencontre a été le plus beau jour de ma vie. » ça m’avait donné envie de gerber. Ce qu’il appelle notre rencontre est le jour où il m’a enlevée, le 28 mai 2005. Sans y croire tout à fait, je tape 0528#, puis je me souviens qu’en Europe continentale les dates s’écrivent en mettant les jours avant les mois. 2805#.

Mauvaise pioche.

Pas surprenant. Le plus beau jour d’un psychopathe de ce calibre ne peut être qu’un jour qui se réfère entièrement à lui. Un jour qui lui soit consacré. Et si, comme un petit garçon, il avait tout simplement choisi son anniversaire ? Un souvenir. Un soir, quelques semaines après mon enlèvement, il a débarqué dans ma chambre avec un gâteau : une forêt-noire, sèche et cramée, nappée d’une crème écœurante. Il m’a forcée à la manger jusqu’à me faire vomir. Puis il a ouvert sa braguette et m’a réclamé son « cadeau d’anniversaire ». Pendant que j’étais à genoux, j’ai aperçu la date sur le cadran de sa montre. Le 13 juillet. Puis j’ai vomi à nouveau.

Je tape les quatre chiffres : 1307, puis je valide #. Et la porte s’ouvre. Cette fois, mon cœur menace de lâcher. Je n’ose y croire. Je m’avance dans une pièce sombre, sans prendre le risque d’allumer une lumière. Tous les volets sont fermés. Toutes les fenêtres sont closes. Il n’y a aucun bruit à part celui de la pluie qui s’abat sur le toit et les vitres. Je n’essaie même pas de hurler. Je n’ai aucune idée d’où je me trouve. Une habitation isolée bien sûr (à de très rares reprises, il m’a permis de faire quelques pas dans une sorte de pâturage clôturé derrière la bâtisse), mais dans quel endroit de France ? Et à proximité de quelle ville ?