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En y regardant de plus près, le site Web du quotidien était néanmoins toujours en service, permettant de fureter dans les archives, mais ne proposant plus de nouveaux articles. Alan Bridges, l’ancien rédacteur en chef, ainsi qu’une petite partie des journalistes avaient depuis fondé un site d’infos pure player. Financé par abonnements, le #WinterSun était une sorte de Mediapart américain, spécialisé dans le journalisme politique d’investigation. En y réfléchissant mieux, je me souvins d’avoir déjà entendu parler d’Alan Bridges et de son site lorsque, dans le sillage de l’affaire Snowden, le #WinterSun avait publié des documents fournis par d’autres lanceurs d’alerte concernant la surveillance électronique de masse orchestrée par la NSA.

Je tapai « Florence Gallo » dans le moteur de recherche du Herald pour voir quelles enquêtes elle avait menées depuis les articles réunis par Joyce.

Le résultat le plus récent me glaça.

La journaliste était morte.

2.

Ce n’est pas croyable

Je me tortillai sur ma chaise. Les archives en ligne du Herald faisaient remonter l’annonce du décès de Florence sous la forme d’un texte court paru dans l’édition du 27 juin 2005 :

C’est avec un profond chagrin que nous vous faisons part du décès brutal de notre amie et consœur Florence Gallo des suites d’un accident de base jump.

Florence avait vingt-neuf ans. Elle vivait par et pour son métier. Nous n’oublierons jamais son enthousiasme, sa bonne humeur, son caractère bien trempé, son intuition et sa détermination qui faisaient d’elle une femme et une journaliste exceptionnelle.

Tous les membres de notre rédaction sont submergés de douleur. Nous adressons toutes nos condoléances à sa famille et à ceux à qui elle était chère.

L’article était illustré d’une photo étonnante. Blondeur solaire et jeunesse triomphante, cuissardes et short de cuir, Florence prenait la pose sur sa moto. Un décalque presque parfait de la Brigitte Bardot de la fin des années 1960, période Harley Davidson et Roger Vivier.

Moi aussi, j’étais sous le choc. Alors que je pensais avoir enfin trouvé quelqu’un qui pourrait m’aider de manière décisive, voilà que j’apprenais sa mort.

Je me refis un café pendant que, dans mon esprit, les interrogations se bousculaient. Je me rassis devant l’écran et ouvris en même temps plusieurs fenêtres dans le navigateur, pour pouvoir mener des recherches en parallèle. Je savais que l’information était là, à portée de clic.

Première étape, je collectai suffisamment de renseignements pour esquisser une biographie de la journaliste. De nationalité suisse, Florence était tombée très tôt dans la marmite de l’info. Son père était reporter sportif au Matin et sa mère avait longtemps animé une émission culturelle sur les ondes de la RTS. Elle avait fait ses études secondaires à Genève, puis, à dix-neuf ans, elle avait enchaîné les stages dans différentes rédactions, dont celle de 24 heures, le quotidien du Canton de Vaud. En parallèle, elle avait poursuivi des études au CRFJ, le Centre romand de formation des journalistes. En 2002, elle avait travaillé un an à Londres pour la chaîne économique Bloomberg TV, puis elle avait traversé l’Atlantique et s’était installée à New York, où elle avait d’abord rédigé des articles pour France-Amérique, le journal francophone des États-Unis, avant d’intégrer la rédaction du New York Herald en 2004.

Deuxième fenêtre. Google images. Toutes les photos de Florence disponibles en ligne montraient une jolie fille, sportive, saine, toujours en mouvement, toujours le sourire aux lèvres. Une beauté accessible, sans arrogance, qui inspirait la sympathie. Une jeune femme un peu à l’image des articles qu’elle écrivait. J’en téléchargeai plusieurs dizaines : beaucoup de portraits, des sujets de fond et des enquêtes sur la vie politique, les questions sociales, les problèmes de société. Pas de gras, le mot juste. Sa prose était fluide et équilibrée. Bienveillante sans être complaisante. Sans concession, mais sans cynisme. Mis bout à bout, ses papiers brossaient le portrait d’un New York multiforme, complexe, kaléidoscopique. Une société américaine parfois déboussolée et en souffrance, mais traversée par une énergie et un regard tournés vers l’avenir. Surtout, il était indéniable que Florence avait le goût des autres. Elle avait de l’empathie pour les sujets de ses articles comme certains romanciers peuvent en éprouver pour leurs personnages.

À la lecture de ses textes, j’essayai de deviner le lien qui l’unissait à Joyce. Comment les deux femmes s’étaientelles connues ? Était-ce Florence qui avait contacté Joyce ou l’inverse ? Mon intuition me guidait vers la deuxième hypothèse. Après l’enlèvement de sa fille, voyant que les chances de la retrouver vivante s’amenuisaient, Joyce avait décidé de solliciter l’aide de la presse. Avec quelle idée précise derrière la tête ? Je l’ignorais encore, mais j’étais prêt à parier qu’elle s’était tout simplement tournée vers quelqu’un dont elle appréciait les articles.

Nouvelle page Web. J’avais gardé pour la fin ce qui m’avait pourtant immédiatement sauté aux yeux. La vérité la plus perturbante : la date de la mort de Florence, tellement rapprochée de celle de Joyce que j’avais du mal à croire que cela ait pu être un hasard. Je me mis en quête de renseignements plus détaillés, tout en redoutant ce que j’allais découvrir. À présent, il ne s’agissait plus seulement d’enquêter sur la disparition ou l’enlèvement de la femme que j’aimais. Il s’agissait peut-être de découvrir la vérité sur une série d’homicides restés impunis : Joyce, Florence, d’autres pourquoi pas…

Dans le tréfonds du Web, je dénichai un article un peu plus exhaustif sur la mort de Florence Gallo. Une brève parue dans un journal local de Virginie, le Lafayette Tribune :

FAITS DIVERS

Une jeune femme a été retrouvée morte, hier matin, dimanche 26 juin, dans le secteur de Silver River Bridge Park (West Virginia).

Selon la direction du parc, la victime — Mlle Florence Gallo, une journaliste new-yorkaise — a vraisemblablement raté son saut de base jump, une pratique extrême du parachutisme qui consiste à sauter d’un point fixe et non d’un avion.

L’alerte a été donnée par des randonneurs qui ont trouvé le corps de la sportive près des berges de la rivière. Florence Gallo connaissait bien la région et était une base jumpeuse aguerrie. Par le passé, elle avait déjà effectué plusieurs sauts depuis la structure en acier du pont, notamment lors des démonstrations de base jump organisées pendant les festivités du « Bridge Day ».

Il s’agissait cette fois d’un saut sans témoins qui s’est déroulé en dehors des créneaux autorisés pour pratiquer cette acti-vité. L’enquête a été confiée au bureau du shérif du comté de Fayette. La piste de l’accident est pour l’instant privilégiée. Selon les premières constatations, la voile du parachute de Mlle Gallo ne s’est pas ouverte pour une raison qui reste à déterminer.

Je regardai quelques photos du pont. Le Silver River Bridge était un spot célèbre dans le milieu des sports extrêmes. Située dans les Appalaches, l’impressionnante structure d’acier surplombait le cours d’eau de plus de trois cents mètres. Le fait que l’on puisse s’y balancer en parachute me collait des frissons.