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Marc me ramena à la réalité :

— J’ai fouillé la voiture et le bonhomme, mais je n’ai rien trouvé. Aucune trace de Claire. Aucun indice. Lacoste devait se méfier, car il n’avait même pas de portable.

— Putain ! les flics vont remonter jusqu’à toi, Marc.

Il secoua la tête.

— Non, je ne pense pas. D’abord, ils ne récupéreront pas la balle que j’ai tirée. Surtout, j’ai installé le cadavre de Lacoste sur le siège conducteur et j’ai fait un joli barbecue avec la voiture. Cette caisse est volée, j’en suis certain. Et tout ce qu’on retrouvera de Stéphane Lacoste sera une carcasse carbonisée. Avant de l’identifier, il faudra obtenir un relevé dentaire, ça prendra un temps fou.

— Et la tienne, de voiture ?

— Tu as raison, c’est le point le plus délicat. Je ne pouvais pas rouler longtemps avec mon pare-brise éclaté. J’ai parcouru prudemment dix kilomètres jusqu’à Châlons-en-Champagne. Là, j’ai piqué une bagnole, à l’ancienne, en frottant les câbles. C’était une ruine, tu me diras : une Supercinq de 1994. Tu savais qu’il en roulait encore ? Elle doit être cotée à 200 euros à L’Argus

— Mais on va retrouver ton Range Rover.

— Ne t’inquiète pas : j’ai demandé à un copain garagiste de venir le récupérer. À l’heure qu’il est, mon vieux tacot se refait une beauté à Paris.

Je fermai les yeux pour me concentrer. Il fallait que je parvienne à reconnecter certains fils.

— Ce policier, Stéphane Lacoste, à ton avis, comment est-il lié à la disparition de Claire ?

Marc sortit son carnet de sa poche et le feuilleta.

– Ça, je t’avoue que je n’en sais rien. À l’aéroport, j’ai passé plusieurs coups de fil pour y voir plus clair sur le parcours de Lacoste. Il a fait ses premières armes à la BRI d’Orléans avant de passer par la BPM et la PJ de Versailles. On le retrouve toujours dans le sillage d’un autre flic, le capitaine Richard Angeli. D’après l’un de mes anciens collègues, Angeli a essayé d’emmener Lacoste avec lui à la BRI du 36, mais l’autre a échoué aux épreuves d’entrée.

Je m’agitai dans mon fauteuil.

— Attends ! Je connais ce nom, Richard Angeli ! Je l’ai entendu très récemment.

Je fouillai dans ma mémoire, mais mon cerveau moulina à vide.

– À quelle occasion ?

— Je ne sais plus justement. ça va me revenir. Toi, ça ne te dit rien ?

— Non, je ne l’ai jamais croisé. Mais d’après ce que j’ai compris, le type a connu une carrière éclair. À peine quarante ans et des états de service élogieux. ça doit être un bon flic. On ne devient pas capitaine à l’anti-gang par hasard. Surtout à son…

D’un bond, je me levai de ma chaise et, sous le coup de l’excitation, arrachai son livre des mains de mon fils.

Surpris, Théo éclata en sanglots et trouva refuge dans les bras de Marc. Fébrile, je tournai les pages jusqu’à retrouver les notes que j’y avais griffonnées dans le taxi sur la route de l’aéroport.

— Je sais qui est Richard Angeli ! dis-je en montrant le livre à Caradec. C’était le petit ami de Marlène Delatour. Le jeune flic de la brigade criminelle de Bordeaux qui avait travaillé sur l’affaire Carlyle en 2005.

Caradec encaissa l’information puis émit une hypothèse.

Et si c’était lui ?

Lui ?

— Le détective qu’avait engagé Joyce en secret. Quoi de mieux qu’un flic français qui travaille sur l’affaire pour avoir accès à toutes les informations et mener des investigations complémentaires ?

Le scénario n’était pas absurde. J’essayai d’imaginer Joyce recrutant dans le plus grand secret ce jeune flic prometteur. Mais grâce à quel intermédiaire ? Et alors que l’enquête n’avait rien donné à l’époque, pourquoi retrouvait-on aujourd’hui l’ombre d’Angeli et de son lieutenant, Stéphane Lacoste ?

— Hello, Theo, how are you, adorable young boy ?

Je levai la tête. Marieke, la baby-sitter de mon fils, venait de débarquer dans le patio. Toujours aussi apprêtée, elle était vêtue d’une robe moulante en wax et en dentelle qui pouvait laisser penser qu’en cette période de fashion week elle venait précipitamment de quitter un podium de défilé de mode.

Théo n’avait pas été long à retrouver sa bonne humeur. Un sourire coquin aux lèvres, il faisait le joli cœur devant la belle Allemande.

Je regardai ma montre et me levai. Il était temps de me rendre à mon rendez-vous avec Alan Bridges.

15

L’affaire Joyce Carlyle

Aimez-moi plus qu’avant, puisque j’ai de la peine.

George SAND
1.

Le siège du #WinterSun occupait un étage entier du Flatiron Building, le célèbre immeuble new-yorkais reconnaissable à sa forme triangulaire rappelant celle d’un fer à repasser. Dans le soleil de la fin de matinée, les ornements en colonnes de la façade de calcaire donnaient au bâtiment des airs de temple grec.

À l’intérieur, les bureaux du #WinterSun ressemblaient à ceux d’une start-up ayant levé suffisamment d’argent pour s’offrir les services d’un décorateur à la mode. Toutes les cloisons avaient disparu au profit d’un espace de travail ouvert, organisé autour de zones de réunion informelles. Un parquet nervuré, presque blanc, courait entre les tables en bois, les tabourets, les canapés bas et les chaises Eames multicolores.

Au milieu de la pièce, derrière un comptoir, officiait un barista qui préparait des cappuccinos mousseux. Plus loin, des employés s’affrontaient autour d’une table de ping-pong et d’un baby-foot. Leur moyenne d’âge ne devait pas dépasser vingt-cinq ans. Certains donnaient même l’impression d’être des élèves s’apprêtant à passer leur bac. Côté style, il y en avait pour tous les goûts. Du hipster barbu au clone de Zuckerberg pour les garçons, tandis qu’on naviguait chez les filles entre l’uniforme perfecto-robe-printanière-chinée-dans-une-friperie-de-Williamsburg et des looks plus sophistiqués rappelant les Polaroid affichés par certaines blogueuses de mode.

Cellulaire greffé à la paume de leur main, ordinateur portable sur les genoux, tout ce joli monde pianotait en piochant des graines germées et des chips de kale dans de larges saladiers disposés sur des tables. C’était quelque chose qui ne cessait de m’étonner : à quel point, souvent, la réalité dépassait les caricatures.

— Excusez mon retard, c’est la course depuis trois jours !

Alan Bridges nous accueillit dans un français presque parfait.

Je le saluai à mon tour et lui présentai Caradec comme un ancien policier d’élite qui m’aidait dans mon enquête.

— J’aime beaucoup la France, affirma-t-il en nous serrant la main. À l’âge de vingt ans, j’ai passé une année d’études à Aix-en-Provence. C’était il y a une éternité. Giscard venait d’être élu président, vous imaginez !

La petite soixantaine fringante, le rédacteur en chef du #WinterSun était vêtu d’une chemise blanche, d’un pantalon de toile claire, d’une veste de tweed légère et de sneakers en cuir. Avec sa grande silhouette, sa voix chaude et son charisme indéniable, Alan Bridges ressemblait à son homonyme, l’acteur Jeff Bridges. C’était assez cocasse puisque j’avais lu sur Internet que son véritable nom était Alan Kowalkowski et qu’il avait pris ce pseudonyme à dix-sept ans lorsqu’il écrivait pour le journal de sa fac.