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Marc chaussa ses lunettes et sortit de sa poche un plan qu’il avait dû récupérer dans le hall de l’hôtel.

— Bon, montre-moi où se sont produits les faits le jour de la mort de Joyce.

Sur mes indications, il marqua d’une croix l’habitation de Joyce à Harlem, puis celle de Florence Gallo dans le Lower East Side, quinze kilomètres plus bas.

— Ton scénario ? me demanda-t-il en se resservant du vin.

Je réfléchis à voix haute :

— « Tu ne vas pas en croire tes oreilles » : voilà ce que Florence a lancé à Alan juste après lui avoir envoyé le mail qu’il prétend ne jamais avoir reçu.

— Hum.

— Elle n’a pas dit : « Tu ne vas jamais le croire » ou « Tu ne vas pas en croire tes yeux. » Elle lui a dit « tes oreilles ». Donc, pour moi, c’est évident : elle lui a envoyé un fichier sonore.

— On est d’accord, mais quel fichier ?

— Une conversation qu’elle venait d’enregistrer avec son téléphone.

Caradec eut une moue dubitative : peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Mais je ne me laissai pas contaminer par son scepticisme.

— Tu veux un scénario, alors en voici un. Pour commencer, Florence n’a pas enregistré Joyce à son insu.

— Qu’est-ce qui te permet de l’affirmer ?

— D’abord, ce n’est pas son genre, puis j’ai toujours pensé que c’est Joyce qui, la première, est allée trouver Florence pour lui raconter son histoire.

— Donc, tu crois qu’elles étaient de mèche pour enregistrer une troisième personne ?

— Oui, quelqu’un à qui Joyce avait donné rendez-vous dans sa maison. Voilà le plan : Joyce appâte sa proie pour la faire parler tandis qu’elle déclenche un appel sur son téléphone à carte prépayée. À l’autre bout du fil, Florence écoute et enregistre la conversation. Quand soudain…

— … la conversation dégénère en dispute, enchaîna Marc en se prenant au jeu. Peut-être que l’autre personne s’aperçoit qu’on l’enregistre. En tout cas, elle se montre violente et commence à frapper Joyce qui se met à hurler.

— Là, Florence panique. Elle descend dans la cabine téléphonique en bas de chez elle pour signaler l’agression. Exactement ce que mentionnent les documents que m’avait remis Gladys.

Alors qu’on nous apportait notre plateau d’huîtres, je sortis les photocopies de ma serviette et les tendis à Marc. Il eut de nouveau besoin de ses lunettes pour parcourir la retranscription de l’appel au 911.

Date : samedi 25 juin 2005. Heure : 3 heures de l’après-midi.

« Je vous appelle pour vous signaler une agression violente, au 6 Bilberry Street, dans la maison de Joyce Carlyle. Dépêchez-vous ! On est en train de la tuer ! »

Jusqu’ici tout s’emboîtait à merveille. Sauf que les flics s’étaient effectivement rendus sur place, six minutes plus tard, et qu’ils n’avaient rien remarqué de suspect. Je jetai un coup d’œil par-dessus l’épaule de Marc pour entourer au stylo le passage qui indiquait que les deux officiers avaient eu un accès visuel dégagé à tout l’intérieur de la maison, y compris la salle de bains, et qu’ils n’avaient relevé aucune trace d’effraction, de bagarre ni de sang.

— C’est pourtant là qu’a été découvert le corps de Joyce…, murmura Caradec.

— Oui, le lendemain. Sa sœur Angela l’a trouvée au pied du lavabo. Elle m’a affirmé elle-même qu’il y avait du sang partout dans la pièce.

— C’est troublant, admit Marc. Et ça fiche en l’air notre bel échafaudage.

Je soupirai et serrai les dents. Puis, de rage, j’abattis ma main sur le comptoir.

16

Cold case

Tempus tantum nostrum est.

Le temps seul nous appartient.

SÉNÈQUE
1.

Les éclats n’avaient pas leur place à l’Oyster Bar, et quelques habitués me lancèrent un regard réprobateur. Je tentai de maîtriser mon exaspération.

— Ces deux patrouilleurs, Powell et Gomez, ils ont menti, c’est certain !

— Je ne parierais pas forcément là-dessus, répondit Marc en étalant un peu de beurre sur un morceau de pain de seigle.

Explique-moi.

Il haussa les épaules.

— Pourquoi les flics mentiraient-ils ? Dans quel but ?

— Ils ne se sont peut-être jamais rendus sur les lieux. À l’époque, il y avait de nombreux appels fantaisistes qui… Il leva la main pour m’interrompre :

— Le message laissé par Florence était suffisamment crédible pour être pris au sérieux. Cette procédure d’intervention en cas d’agression violente est très codifiée et personne ne se serait risqué à ignorer un tel appel à l’aide. Et même dans le cas où ils auraient bâclé leur inspection, les deux flics auraient plutôt affirmé que les rideaux étaient tirés. C’était beaucoup moins risqué pour eux que cette déclaration qui les engage.

À moitié convaincu, je soupesai ces arguments avant de demander :

— Donc, quelle est ton explication ?

— Je n’en ai malheureusement aucune, répondit le flic en finissant son pain.

Puis Marc dégusta ses coquillages tout en continuant la lecture des extraits du rapport de police que m’avait remis Gladys. Son anglais était convenable, mais il me sollicitait souvent pour des termes techniques ou des tournures de phrases ambiguës.

À deux reprises, il revint sur un détail qui m’avait échappé ou plutôt dont je ne voyais pas la pertinence. Isaac Landis, le gérant d’un magasin de spiritueux situé au 2E 132Rue, avait affirmé avoir vendu une bouteille de vodka à Joyce Carlyle ce fameux samedi 25 juin, à 14 h 45. Je pris la parole :

— On sait donc avec certitude que Joyce était bien dans le quartier et qu’elle était encore vivante à cette heure-là, mais à part ça ?

D’un geste de la main, Caradec me demanda de placer le magasin en question sur le plan. Il était distinct d’à peu près sept cents mètres du 6 Bilberry Street, la maison de la mère de Claire.

— J’ai du mal à me représenter les lieux, avoua-t-il en sortant de sa réflexion. Tu sais que je n’ai jamais mis les pieds à Harlem ?

— Vraiment ? La dernière fois que tu es venu à New York, c’était quand ?

Il siffla entre ses dents.

— C’était avec Élise et la petite, lors des vacances de Pâques en 2001, quelques mois avant les attentats.

Je lui tendis mon téléphone sur lequel j’avais stocké toutes les photos du quartier que j’avais prises l’après-midi de la veille en allant à la rencontre d’Ethel Faraday et des deux sœurs Carlyle. Il les regarda méthodiquement, zoomant grâce à l’écran tactile et posant de nombreuses questions.

— Et ça, c’est où ?

— Il pointa un panneau surmontant une échoppe. « Discount Wine and Liquor — Since 1971 ».

– À l’intersection de Lenox et de Bilberry Street.

— Donc tout près de la maison de Joyce, n’est-ce pas ?

— Oui, à vingt mètres.

Les yeux de Caradec brillaient. Il était certain de tenir quelque chose, même si je ne voyais pas trop quoi. Il posa la main sur mon avant-bras.

— Si Joyce avait envie d’un petit remontant, pourquoi parcourir presque un kilomètre à pied pour acheter sa bibine alors qu’elle avait un magasin de spiritueux devant sa porte ?

Cet élément me paraissait anecdotique.

— La boutique était peut-être fermée, hasardai-je.

Il leva les yeux au ciel.