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Long silence. May soupira et revint s’asseoir en face de moi. À voir son visage défait, je devinai que le plus pénible restait à venir. Certains souvenirs sont comme un cancer : une rémission n’est pas toujours une guérison.

— Un an plus tard, j’avais quitté le Bronx, mais il y a eu d’autres affaires de ce type. Des jeunes femmes violées et torturées avant d’être exécutées. Chaque fois, l’assassin était fiché et nous faisait cadeau de ses traces génétiques. L’enquêteur qui m’avait succédé a trouvé ça un peu trop facile et il avait raison. Le diable qui se cachait derrière ces monstruosités s’appelait André de Valatte.

— Je n’en ai jamais entendu parler.

— Les criminologues et la presse l’ont surnommé « le voleur d’ADN ». C’était un infirmier canadien qui travaillait dans une structure médicale dans laquelle étaient suivis des délinquants sexuels. Notamment ceux dont il collectait méthodiquement les traces génétiques afin de les déposer sur les lieux des crimes qu’il perpétrait. André de Valatte est un tueur en série unique en son genre. Ses véritables victimes, ce n’étaient pas seulement les malheureuses jeunes femmes qu’il tuait, mais aussi les hommes qu’il faisait accuser à sa place et dont il brisait la vie. C’était ça son vrai trip.

J’étais scotché par le récit de l’ancienne flic. Cette histoire était digne d’un scénario de polar, mais je ne voyais pas en quoi elle avait un rapport avec l’assassinat de Joyce.

— C’est à cause de moi qu’Eugene s’est suicidé, se lamenta l’Asiatique. ça fait douze ans que j’ai sa mort sur la conscience et il m’est insupportable de savoir que je suis tombée dans le piège tendu par Valatte.

— Qu’est-ce que vous essayez de me dire, May ?

— Que l’ADN est la meilleure et la pire des choses. Et que, contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas une preuve en soi.

— En quoi cela concerne-t-il Joyce ?

— Il y avait une trace d’ADN sur la scène de crime, m’avoua-t-elle en accrochant mon regard. Un instant, le temps se figea. Nous y étions enfin.

— Une trace autre que celle de Joyce ou de ses sœurs ?

— Oui.

— Une trace de qui alors ?

— Je ne sais pas.

— Comment ça, vous ne savez pas ? Pourquoi vous ne l’avez pas exploitée à l’époque ?

— Parce que je sortais tout juste de l’affaire Valatte. J’étais dans une position fragile et aucun tribunal ne m’aurait suivie sur cette unique preuve.

— Pourquoi ?

Quelque chose m’échappait. May Soo-yun louvoyait et ne me disait pas tout.

— Pour le comprendre, il faudrait que vous lisiez vous-même le dossier complet de l’enquête.

— Comment puis-je l’obtenir ?

— Vous ne pouvez pas. Et de toute façon, dix ans après, tous les scellés ont été détruits.

— Les scellés peut-être, mais le dossier existe encore quelque part dans les archives du NYPD, n’est-ce pas ?

Elle approuva de la tête.

— Aidez-moi à le récupérer. J’ai lu des articles sur Transparency. Je sais qu’au sein même de la police, y compris parmi de haut gradés, vous avez des indicateurs anonymes qui vous renseignent sur certaines dérives.

Elle secoua la tête.

— Vous ne savez pas ce que vous dites. J’y allai un peu au bluff :

— Des flics qui vous aident parce qu’ils ont honte d’appartenir à une institution en laquelle les citoyens n’ont plus confiance. Une institution brutale et excessive avec les faibles. Une institution qui, pour faire du chiffre, cible toujours les mêmes communautés. Une institution qui a du sang sur les mains, mais qui bénéficie pourtant d’une impunité presque totale. Une institution qui…

Elle interrompit mon anaphore :

— D’accord ! Arrêtez ! Je vais essayer de contacter quelqu’un qui vous trouvera le dossier.

— Merci.

— Ne me remerciez pas et ne vous faites surtout pas une fausse joie. Quand vous comprendrez pourquoi je n’ai rien pu faire à l’époque, vous réaliserez que vous avez perdu votre temps et vous n’en éprouverez que de l’aigreur.

17

Florence Gallo

Et toi mon cœur pourquoi bats-tu ? Comme un guetteur mélancolique J’observe la nuit et la mort.
Guillaume APOLLINAIRE
1.

Samedi 25 juin 2005

Je m’appelle Florence Gallo.

J’ai vingt-neuf ans et je suis journaliste.

Dans huit heures, je serai morte, mais je ne le sais pas encore.

Pour l’instant, je suis assise sur la cuvette des toilettes, en train d’essayer d’uriner sur un test de grossesse. Quelques gouttes qui mettent un temps fou à venir tellement je suis anxieuse.

Lorsque enfin j’ai terminé, je me lève et je pose le bâtonnet de plastique sur le rebord du lavabo. Dans trois minutes, je saurai.

Je sors de la salle de bains, prends mon mal en patience ainsi qu’une bouteille d’eau dans le frigo. Je fais quelques pas dans le petit salon, respire profondément pour me calmer. Je m’assois sur le rebord de la fenêtre et offre mon visage au soleil. C’est un beau samedi de début d’été. Coiffée d’un ciel bleu vif et parcourue d’une brise légère, la ville vibre d’une énergie positive. Je regarde les New-Yorkais affairés qui déambulent sur le trottoir. J’entends surtout des cris d’enfants en train de jouer qui montent depuis la rue et cela me met en joie comme si j’écoutais du Mozart.

J’ai envie d’être enceinte. J’ai envie d’avoir un bébé, même si je ne sais pas comment Alan réagira. Une part de moi est folle de bonheur. Je suis amoureuse. Enfin ! J’ai rencontré l’homme que j’attendais. Je vis intensément chacun des moments que nous partageons et je suis prête à tout pour que notre histoire continue. Mais cette euphorie est teintée d’une culpabilité qui me casse les ailes. Je déteste ce que je suis : sa « maîtresse ». Une femme qui, en conscience, est venue tourner autour du mari d’une autre. Jamais je n’aurais pensé me retrouver à jouer un rôle qui me renvoie avec douleur à ma propre histoire. J’avais six ans lorsque mon père a quitté la maison pour refaire sa vie avec l’une de ses collègues. Plus jeune, plus fraîche que ma mère. J’ai détesté cette femme comme je déteste aujourd’hui cette impression que je vole son bonheur à une autre.

Le carillon du téléphone fait refluer d’un coup ces souvenirs. Une sonnerie joyeuse que je ne reconnais pas tout de suite. Et pour cause : c’est celle que j’ai attribuée à l’appareil prépayé de Joyce Carlyle dont je n’attendais pas qu’il sonne avant une bonne heure.

Je décroche, mais je n’ai pas le temps de prononcer le moindre mot.

— Florence ? C’est Joyce. Il a changé l’heure du rendez-vous !

— Comment ça ? mais…

— Il arrive ! Je ne peux pas vous parler !

Comme je la sens affolée à l’autre bout du fil, je tente de la calmer :