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Pour être tout à fait honnête, moi non plus, je n’étais pas insensible à la rhétorique du candidat. J’aimais lorsqu’il citait Steinbeck et Mark Twain dans ses discours. Lors des débats des primaires, j’avais jubilé lorsqu’il avait renvoyé Trump dans les cordes et mouché Ben Carlson. Copeland avait une feuille de route ambitieuse, il disait des choses intelligentes auxquelles j’étais sensible : la volonté de réinscrire les décisions politiques dans le long terme, celle d’être le candidat de la classe moyenne, la conviction qu’il était intenable et mortifère que la croissance de l’économie américaine ne profite désormais qu’à une infime minorité de super-riches.

Copeland était peut-être un type bien — ou du moins un des moins pires politiciens de ce pays —, mais j’étais persuadé qu’il était impliqué dans l’enlèvement de Claire. Pourtant, je choisis un autre angle pour rallier Alan à ma cause :

— Vous voulez que j’aille plus loin ? dis-je. C’est aussi Copeland ou son entourage qui sont responsables de la mort de Florence Gallo.

– ça suffit ! explosa-t-il.

Pour le convaincre, j’abattis coup sur coup mes deux cartes maîtresses : la localisation de l’appel au 911 qui correspondait à l’adresse de Florence, ainsi que l’ADN de Blunt Liebowitz, retrouvé sur les lieux du crime. La conjonction de ces deux événements plongea le journaliste dans la perplexité. Dès que le souvenir de Florence se réveillait, Alan se métamorphosait. Ses traits se durcissaient, son regard s’embrasait, ses rides se creusaient.

— Vous connaissez Liebowitz ? demandai-je.

— Bien sûr, répondit-il, agacé. Tous les journalistes politiques qui ont déjà approché Copeland savent qui est Blunt Liebowitz : son garde du corps personnel. Il gravite dans son entourage depuis longtemps. C’est l’oncle de Zorah Zorkin.

C’était la deuxième fois que j’entendais ce nom. Alan éclaira ma lanterne :

— Zorah Zorkin est l’ombre de Copeland. C’est sa directrice de campagne et sa principale conseillère. Elle l’accompagne dans tous ses déplacements. Elle a travaillé à son cabinet lorsqu’il était gouverneur et, avant ça, c’est elle qui avait manœuvré pour le faire élire à la mairie de Philadelphie. Je ne vous dis pas que Copeland est une marionnette, mais, sans Zorah, il serait encore prof de droit à Penn.

— Pourquoi je ne vois pas du tout qui c’est ?

— Parce qu’elle est discrète et que le grand public ne connaît pas vraiment les éminences grises, même si c’est en train de changer : il y a trois mois, le New York Times l’a mise en couverture de son magazine avec ce titre : « Sexiest Brain of America ». De vous à moi, je pense que ce n’est pas exagéré.

— Qu’a-t-elle de si extraordinaire ?

Alan plissa les paupières.

— Longtemps, à cause de sa dégaine, personne ne s’est méfié d’elle. Mais ce temps-là est terminé : tout le monde sait aujourd’hui que Zorkin est une joueuse d’échecs pleine de sang-froid qui a toujours plusieurs coups d’avance sur ses adversaires. Pendant la campagne pour les primaires, elle a été d’une efficacité redoutable pour récolter des fonds, en particulier auprès des patrons de la génération Facebook qui avaient fait leurs études avec elle. Alors qu’il était encore très bas dans les sondages, Copeland a pu se maintenir à flot grâce à cet argent et attendre que la tendance se retourne. Si Zorkin est donc une tacticienne et une stratège hors pair, c’est aussi une spécialiste en coups tordus, un pitbull enragé qui ne relâche jamais sa prise.

Je haussai les épaules.

— C’est comme ça partout, dis-je. Dans le business, la politique, le spectacle. Tous les hommes de pouvoir ont besoin de quelqu’un pour se salir les mains à leur place.

Tout en m’approuvant de la tête, Alan appuya sur l’Interphone pour joindre Chris et Cross.

— Les enfants, balancez-moi tout ce que vous trouverez sur l’emploi du temps du gouverneur Copeland, le samedi 25 juin 2005.

J’étais dubitatif sur cette démarche.

— Le jour de la mort de Joyce ? Dix ans après, qu’est-ce que vous espérez découvrir ?

— Tout cela me dépasse, soupira-t-il, mais vous allez voir de quoi Chris & Cross sont capables. Ils utilisent un algorithme « intelligent » qui va chercher l’information avec une rapidité fulgurante dans la presse de l’époque, les sites Web, les blogs et les réseaux sociaux. Vous le savez aussi bien que moi, avec Internet, rien ne s’efface : l’homme a créé un monstre qu’il ne maîtrise plus. Enfin, ceci est une autre histoire…

Pendant qu’il devisait, Alan avait appuyé sur la télé-commande pour jeter un œil sur les chaînes d’infos qui retransmettaient la convention républicaine.

Au Madison Square Garden, devant dix mille personnes, les orateurs se succédaient pour brosser de leur candidat un portrait élogieux. Sur plusieurs écrans géants, des personnalités du sport et du spectacle applaudissaient en poussant des exclamations ferventes et exaltées que je trouvais ridicules. L’avant-veille, les délégués du parti avaient voté pour désigner leur candidat. Dans moins d’une heure, Tad Copeland prononcerait son discours d’intronisation. Puis ce serait le traditionnel lâcher de ballons et la pluie de confettis tricolores…

— Alan, on t’envoie des trucs, annonça la voix d’Erika Cross dans l’Interphone.

Des documents commencèrent à s’afficher sur les moniteurs accrochés au mur. Chris précisa :

— Depuis 2004, l’agenda officiel du gouverneur est en accès libre sur le site de l’État de Pennsylvanie. Il suffit de savoir le récupérer. Voici donc celui de la matinée du 25 juin 2005 :

9 h-10 h 30 : Round final de négociation avec les syndicats pour entériner les mesures visant à améliorer l’efficacité des transports publics.

11 h-12 h : Rencontre avec les enseignants du lycée de Chester Heights.

— Et voici toutes les photos d’articles de presse ou de blogs que j’ai pu récupérer pour ces deux événements, annonça la rouquine.

Une série de clichés apparut sur les écrans : Copeland prenant la pose avec les syndicalistes, puis avec les profs et les élèves.

— Zorah et Blunt ne sont jamais très loin, remarqua Alan en désignant avec son stylo la silhouette massive du garde du corps et celle plus fluette d’une femme sans âge, souvent en partie masquée ou coupée sur les photos.

— Pour l’instant, rien d’anormal, dis-je.

— La suite est plus intéressante, me répondit Chris. Les deux rendez-vous suivants étaient inscrits dans l’agenda de Copeland pour l’après-midi :

12 h 30–14 h : Déjeuner et échange avec les personnels des maisons de retraite du comté de Montgomery.

15 h : Inauguration du complexe sportif Metropol dans le Northeast Philadelphie.

— Mais Copeland s’est fait porter pâle, compléta la journaliste. Dans les deux cas, il était représenté par Annabel Schivo, vice-gouverneur.

– Ça, ce n’est pas logique, admit Alan. Le Northeast a toujours été le quartier fétiche de Copeland et je connais le Metropol : c’est un projet gigantesque, pas une salle de sport en préfabriqué. Pour que Copeland loupe cette inauguration, il s’est forcément produit un événement important et imprévu.