Выбрать главу

Elle était attentive, mais pas troublée par mes révélations.

— En période de campagne électorale, je reçois une centaine de lettres anonymes de ce genre tous les matins : le gouverneur est un extraterrestre, le gouverneur est scientologue, le gouverneur est une femme, le gouverneur est un vampire, le gouverneur est zoophile. C’est le lot de tous les hommes politiques.

— Sauf que moi, j’ai des preuves.

— Je suis bien curieuse de savoir lesquelles.

Elle jeta un coup d’œil à l’écran de son cellulaire qu’elle avait posé sur la table. Son portable chauffait : des alertes partout et des textos qui clignotaient sans arrêt. Je désignai le garde du corps d’un geste du menton.

— L’ADN de votre oncle, Blunt Liebowitz, a été retrouvé sur la scène de crime de Joyce Carlyle.

Elle eut une moue dubitative.

Si c’était vraiment le cas, je pense que la police l’aurait interrogé à l’époque.

À l’époque, elle ne le savait pas. C’est différent aujourd’hui.

Je sortis de ma poche les pages arrachées au livre qu’avait retrouvé Alan.

— Il y a aussi ces photos de Joyce et du sénateur.

Elle les regarda sans montrer le moindre signe d’étonnement.

— Oui, ces photos sont connues. Elles sont très jolies d’ailleurs, mais qu’est-ce qu’elles prouvent ? Que Tad Copeland et cette jeune femme s’entendaient bien. C’est normal, non ? À ma connaissance, c’est lui qui l’avait engagée.

— Ces photos établissent un lien qui…

Elle me coupa d’un geste évasif :

— Si c’est vraiment tout ce que vous avez en magasin, vous ne trouverez personne pour écouter vos sornettes ni pour les relayer.

— Je crois au contraire que les journalistes seront ravis d’apprendre que vous avez tué froidement une de leurs consœurs, Florence Gallo.

Elle le prit avec dérision :

— J’ai eu en effet très souvent envie de tuer certains journalistes lorsqu’ils faisaient montre dans leurs articles de mauvaise foi, d’incompétence et d’indigence intellectuelle, mais je me suis toujours retenue de passer à l’acte.

Voyant que j’étais dans une impasse, je changeai de stratégie :

– Écoutez, Zorah, je ne suis pas flic, je ne suis pas juge, je suis seulement un homme qui veut retrouver la femme qu’il aime.

— C’est touchant, vraiment.

— Claire Carlyle a caché son identité pendant dix ans. Je pense même qu’elle ignore qui est son père. Relâchez-la et plus jamais vous n’entendrez parler de nous.

Elle secoua la tête d’un air moqueur.

— Vous voulez passer un marché, mais vous n’avez rien de tangible dans votre musette.

Dépité, je ne pouvais qu’admettre qu’elle avait raison. Avec Marc, nous avions mené une enquête sérieuse qui nous avait permis de reconstituer un puzzle incroyablement complexe, mais aucun des éléments que nous avions collectés ne pouvait à lui seul servir de monnaie d’échange. Nous avions mis à jour la vérité, mais il nous manquait le plus important : la preuve de la vérité.

4.

Le sanctuaire de la mémoire

Marc Caradec et Helen Kowalkowsky pénétrèrent dans la chambre de Tim avec la même solennité que dans une chapelle.

La pièce donnait l’impression que l’ado s’était juste absenté quelques heures pour se rendre au collège ou chez un copain et qu’il allait bientôt débarquer, jeter son sac à dos sur son lit avant d’aller se préparer une tartine de Nutella et se servir un verre de lait.

Une illusion à double tranchant : d’abord réconfortante puis dévastatrice. En faisant craquer le parquet, Marc s’avança au centre de la chambre éclairée par une ampoule qui grésillait.

Une drôle d’odeur de menthe poivrée traînait dans l’air. À travers la fenêtre, malgré la nuit, on apercevait le pignon menaçant du toit de la grange.

— Tim rêvait d’intégrer une école de cinéma, expliqua Helen en désignant les murs tapissés d’affiches de films.

Marc lança un regard circulaire. Au vu des affichettes, le petit avait bon goût : Memento, Requiem for a Dream, Old Boy, Orange mécanique, Vertigo…

Sur les étagères, des rayonnages de BD, des figurines de héros de comics, des piles de magazines de cinéma, des CD de chanteurs ou de groupes dont Caradec n’avait jamais entendu parler : Elliott Smith, Arcade Fire, The White Stripes, Sufjan Stevens…

Posée sur l’enceinte d’une chaîne hi-fi, un Caméscope HDV.

— Un cadeau de sa grand-mère, précisa Helen. Tim consacrait tout son temps libre à sa passion. Il réalisait des courts-métrages amateurs.

Sur le bureau, un combiné de téléphone Darth Vader, un pot à crayons, une boîte en plastique contenant des DVD vierges, un mug à l’effigie de Jessica Rabbit et un vieil iMac G3 coloré.

— Je peux ? demanda Caradec en désignant l’ordinateur.

Helen acquiesça de la tête.

— Je l’allume parfois pour regarder ses films ou ses photos. ça dépend des jours, mais, généralement, ça me fait plus de mal que de bien.

Marc s’assit sur le tabouret pivotant en métal. Il fit jouer le clip pour baisser le siège et mit l’ordinateur sous tension.

La machine émit un souffle furtif qui s’amplifia. Une invitation à saisir un mot de passe s’afficha sur l’écran.

— J’ai mis presque un an à le trouver, avoua Helen en s’asseyant à son tour sur le bord du lit. « MacGuffin ». Ce n’était pourtant pas difficile à deviner : Tim vénérait Hitchcock.

Marc entra les neuf lettres et atterrit sur le bureau et ses icônes. En fond d’écran, le gamin avait mis la reproduction d’un dessin de Dalí : Saint Georges et le dragon.

Soudain, une détonation claqua. L’ampoule du lustre venait de rendre l’âme dans une explosion qui fit sursauter Marc et Helen.

Désormais, la chambre n’était plus éclairée que par l’écran de l’ordinateur. Marc déglutit. Il ne se sentait pas très à l’aise dans cette obscurité. Un courant d’air balaya l’arrière de son cou. Il crut voir une ombre passer sur lui. Il se retourna brusquement, devinant une autre présence dans la pièce. Mais à part Hélène, fantôme fatigué au visage cireux, il n’y avait personne dans la chambre.

Il revint à l’écran et lança la messagerie. Comme l’avait précisé la mère de Tim, il n’y avait pas de connexion Internet et le compte associé n’existait plus depuis des années, mais les messages déjà téléchargés étaient restés prisonniers des entrailles de la machine. Avec la souris, Marc fit défiler les messages jusqu’à la date fatidique du 25 juin 2005.

Il sentit ses yeux picoter et ses poils se dresser sur ses avant-bras. Le mail qu’il cherchait était là, adressé par Florence Gallo. Lorsqu’il cliqua pour l’ouvrir, une onde polaire lui traversa le corps. Le message ne contenait aucun texte, juste un fichier audio, intitulé carlyle. mp3.

Une boule dans la gorge, il alluma les enceintes de l’ordinateur et lança l’enregistrement. Celui-ci était éloquent. La voix de Joyce était telle qu’il l’avait imaginée : grave, chaude, éraillée par la rage et le chagrin. Quant à la voix de l’homme qui l’avait assassinée, elle ne lui était pas inconnue. Quand Marc comprit de qui il s’agissait, il réécouta pour être certain de ce qu’il avait entendu.

Incrédule, il vérifia une troisième fois, pensant que son anglais le trahissait. Il resta pétrifié pendant quelques secondes, puis il décrocha le téléphone à l’effigie de Darth Vader et composa le numéro de Raphaël. Il tomba sur son répondeur.