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— Raph, rappelle-moi dès que tu peux. J’ai trouvé l’enregistrement effectué par Florence Gallo. Écoute un peu ça…

5.

— Si vous n’avez rien d’autre à me dire, cette conversation est terminée, monsieur Barthélémy.

Alors que Zorah s’était déjà levée, Blunt revenait vers nous, le visage fermé. Il tenait mon portable à la main.

— Son téléphone vient de sonner, expliqua-t-il à sa nièce. Comme personne n’a répondu, un dénommé Caradec a laissé un message.

— Tu l’as écouté ?

Le garde du corps hocha la tête.

— Oui, et je pense que tu devrais faire de même.

Tandis qu’elle prenait connaissance du message, je restai suspendu à l’expression de Zorah, guettant chaque battement de ses cils, traquant le moindre frémissement sur son visage impassible. Lorsqu’elle raccrocha, j’étais bien incapable de savoir ce qu’elle avait appris. C’est seulement lorsqu’elle décida de se rasseoir que je me dis que le rapport de force ne m’était peut-être plus aussi défavorable.

— Est-ce que Claire est en vie ? demandai-je.

— Oui, répondit Zorkin sans détour.

Je ne pris même pas la peine de contenir mon profond soulagement.

— Où est-elle ?

— Détenue quelque part à Paris sous la surveillance de Richard Angeli.

— Je veux lui parler immédiatement !

Zorah secoua la tête.

— On va faire comme dans les films. Claire sera libre dès que j’aurai une copie de cet enregistrement et que vous aurez détruit l’original.

— Vous avez ma parole.

— Je me fous de votre parole.

Tout ça me paraissait trop simple.

— Qu’est-ce qui vous garantit que je ne finirai pas par le rendre public ? demandai-je.

— Qu’est-ce qui vous garantit que, si Copeland et moi accédons à la Maison-Blanche, un officier des forces spéciales ne viendra pas un beau matin vous mettre une balle dans la tête ? répondit-elle.

Elle laissa le temps à sa repartie de produire tout son effet avant d’ajouter :

— Il n’y a pas de situation plus stable que l’équilibre de la terreur. Chacun de nous dispose de l’arme nucléaire et le premier qui tente de détruire son adversaire s’expose au risque d’être détruit à son tour.

Je la regardai avec perplexité. Je trouvais sa capitulation un peu rapide et je ne saisissais pas la lueur de satisfaction qui brillait dans son regard. Je crois qu’elle perçut mon trouble.

— Vous n’avez pas perdu, et c’est moi qui ai gagné, Raphaël. Vous savez pourquoi ? Parce que nous ne faisons pas la même guerre et que nous n’avons pas les mêmes ennemis.

Je me souvins de ce que m’avait dit Alan : Zorah avait toujours plusieurs coups d’avance.

— Qui est votre ennemi ?

— Vous savez comment se comportent les hommes politiques lorsqu’ils arrivent au pouvoir, Raphaël ? Ils ont souvent la tentation d’écarter tous ceux à qui ils doivent leur victoire. C’est tellement plus rassurant de croire qu’on y est arrivé seul.

— Cet enregistrement, c’est votre assurance vie, c’est ça ?

— C’est la certitude que Copeland ne pourra jamais me mettre sur la touche, car j’ai désormais de quoi l’entraîner dans ma chute.

— L’équilibre de la terreur, murmurai-je.

— C’est le secret des couples qui durent.

— Pour vous, la conquête du pouvoir excuse tout, n’est-ce pas ?

— Dans la mesure où l’exercice de ce pouvoir sera bénéfique au plus grand nombre.

Je me levai pour quitter la table de jeu d’échecs.

— Je n’ai jamais supporté les gens comme vous.

— Ceux qui agissent pour le bien de leur pays ? me nargua-t-elle.

— Ceux qui s’imaginent au-dessus d’un peuple infantilisé qui serait incapable de choisir lui-même son destin. Dans un État de droit, même la politique obéit à des règles.

Elle me regarda avec condescendance.

— L’État de droit est une chimère. Depuis la nuit des temps, le seul droit qui existe, c’est le droit du plus fort.

24

Un après-midi à Harlem

Vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit.

Honoré DE BALZAC

Harlem

Samedi 25 juin 2005

Joyce Carlyle referma derrière elle la porte de la maison dans laquelle vivaient habituellement ses deux sœurs, au 266 Bilberry Street, une ruelle atypique, coincée entre la 131et la 132Rue. C’est Tad qui, au dernier moment, lui avait demandé de changer le lieu du rendez-vous. Il se méfiait et ne voulait pas prendre le risque d’être vu devant chez elle.

D’un sac en papier kraft, Joyce sortit la bouteille de vodka qu’elle avait achetée quelques minutes plus tôt dans la boutique d’Isaac Landis. Bien qu’elle eût déjà pris plusieurs gorgées en chemin, elle avala coup sur coup deux nouvelles lampées qui lui brûlèrent la trachée sans lui apporter aucun réconfort.

En ce samedi après-midi, un vent léger faisait frémir les feuilles des marronniers, filtrant une lumière douce qui teintait les pavés de reflets mordorés. Le printemps était partout, mais Joyce ne voyait rien du dehors, ni les bourgeons sur les arbres ni les massifs de fleurs devant la maison. Elle n’était qu’un bloc sombre de tristesse, de colère, de peur.

Nouveau coup de tord-boyaux avant de fermer les stores et de sortir son téléphone pour composer en tremblant le numéro de Florence Gallo.

— Florence ? C’est Joyce. Il a changé l’heure du rendez-vous !

Son interlocutrice fut prise de court, mais Joyce ne lui laissa pas le temps d’argumenter :

— Il arrive ! Je ne peux pas vous parler !

Florence tenta de la calmer :

— Suivez exactement le plan que nous avons élaboré ensemble, Joyce. Fixez l’appareil sous la table de la salle à manger avec du ruban adhésif, d’accord ?

— Je… Je vais essayer.

— Non, Joyce, n’essayez pas, faites-le !

Dans le tiroir de la cuisine, elle trouva un rouleau de gros scotch, en découpa plusieurs bandelettes et s’en servit pour plaquer le mouchard sous un guéridon près du canapé.

Au même moment, une voiture tourna au coin de la rue : une Cadillac Escalade noire aux vitres teintées qui marqua un arrêt sous les arbres. L’une des portières arrière s’ouvrit, permettant à Tad Copeland de descendre du véhicule. Puis, pour ne pas attirer l’attention, le SUV fit demi-tour et alla se garer plus loin, à l’angle de Lenox Avenue.

Visage fermé, pull à col sombre, veston en tweed, le gouverneur ne s’attarda pas sur le trottoir et grimpa rapidement la volée de marches qui menait sous le porche du numéro 266. Il n’eut pas à sonner. Les traits tirés, les yeux brillants, le regard fou, Joyce le guettait par la fenêtre et lui ouvrit elle-même la porte.

Dès les premières secondes, Copeland comprit que la partie allait être difficile. La femme dont il était autrefois tombé amoureux, si radieuse, si vive, s’était transformée en une bombe artisanale, détrempée d’alcool, imprégnée d’héroïne, dont on avait enclenché le minuteur.

— Bonjour, Joyce, lança-t-il en refermant derrière lui.

— Je vais révéler à la presse que Claire est ta fille, attaqua-t-elle sans préambule.

Copeland secoua la tête.

— Claire n’est pas ma fille. Ce ne sont pas les liens du sang qui fondent les familles, tu le sais aussi bien que moi.

Il s’avança vers elle et prit sa voix la plus convaincante pour la raisonner :