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— J’ai fait tout ce que j’ai pu, Joyce. J’ai engagé un policier sur place, pour être tenu constamment informé de tous les progrès. La police française est compétente. Les enquêteurs font tout leur possible.

— Ce n’est pas suffisant.

Tad soupira.

— Je sais que tu as repris la dope. Je ne crois vraiment pas que ce soit le meilleur moment.

— Tu me fais surveiller ?

— Oui, pour ton bien ! Tu ne peux pas rester comme ça ! Je vais te trouver une clinique pour…

— Je ne veux pas d’une clinique ! Je veux qu’on retrouve Claire !

Un bref instant, par contraste, en la voyant hurler comme une furie, le visage défait et la bave aux lèvres, il se rappela leurs étreintes, quinze ans plus tôt, sensuelles, harmonieuses, fougueuses, délicieuses. À l’époque, il avait éprouvé pour elle une attirance infernale. Une passion physique et intellectuelle intense qui n’avait pourtant pas grand-chose à voir avec l’amour.

— Claire est ta fille et tu dois l’assumer ! rabâcha-t-elle.

— Il n’a jamais été question qu’on ait un enfant ensemble. Tu connaissais très bien ma situation. Excuse-moi de te le rappeler crûment, mais tu m’as toujours assuré que tu te protégeais. Et quand tu es tombée enceinte, tu m’as dit que tu n’attendrais rien de moi et que tu élèverais cet enfant toute seule.

— Et c’est ce que j’ai fait pendant quinze ans ! rétorqua Joyce. Mais là, c’est différent.

— Qu’est-ce qui est différent ?

— Claire a été enlevée depuis un mois et tout le monde s’en fout, bordel ! Lorsqu’on apprendra que c’est ta fille, les flics se donneront les moyens de la retrouver.

— C’est absurde.

– ça deviendra une affaire d’État. Tout le monde en parlera.

Le ton de Copeland se fit plus ferme, teinté d’exaspération et de colère :

– Ça ne changera rien, Joyce. Si cette révélation pouvait représenter une chance de plus de sauver Claire, je la ferais, mais ce n’est pas le cas.

— Tu es gouverneur des États-Unis.

— Justement, je suis gouverneur depuis cinq mois. Tu ne peux pas torpiller ma vie comme ça !

Elle explosa en larmes :

— Ce que je ne peux pas faire, c’est abandonner Claire sans réagir !

Copeland soupira. Au fond, il la comprenait. Se mettant un moment à la place de Joyce, il pensa à Natasha, sa propre fille. Sa vraie fille, celle qu’il avait élevée. Celle dont il avait préparé les biberons à 3 heures du matin. Celle pour laquelle il s’était rongé les sangs chaque fois qu’elle tombait malade. Il admettait sans mal que, confronté à son enlèvement, lui aussi aurait tout fait pour la récupérer. Y compris des actes vains et irrationnels. C’est à ce moment précis qu’il réalisa que l’enfer venait de s’ouvrir sous ses pieds et qu’il allait tout perdre : sa famille, sa fonction, son honneur. Il allait tout perdre alors qu’il n’était en rien responsable de l’enlèvement de cette gamine. Il avait toujours assumé ses actes, mais de quoi était-il question dans cette affaire ? D’une relation entre deux adultes consentants. D’une relation avec une femme qui à l’époque prônait et assumait sa liberté sexuelle. D’une société hypocrite qui stigmatisait l’adultère, mais qui s’accommodait des hécatombes liées aux armes à feu. Il n’avait pas envie de s’excuser pour son comportement, il n’avait pas envie de faire acte de repentance.

— Ma décision est prise, Tad, lança Joyce. Tu peux t’en aller à présent.

Elle lui tourna brusquement le dos, s’éloignant dans le couloir, mais Tad n’était pas disposé à baisser les bras sans réagir. Il lui courut après, la rejoignit dans la salle de bains.

— Joyce, écoute-moi ! cria-t-il en l’attrapant par les épaules. Je comprends parfaitement la peine qui te submerge, mais tu n’es pas obligée de me détruire pour autant.

En cherchant à se libérer de son emprise, elle le frappa au visage avec ses poings. Surpris, il commença à la secouer.

— Ressaisis-toi, bon sang ! Ressaisis-toi !

— C’est trop tard, s’étrangla l’autre.

— Pourquoi ?

— J’ai déjà contacté une journaliste.

— Tu as fait quoi ?

Elle hoqueta :

— J’ai rencontré une journaliste du Herald. Florence Gallo. Elle va révéler la vérité.

— La vérité, c’est que tu es une sale petite garce !

Longtemps contenue, la colère de Copeland explosait tandis que Joyce cherchait toujours à se débattre. Il la gifla.

— Au secours, Florence ! Au secours !

Animé d’une rage folle, Copeland la secoua plus fort avant de la projeter brutalement en arrière.

Joyce ouvrit la bouche pour hurler, mais elle n’en eut pas le temps. Elle tomba à la renverse, tendant désespérément le bras pour se raccrocher à quelque chose. L’arrière de son crâne percuta la vasque tranchante du lavabo. Un craquement sec, comme celui d’une branche de bois mort, résonna dans la pièce. Médusé, dépassé par son geste, Copeland resta cloué sur place. Le temps ralentit jusqu’à se figer. Longtemps. Puis il reprit son cours par brusques saccades.

Le corps de Joyce était allongé sur le sol. L’homme politique se jeta à son chevet, mais il comprit très vite qu’il était trop tard. En état de choc, il resta agenouillé une bonne minute, prostré, muet, sidéré, les mains et les bras agités de tremblements. Puis les digues sautèrent :

— Je l’ai tuée ! hurla-t-il en s’effondrant en larmes.

Il avait perdu le contrôle pendant seulement trois secondes ! Trois secondes qui venaient de faire basculer sa vie dans l’horreur.

La tête enfouie dans ses mains, il laissa la vague de panique déferler et le submerger. Puis la terreur reflua et il reprit peu à peu ses esprits. Il décrocha son portable pour prévenir la police. Il avait commencé à pianoter le numéro lorsqu’il s’arrêta net. Une interrogation le taraudait : pourquoi Joyce avait-elle hurlé pour appeler cette journaliste à la rescousse ? Il quitta la salle de bains pour retourner dans le salon. Là, il ouvrit les tiroirs et les portes de l’armoire ; il inspecta les rideaux, les bibelots et les meubles. Il mit moins de deux minutes pour trouver le portable scotché sous le guéridon et s’empressa de l’éteindre.

Cette découverte eut sur lui un effet étrange. Elle le métamorphosa, transformant ses sentiments. À présent, il n’avait plus du tout l’intention de se rendre, de courber la tête ou de faire acte de contrition. Il se persuada facilement qu’il n’était coupable de rien. À bien y réfléchir, c’était lui la véritable victime. Il allait se battre et vendre chèrement sa peau. Après tout, la vie lui avait toujours souri. Ce n’était peut-être pas aujourd’hui que sa bonne étoile allait l’abandonner.

Sur son téléphone, il composa le numéro de ladite bonne étoile, restée dans la voiture garée devant la maison.

— Zorah, viens vite ! Et amène Blunt avec toi. Discrètement.

— Qu’est-ce qui se passe, Tad ? demanda la voix à l’autre bout du fil.

— Il y a un problème avec Joyce.

Le monde se divise en deux…

Anna

Aujourd’hui

Dimanche 4 septembre 2016

Les murs suintaient. L’humidité était partout. L’air empestait le moisi et la pourriture.

Allongée sur le sol glacé, à côté d’une flaque d’eau stagnante, Anna respirait faiblement. Ses deux mains étaient menottées à une épaisse tuyauterie en fonte grise, ses chevilles ligotées par un serre-flex. Un bâillon lui déchirait la commissure des lèvres. Ses bras tremblaient, ses genoux s’entrechoquaient, ses flancs étaient ankylosés et perclus de douleur.