Выбрать главу

Pour la première fois de ma vie, je deviens réellement « la fille de Brooklyn ».

Raphaël

Tout à mon bonheur d’avoir retrouvé Claire, je n’avais pas vu passer la nuit, dormant d’un sommeil lourd et apaisé. Il faut dire que les sœurs Carlyle avaient le sens de la fête. La veille au soir, pour célébrer les retrouvailles avec leur nièce, elles m’avaient fait boire jusqu’à tard dans la nuit de nombreux verres de leur cocktail maison à base de rhum blanc et de jus d’ananas.

La sonnerie du téléphone me tira de ma léthargie. Je décrochai en émergeant difficilement et en cherchant Claire dans la chambre. Elle ne s’y trouvait pas.

— Raphaël Barthélémy ? répéta la voix à l’autre bout du fil.

Il s’agissait de Jean-Christophe Vasseur, le flic qui avait identifié les empreintes de Claire pour le compte de Marc Caradec. Hier, j’étais parvenu à dégoter son numéro et je lui avais laissé plusieurs messages sur son répondeur. En attendant l’arrivée de Claire, je m’étais repassé le film de notre histoire, inlassablement, et, dans mes tentatives pour le reconstituer, je butais sur certaines incohérences, je me perdais dans certains blancs du récit. La plupart de mes incompréhensions portaient sur le catalyseur du drame que nous venions de vivre. Une question en particulier revenait sans cesse : comment Richard Angeli, le flic à la solde de Zorah, avait-il découvert la véritable identité d’Anna Becker ? Je n’avais trouvé qu’une réponse valable : parce que Vasseur l’avait prévenu.

— Merci de me rappeler, lieutenant. Pour ne pas vous faire perdre de temps, je vais en venir directement aux faits…

Au bout d’une minute de conversation, alors que j’essayais de démêler avec lui les fils de l’histoire, je compris que Vasseur était inquiet.

— Lorsque Marc Caradec m’a demandé d’entrer des empreintes dans le FNAEG, je l’ai fait sans me méfier, me raconta-t-il. Je voulais juste rendre service à un ancien collègue.

Et empocher au passage 400 euros…, pensai-je sans l’exprimer. Inutile de braquer ce type.

— Mais j’ai été soufflé en voyant qu’elles appartenaient à la petite Carlyle, poursuivit-il. Après avoir communiqué le résultat à Marc, j’ai même totalement flippé. Cette petite entorse allait me revenir comme un boomerang et m’exploser à la gueule, c’était certain ! Pris de panique, j’en ai parlé à Richard Angeli.

J’avais donc vu juste.

— Vous le connaissez depuis longtemps ?

— C’était mon chef de groupe à la brigade des mineurs, expliqua Vasseur. J’ai pensé qu’il serait de bon conseil.

— Qu’est-ce qu’il vous a dit ?

— Que j’avais bien fait de l’appeler, et…

— Et… ?

— Qu’il allait arranger cette histoire, mais qu’il était très important que je n’évoque ces résultats avec personne d’autre.

— Vous lui avez parlé de Marc ?

Mal à l’aise, Vasseur bredouilla :

— Ben, j’étais un peu obligé…

Je venais de sortir de la chambre. Le salon de la suite était vide, comme l’était le lit de mon fils. Sur le coup, je ne m’inquiétai pas. Il était tard. Théo devait mourir de faim et Claire était descendue avec lui pour prendre le petit déjeuner. Avec l’intention de les rejoindre, j’enfilai mon pantalon, attrapai mes baskets, coinçai le combiné au creux de mon épaule et commençai à lacer mes chaussures.

— Concrètement, vous savez ce qu’a fait Angeli de votre information ?

— Pas la moindre idée, m’assura le flic. J’ai cherché à le contacter plusieurs fois, mais il ne m’a jamais rappelé.

— Vous n’avez pas essayé de le joindre directement chez lui ou à son boulot ?

— Si, évidemment, mais il n’a répondu à aucun de mes appels.

Logique. Jusqu’à présent, Vasseur ne m’avait pas fait de grande révélation. Il avait seulement confirmé mes intuitions. Alors que j’allais raccrocher, je décidai de poser une dernière question. Une façon de boucler la boucle. Sans en attendre grand-chose, je demandai :

– À quelle date avez-vous prévenu Angeli de ce que vous saviez ?

— J’ai hésité longtemps. Finalement, j’y suis allé une semaine après avoir parlé à Caradec.

Je fronçai les sourcils. Cette version ne tenait pas : il ne s’était pas écoulé une semaine, mais quatre jours à peine depuis que Marc avait relevé les empreintes de Claire dans ma cuisine sur sa tasse de thé. Quel intérêt le flic avait-il à me mentir aussi grossièrement ?

Presque malgré moi, l’ombre d’un soupçon se profila néanmoins dans mon esprit.

— Je ne comprends pas, Vasseur, quel jour Marc vous a-t-il demandé d’effectuer la recherche d’empreintes ?

Le flic répondit sans hésitation :

— Il y a douze jours exactement. Je m’en souviens très bien parce que c’était le dernier après-midi de vacances que je passais avec ma gamine : le mercredi 24 août. Le soir même, j’ai conduit Agathe à la gare de l’Est où elle a pris le train pour rentrer chez sa mère. C’est là que j’avais donné rendez-vous à Caradec : Aux Trois Amis, un bistrot en face de la gare.

Depuis plusieurs secondes, j’avais cessé de lacer mes chaussures. Au moment où je m’y attendais le moins, une partie de ma vie venait encore de sortir de ses rails.

— Et quand lui avez-vous communiqué les résultats ?

— Deux jours plus tard, le 26.

— Vous êtes sûr de ça ?

— Bien sûr, pourquoi ?

J’étais sidéré. Marc savait donc depuis dix jours qui était Claire ! Il avait réalisé à mon insu une prise d’empreintes de ma compagne bien avant qu’elle ne disparaisse. Puis il avait joué toute cette comédie depuis le début. Et moi, naïf, je n’y avais vu que du feu.

Mais pour quelle raison, bordel ?

Alors que je m’interrogeais sur ses motivations, un double appel m’obligea à interrompre ma réflexion. Je remerciai Vasseur et pris la communication.

— Monsieur Barthélémy ? Je suis Malika Ferchichi. Je travaille au foyer d’accueil médicalisé Sainte-Barbe à…

— Bien sûr, je vois très bien qui vous êtes, Malika. Marc Caradec m’a parlé de vous.

— J’ai eu votre numéro par Clotilde Blondel. Elle vient de sortir du coma, elle est encore très faible, mais elle voulait être rassurée sur la sécurité de sa nièce. C’est dingue que personne ne nous ait prévenus de son agression ! Au foyer, on s’est inquiétés de ne pas la voir !

La jeune femme avait une voix peu commune. À la fois grave et claire.

— En tout cas, je suis soulagé de savoir que Mme Blondel va mieux, dis-je. Même si je ne comprends pas très bien pourquoi elle vous a donné mon numéro…

Malika laissa un silence, puis :

— Vous êtes un ami de Marc Caradec, c’est ça ?

— C’est exact.

— Est-ce que… ? Est-ce que vous connaissez son passé ?

Je me dis que, depuis cinq minutes, j’avais l’impression de ne plus le connaître du tout.

– À quoi faites-vous allusion exactement ?

— Vous savez pourquoi il a quitté la police ?

— Il a pris une balle perdue lors d’une intervention : le casse d’une bijouterie près de la place Vendôme.

— C’est exact, mais ce n’est pas la vraie raison. À ce moment-là, ça faisait déjà un certain temps que Caradec n’était plus que l’ombre de lui-même. Après avoir été un grand flic, il enchaînait depuis des années les arrêts maladie et les séjours au Courbat.

— Le Courbat ? Qu’est-ce que c’est ?