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— Non ! se défendit Claire.

— Pourquoi n’as-tu pas donné l’alerte lorsque tu as réussi à t’échapper ?

— Raphaël m’a dit que vous aviez mené l’enquête avec lui. Vous savez très bien pourquoi je n’ai prévenu personne : je venais d’apprendre que ma mère était morte ! Je ne voulais pas devenir un phénomène de foire. J’avais besoin de me reconstruire dans le calme.

Le regard fou, Caradec lui fit face.

— C’est justement parce que j’ai mené une enquête approfondie que j’ai acquis la conviction que tu mérites de mourir. Je voulais vraiment te tuer, Claire. Comme j’ai tué le gendarme de Saverne, cette pourriture de Franck Muselier.

Soudain, l’enchaînement des événements se dessinait, limpide, pour Claire.

— Et comme vous avez essayé de tuer Clotilde Blondel ?

— Blondel, c’était un accident ! se défendit Marc en haussant la voix. J’étais venu l’interroger, mais elle a cru que je voulais l’agresser et elle a traversé la vitre en s’enfuyant. N’essaie pas d’inverser les rôles. La seule vraie coupable, c’est toi. Si tu avais prévenu de ton évasion, Louise serait encore là. Camille et Chloé aussi !

Écumant de rage, Marc attrapa Claire par le bras et lui cria toute sa peine :

— Un simple coup de fil ! Un message anonyme laissé sur un répondeur ! ça t’aurait pris une minute et tu aurais sauvé trois vies ! Comment oses-tu prétendre le contraire ?

Effrayé, Théo se mit à geindre, mais, cette fois, il ne trouva personne pour le consoler. Claire se dégagea de l’emprise de Marc et lui répondit sur le même ton :

— La question ne s’est jamais posée en ces termes. Je n’ai jamais pensé une seule seconde qu’il pouvait y avoir d’autres personnes détenues avec moi !

— Je ne te crois pas ! rugit-il.

Théo sanglotait maintenant, spectateur de leur affrontement.

— Vous n’étiez pas dans cette putain de maison avec moi ! hurla Claire. J’ai passé 879 jours enfermée dans une pièce de douze mètres carrés. Le plus souvent enchaînée. Parfois avec un collier en ferraille autour du cou ! Vous voulez que je vous dise la vérité ? Oui, c’était atroce ! Oui, c’était l’enfer. Oui, Kieffer était un monstre ! Oui, il nous torturait ! Oui, il nous violait !

Pris au dépourvu, Marc baissa la tête et ferma les yeux, comme un boxeur acculé dans un coin du ring.

— Kieffer ne m’a jamais parlé d’autres filles, vous m’entendez, JAMAIS ! assura Claire. J’étais enfermée tout le temps. En deux ans, j’ai dû voir le soleil à cinq reprises et pas une fois je n’ai songé que je pouvais ne pas être seule dans cette prison. Malgré ça, je porte cette culpabilité en moi depuis dix ans et je crois que je la porterai toujours.

La jeune femme baissa d’un ton, recouvrant son sang-froid, et se pencha pour prendre Théo dans ses bras. Tandis que le petit garçon se blottissait contre elle, pouce dans la bouche, elle poursuivit sur un ton plus grave :

— Je comprends votre rage devant cette injustice. Tuez-moi si vous pensez que cela allégera le moins du monde votre peine. Mais ne vous trompez pas de combat, Marc. Il n’y a qu’un coupable dans cette affaire, c’est Heinz Kieffer.

Mis au pied du mur, Caradec resta silencieux, cloué sur place, les yeux fixes et exorbités. Il demeura ainsi deux bonnes minutes, immobile dans le vent glacé. Puis, lentement, le flic en lui refit son apparition. Sans qu’il sache trop pourquoi, un détail apparemment sans importance traînait toujours au fond de son esprit. Une question qui était demeurée sans réponse. Une simple interrogation revenue à deux reprises dans l’enquête. Et deux, pour un flic, c’est une fois de trop.

— Avant d’être enlevée, tu disais tout le temps que tu voulais devenir avocate, fit-il remarquer. C’était quelque chose de très ancré en toi.

— C’est exact.

— Mais après ton évasion, tu as changé radicalement de projet professionnel. Tu as voulu faire ta médecine envers et contre tout. Pourquoi ce… ?

— C’est à cause de votre fille, l’interrompit Claire. À cause de Louise. C’est ce qu’elle a toujours voulu devenir, n’est-ce pas ?

Marc sentit le sol se dérober sous ses pieds.

— Comment tu sais ça ? Tu m’as dit que tu ne la connaissais pas !

— Depuis, j’ai appris à la connaître.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

Claire reposa Théo et sortit de son sac à dos le grand cahier bleu à la couverture cartonnée.

— Je l’ai trouvé dans le sac de Kieffer, expliqua-t-elle. C’est le journal de Louise. Je ne sais pas exactement pourquoi il était là, avec l’argent de la rançon de Maxime Boisseau. Kieffer l’avait sans doute repris à votre fille. C’est quelque chose qu’il faisait souvent : il nous laissait écrire, mais nous confisquait ce que nous couchions sur le papier.

Elle tendit le cahier à Caradec, mais le flic demeura immobile, pétrifié, incapable du moindre mouvement.

— Prenez-le. Il est à vous à présent. Pendant sa détention, Louise vous a beaucoup écrit. Au début, elle rédigeait une lettre presque chaque jour.

Caradec attrapa le journal d’une main tremblante tandis que Claire reprenait Théo dans ses bras. Au loin, au début de la promenade, elle aperçut Raphaël qui courait dans leur direction.

— Viens, on va voir papa, dit-elle au petit garçon.

Marc s’était assis sur un banc face à la mer. Il ouvrit le cahier et en parcourut quelques pages. Il identifia tout de suite l’écriture serrée et pointue de Louise et les motifs qu’elle avait l’habitude de gribouiller : des oiseaux, des étoiles, des roses entrelacées d’ornements gothiques. Dans les marges, à côté des dessins, on trouvait quantité de vers griffonnés. Des extraits de poèmes ou de textes que lui avait fait apprendre sa mère. Marc reconnut Hugo (« Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière »), Eluard (« J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres »), Saint-Ex (« Tu auras de la peine. J’aurai l’air d’être mort et ce ne sera pas vrai ») et Diderot (« Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime »).

L’émotion lui serra la gorge. La douleur était revenue, fulgurante, asphyxiante, dévastatrice. Mais elle charriait avec elle un cortège de souvenirs qui se réveillèrent pour jaillir tel un geyser brûlant irriguant son esprit engourdi.

À nouveau, Marc entendait Louise.

Il reconnaissait son rire, son énergie, les inflexions de sa voix.

Elle était tout entière entre ces pages.

Elle vivait entre ces pages.

Louise

J’ai peur, papa…

Je ne vais pas te raconter d’histoires : j’ai les membres qui tremblent et le cœur qui se déchire. J’ai aussi souvent l’impression que Cerbère est en train de me dévorer le ventre. Je l’entends aboyer, mais je sais que tout ça n’existe que dans ma tête. J’ai peur, mais, comme tu me l’as toujours répété, j’essaie de ne pas avoir peur de ma peur.

Et lorsque la panique menace de me submerger, je me dis que tu vas venir me chercher.

Je t’ai vu travailler, je t’ai vu rentrer tard à la maison. Je sais que tu ne te décourages jamais, je sais que tu ne lâches jamais une affaire. Je sais que tu vas me retrouver. Tôt ou tard. C’est cela qui me fait tenir et qui me permet de rester forte.

On ne s’est pas toujours compris, toi et moi. Ces derniers temps, on ne se parlait presque plus. Si tu savais comme je le regrette aujourd’hui. Nous aurions dû nous dire plus souvent que nous nous aimions et que nous comptions l’un pour l’autre.