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Sans me laisser terminer ma phrase, Marc braqua son volant à fond. Dans un concert de klaxons et de crissements de pneus, il fit un demi-tour dangereux, coupant le passage à deux véhicules qui pilèrent pour éviter de justesse l’accident.

— Tu es complètement inconscient !

Le flic secoua la tête et, non content de cette première infraction, escalada le trottoir pour y immobiliser le Range Rover.

— On ne peut pas se garer ici, Marc !

— On est la police, trancha-t-il en tirant son frein à main.

Il abaissa le pare-soleil sur lequel était fixée une plaque « Police nationale ».

— Qui va croire que des flics roulent dans ce tapecul ? demandai-je en claquant ma portière. D’ailleurs, tu n’es même plus flic…

Il sortit sa clé universelle de la poche arrière de son jean.

— Flic un jour, flic toujours, dit-il en ouvrant la porte qui permettait d’accéder au hall d’entrée.

Miracle : depuis ma dernière venue, on avait réparé l’ascenseur. Avant de monter, j’insistai pour aller jeter un coup d’œil au parking souterrain. La Mini d’Anna était garée à sa place. Retour à l’ascenseur. Douzième étage. Couloir désert. À nouveau, après avoir sonné, je tambourinai à la porte sans plus de succès qu’auparavant.

— Pousse-toi, ordonna le flic en prenant son élan.

— Attends, ce n’est peut-être pas utile d’enfoncer la…

2.

La porte céda au deuxième coup d’épaule.

Caradec avança dans le couloir et en quelques coups d’œil cerna l’espace, moins de quarante mètres carrés bien aménagés. Parquet en chêne, intérieur crème, nuancé de touches pastel, salon meublé à la scandinave, cuisine ouverte, dressing qui courait jusqu’à la chambre.

Un appartement vide et silencieux.

Je revins sur mes pas pour examiner la gâche et le montant. La porte avait cédé facilement parce qu’aucun des deux verrous n’était fermé. La dernière personne à avoir quitté l’appartement s’était donc contentée de claquer la porte sans la verrouiller. Pas vraiment dans les habitudes d’Anna.

Deuxième surprise, le sac de voyage d’Anna gisait dans l’entrée, au milieu du couloir. Un cabas zippé en veau tressé, bardé de pièces de cuir coloré. Je m’agenouillai pour explorer ses compartiments, mais n’y trouvai rien de remarquable.

— Donc Anna est bien rentrée de Nice…, commença Caradec.

— … avant de s’évaporer à nouveau, me désolai-je.

Dans une bouffée d’angoisse, j’essayai de la rappeler sur son portable, mais tombai sur la messagerie.

— Bon, on fouille l’appartement ! décida Marc.

Vieux réflexe du flic en perquise, il était déjà en train de démonter la chasse d’eau.

— Je ne sais pas si on a le droit de faire ça, Marc.

N’ayant rien découvert dans la salle de bains, il migra vers la chambre.

— Je te signale que c’est toi qui as commencé ! Si tu n’avais pas fouiné dans le passé de ta copine, tu serais en ce moment avec elle sur la Côte d’Azur en train de te dorer la pilule.

— Ce n’est peut-être pas une raison pour…

— Raphaël ! me coupa-t-il. En interrogeant Anna, tu as eu une intuition qui s’est révélée juste. À présent, il faut que tu termines le boulot.

Je regardai la chambre. Un lit en bois clair, une armoire remplie de fringues, une bibliothèque croulant sous les bouquins de médecine, les dictionnaires et autres livres de grammaire qui m’étaient familiers : le Grevisse, le Hanse, le Bertaud du Chazaud. Quelques romans américains, aussi, en version originale : Donna Tartt, Richard Powers, Toni Morrison…

Après avoir examiné les lattes du sol, Marc entreprit de retourner les tiroirs.

— Occupe-toi de son ordinateur ! demanda-t-il en constatant que je restais immobile. Moi, je n’y connais pas grand-chose en informatique.

Je repérai le MacBook sur le comptoir du bar qui faisait office de séparation entre la partie cuisine et le salon.

Depuis que j’avais rencontré Anna, je n’avais dû venir ici que cinq ou six fois. Cet appartement était son repaire et l’ambiance de la pièce dans laquelle j’évoluais était à son image : élégante, sage, presque ascétique. Comment avais-je réussi à la mettre en colère au point qu’elle disparaisse ?

Je m’installai devant l’écran et appuyai sur une touche pour activer la machine. Accès direct au bureau sans mot de passe. Je savais que ça ne servait à rien. Anna ne faisait pas confiance aux ordinateurs. Si elle avait vraiment quelque chose à cacher, je doutais de le trouver dans les entrailles d’un Mac. Par acquit de conscience, je commençai par faire défiler les mails. Essentiellement des messages en relation avec ses cours et ses stages à l’hôpital. Dans sa bibliothèque multimédia, du Mozart en pagaille, des documentaires scientifiques et les dernières séries télé que nous regardions ensemble. Historique de navigation : sites d’info, sites institutionnels et des tonnes de pages consacrées à des recherches portant sur le thème de son mémoire (Résilience : facteurs génétiques et épigénétiques). Rien de marquant dans le reste du disque dur presque entièrement rempli de notes, de tableaux, de documents PDF et de présentations PowerPoint ayant trait à ses études. L’ordinateur n’était pas intéressant par ce qu’on pouvait y trouver, mais plutôt par ce qui ne s’y trouvait pas : aucune photo de famille, pas de films de vacances, pas de mails attestant l’existence d’un véritable réseau d’amis.

— Il faut que tu jettes un coup d’œil à cette paperasse, m’annonça Caradec en revenant dans la pièce, les bras chargés de cartons remplis de dossiers regroupant des documents administratifs : fiches de paie, factures, quittances de charges et de loyer, relevés de banque…

Il posa les boîtes sur la table, puis me tendit une pochette plastifiée.

— J’ai aussi dégoté ça. Rien sur l’ordinateur ?

Je secouai la tête et regardai à l’intérieur du film plastique. Il s’agissait d’une traditionnelle photo de classe comme on en faisait de l’école maternelle au lycée. Sur le cliché, une vingtaine de jeunes filles bon chic bon genre prenaient la pose dans une cour de récréation. Un professeur, une femme d’une quarantaine d’années, accompagnait le groupe. L’élève assise au milieu tenait une ardoise sur laquelle était inscrit à la craie :

Lycée Sainte-Cécile
Terminale S
2008–2009

Au dernier rang, je reconnus tout de suite « mon » Anna. Tout en réserve et en retenue. Le regard un peu détourné, les yeux légèrement baissés. Sourire sage, pull marine en V sur un chemisier blanc fermé jusqu’au dernier bouton. Toujours cette volonté de se rendre transparente, de gommer sa sensualité pour faire oublier sa beauté saisissante.

Ne pas se faire remarquer. Ne pas susciter le désir.

— Tu connais cette école, Sainte-Cécile ? demanda Marc en sortant son paquet de cigarettes.

Je fis une recherche rapide sur mon téléphone. Située rue de Grenelle, Sainte-Cécile était une institution religieuse des beaux quartiers. Un lycée privé catholique et sélect qui scolarisait uniquement des filles.

— Tu étais au courant qu’Anna avait fréquenté cet endroit ? Tout ça ne cadre pas vraiment avec le portrait de la petite fille pauvre de Saint-Nazaire, reprit Marc en allumant sa clope.

Nous nous plongeâmes dans les « archives » contenues dans les cartons. En recoupant les différents documents, nous parvînmes à reconstituer le parcours d’Anna.