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Elle vivait à Montrouge depuis deux ans. Elle avait acheté cet appartement en 2014, lors de sa troisième et dernière année d’externat. Un bien payé à l’époque 190 000 euros, financés par un apport de 50 000 euros ainsi que par un emprunt sur vingt ans. L’accession classique à la propriété.

En 2012 et 2013, elle avait loué un studio dans un immeuble de la rue Saint-Guillaume.

Plus tôt, en 2011, on trouvait des quittances de loyer pour une chambre de bonne de l’avenue de l’Observatoire, établies par un certain Philippe Lelièvre.

La piste s’arrêtait là. Impossible de savoir où avait vécu Anna lors de sa première année de médecine et de ses années de lycée. Chez son père ? Dans une résidence du CROUS ? Dans une autre chambre de bonne payée au black ? À l’internat de son lycée ?

3.

Caradec écrasa son mégot dans une soucoupe et poussa un soupir. Pensif, il alluma la cafetière colorée posée sur le comptoir et y inséra une capsule. Pendant que l’eau chauffait, il continua à passer en revue les documents restants. Il s’arrêta sur la photocopie d’une vieille carte d’assuré social, plia la feuille et la mit dans sa poche. Puis il inspecta sans succès le four, la hotte aspirante, sonda le parquet et les cloisons.

Sans me demander mon avis, il nous prépara à chacun un ristretto mousseux. Il dégusta son arabica les yeux dans le vague. Quelque chose le chiffonnait, mais il ne savait pas encore quoi. Il demeura silencieux une minute, jusqu’à ce qu’il trouve.

— Regarde le lampadaire.

Je me tournai vers l’halogène planté dans un coin du salon.

— Oui ?

— Pourquoi l’avoir branché à l’autre bout de la pièce alors qu’il y a une triple prise dans la plinthe, juste à son pied ?

Pas con…

Je m’approchai du luminaire, m’agenouillai et tirai sur le boîtier de la triple prise qui me resta dans les mains. Comme l’avait deviné Caradec, il n’était relié à aucun câble. Je me couchai sur le sol, passai l’avant-bras dans l’espace libéré et parvins à faire pivoter puis à retirer la plinthe.

Quelque chose était caché derrière la bande de bois.

Un sac.

4.

C’était un gros balluchon en tissu jaune orné du logo circulaire de la marque Converse. Recouverte d’une fine couche de poussière, sa toile s’était décolorée. Autrefois moutarde, elle affichait à présent un teint pisseux qui trahissait son âge.

Le sac était trop lourd pour être honnête. Aussi excité qu’angoissé, j’ouvris la fermeture Éclair en redoutant ce que j’allais y trouver.

Putain !

J’avais raison de m’inquiéter.

Il était rempli de liasses de billets de banque.

Je reculai d’un pas comme si le fric était vivant et allait me sauter au visage.

Caradec renversa le contenu sur la table — principalement des coupures de 50 et 100 euros. L’argent s’éparpilla sur le comptoir, formant une pyramide affaissée aux fondations précaires.

— Il y en a pour combien ?

Il compta quelques liasses et plissa les yeux en effectuant un calcul mental :

– À vue de nez, je dirais environ 400 000 euros.

Anna, qu’est-ce que tu as fait ?

— D’où vient ce fric selon toi ? demandai-je, sonné.

— Pas des consultations d’Anna à l’hôpital en tout cas.

Je fermai les paupières un instant en me massant la nuque. Une telle quantité de cash pouvait provenir d’un braquage, de la vente d’une quantité astronomique de drogue, d’un chantage auprès d’une personne très fortunée… Quoi d’autre ?

À nouveau la photo des trois cadavres carbonisés fit irruption dans mon esprit. Il y avait forcément un lien avec cet argent. Mais lequel ?

— Tu n’es pas au bout de tes surprises, mon gars.

À l’intérieur du sac, dans une poche latérale zippée, Caradec venait de trouver deux cartes d’identité illustrées d’une photo d’Anna à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans. La première était au nom de Pauline Pagès, la deuxième de Magali Lambert. Deux noms qui m’étaient inconnus.

Marc me les reprit des mains pour les observer attentivement.

— Elles sont fausses, naturellement.

Déboussolé, je laissai mon regard fuir par la fenêtre. Dehors, la vie continuait. Le soleil ruisselait, impassible, sur les façades de l’immeuble d’en face. Une guirlande de lierre s’enroulait autour d’un balcon. C’était encore l’été.

— Celle-ci, c’est de la merde, affirma-t-il en agitant la première carte. Une mauvaise copie fabriquée en Thaïlande ou au Viêtnam. Pour 800 euros, tu peux en trouver dans n’importe quelle cité un peu craignos. Un truc de toxico.

— Et la seconde ?

Tel un diamantaire devant une pierre précieuse, il ajusta ses lunettes et scruta la carte de son œil d’expert.

– Ça, c’est nettement mieux, même si ça ne date pas d’hier. Fabrication libanaise ou hongroise. Trois mille euros environ. ça ne résistera pas à un examen approfondi, mais tu peux t’en servir sans crainte pour la vie de tous les jours.

Le monde se mit à tourner. Tous mes repères s’effondraient. Il me fallut une bonne minute pour reprendre mes esprits.

— Au moins, à présent, les choses sont claires, trancha Caradec. Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à remonter la piste du passé d’Anna Becker.

Je baissai la tête. À nouveau, la photo atroce des corps carbonisés fractura mon esprit. Avec la petite voix d’Anna qui me murmurait : « C’est moi qui ai fait ça. C’est moi qui ai fait ça… »

4

Apprendre à disparaître

Pour être convaincant, un mensonge doit contenir un minimum de vérité. Une goutte de vérité suffit en général, mais elle est indispensable, comme l’olive dans le martini.

Sascha ARANGO
1.

Marc Caradec sentait des papillons virevolter dans son ventre. Comme s’il avait quinze ans et qu’il se rendait à un premier rendez-vous amoureux. La même peur, la même excitation.

Un flic reste un flic. La photo des trois cadavres carbonisés, le sac rempli à craquer de billets, les faux papiers, la double vie d’Anna : à nouveau l’adrénaline du chasseur courait dans ses veines. Depuis qu’une balle perdue l’avait mis sur la touche, il n’avait plus frissonné de ce plaisir particulier qu’ont les vrais flics de terrain, les arpenteurs de bitume, les renifleurs, ceux qui ne rechignent pas au labeur que nécessite toute traque. Les chasseurs.

En quittant l’immeuble d’Anna, Raphaël et lui avaient décidé de se séparer pour mener chacun ses investigations. Et Marc savait exactement quelles pistes il voulait creuser en premier.

La butte aux Cailles, la rue de la Glacière. Il connaissait le coin comme sa poche. Il profita d’un feu rouge pour faire défiler ses contacts sur l’écran de son téléphone et s’arrêta sur celui qu’il cherchait. Mathilde Franssens. Lui-même était surpris d’avoir encore ses coordonnées après toutes ces années.

Il composa le numéro et reconnut avec satisfaction la voix qui lui répondit dès la deuxième sonnerie.

— Marc ! ça fait si longtemps…

— Salut ma belle. Tu vas bien, j’espère ! Toujours à la Sécu ?

— Oui, mais j’ai pu enfin me tirer de la CPAM d’Évry. Je bosse dans le 17e maintenant, centre des Batignolles. Je pars à la retraite en mars.

— Vivement la quille alors. Dis-moi, tant que tu es encore en poste, tu pourrais me faire une recherche sur…

— Je me disais bien que ton appel ne pouvait pas être purement amical.