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Il était décidément intrépide, le journaliste, et rien ne pouvait abattre son infernale énergie, car cette figure souriante, il la gardait encore alors même qu’une fois couché dans son lit, il voyait l’infirmier Georges, obéissant aux ordres du directeur, s’approcher de lui, prendre ses poignets et ses chevilles, dans des boucles de cuir qui l’immobilisaient sur son lit.

Qu’avait-il donc deviné ?

Que méditait-il ?

Jérôme Fandor, en tout cas, songeait cette nuit-là :

— Si je suis sage pendant huit jours, j’imagine bien qu’ils finiront par me lâcher, par ne plus me boucler sur ce lit… Et maintenant, c’est tout ce que j’ai à leur demander, car après ma découverte, la découverte de tout à l’heure…

Mais quelle était donc cette découverte ?…

***

Du temps, encore, s’était passé… Les gardiens, convaincus que leur « malade » ne pourrait pas bouger, s’en étaient allés dormir, relâchant leur surveillance.

Après minuit, dont les douze coups avaient retenti lentement, la pendule avait égrené des quarts, des demies, et Fandor, qui réfléchissait toujours, commençait à apercevoir à travers les barreaux, les mystérieux barreaux de sa fenêtre, la lueur de l’aube prochaine…

L’asile, toujours endormi, était plus silencieux que jamais. Vaincus par la fatigue, à cette heure avancée de la nuit, les fous eux-mêmes finissaient par dormir…

Soudain, dans la chambre de Fandor, une voix murmura :

— M’entendez-vous ?

Instinctivement, le journaliste, à cette demande surprenante, car il n’y avait personne que lui dans la pièce, voulut s’asseoir sur son lit. Hélas, les courroies qui l’attachaient le rappelaient rudement au sentiment des réalités. Force lui était de rester étendu.

La voix reprenait :

— M’entendez-vous, monsieur Fandor ?

— Voyons, voyons, songea-t-il, personne ne me connaît ici, qui pourrait m’appeler ? est-ce encore une hallucination ?

Il souffla, à voix basse :

— Qui me parle ? qui est là ?

Fandor était tourné sur le flanc, et voyait en face de lui le second lit de sa chambre, lit demeuré inoccupé…

Or dans ce lit, voici qu’il lui sembla qu’une forme s’agitait lentement…

Et il n’était pas victime d’une illusion…

Et il ne se trompait pas…

Il entendait ces mots, dits à voix basse :

— Ne faites pas de bruit, prenez garde, celui qui vous parle, c’est un ami, c’est moi, c’est Teddy.

— Teddy, vous ici, comment êtes-vous là ?

— Je vous conterai cela plus tard, la complicité d’un gardien m’a permis d’entrer au Lunatic, je m’y suis caché toute cette après-midi, ce soir je me suis glissé dans ce lit…

— Mais que voulez-vous ?

Des draps du lit voisin qui tout à l’heure encore semblait vide, la figure énergique et fine du jeune homme émergeait.

Teddy souriait :

— Ce que je veux ? Parbleu, j’étais venu pour vous aider à fuir.

— Ah… pour Dieu, faites vite, alors.

Teddy, avec précaution s’était levé, il traversa la pièce, il vint s’asseoir près de Fandor, sur le bord du lit du journaliste…

— Oui, n’est-ce pas. C’est horrible ici ?

— Horrible,…pourtant il faut que je vous remercie… si l’autre jour dans les docks, vous n’aviez pas songé à dire que j’étais fou, j’étais fichu…

La main de Teddy s’appuya sur la bouche de Fandor, le jeune homme haussa les épaules :

— Il s’agit bien de cela, si je vous ai sauvé, vous m’aviez sauvé. Nous sommes quittes ; ne perdons pas de temps… Dites-moi, plutôt, avez-vous une idée sur la façon dont nous pourrions sortir d’ici ?

— Oui, si vous pouvez me détacher.

Déjà Teddy s’était jeté à genoux et cherchait sous la couche de Fandor l’endroit où aboutissaient les liens du jeune homme…

— Oh, monsieur Fandor, déclara-t-il : c’est enfantin… tenez, vous voilà libre.

Teddy avait tiré de sa poche un long coutelas à lame effilée et il en tranchait les liens de cuir.

— Voilà, mais cela ne nous avance pas car…

— Si, si, dit Fandor qui se levait, vous allez voir… dans dix minutes, nous serons dehors…

— Et les barreaux ?

— Les barreaux, les barreaux on s’en moque. Voyez plutôt…

Fandor venait d’empoigner l’une des barres qui grillait sa fenêtre et, sans effort, la faisant glisser, la déplaçant, finit par l’arracher à l’encadrement de la fenêtre…

— Comment avez-vous arraché ce barreau de fer ?

— Ce barreau de fer est en bois, regardez.

Le barreau, en effet, était en bois.

Mais comment avait-il fait cette sensationnelle découverte ?

Fandor s’était dit :

— Si Georges est innocent du vol de mon crâne, c’est que le vol a été commis par quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre n’a pu entrer que par la fenêtre, la fenêtre est grillée de barreaux de fer, donc, si quelqu’un a passé malgré ces barreaux, c’est que l’un de ces barreaux, au moins, est coupé…

Non, tous les barreaux étaient intacts…

— Alors, avait songé le journaliste, c’est que l’un de ces barreaux est truqué…

Le journaliste frémissait. Non, il ne pouvait se faire d’illusion, les cinq barreaux étaient bien réellement en fer. Il sentait le froid du métal sur chacun d’eux, il les voyait tous les cinq couverts de rouille…

Alors Fandor d’une chiquenaude avait ausculté les cinq barres, et voilà que l’une de ces barres avait rendu un son bizarre…

— Ah ! parbleu, avait songé le journaliste, la ruse est admirable ! quatre des barreaux sont véritablement en fer et le cinquième, ce cinquième qui sonne creux, c’est un barreau de bois, mais un barreau en bois qu’un esprit infernal a, pour mieux donner le change, songé à recouvrir d’une mince pellicule de métal, probablement appliquée par un procédé de galvanoplastie.

Et c’est pourquoi Jérôme Fandor s’était laissé attacher sur son lit en souriant.

— Un jour ou l’autre, songeait-il, les infirmiers me boucleront mal, et ce jour-là je n’aurai pour m’évader qu’à arracher ce barreau de bois, qui tient à peine, puisqu’il ne tient que par son élasticité, pour, de ma fenêtre, gagner les toits, des toits sauter dans la campagne, rattraper ma liberté, m’enfuir, comme s’est enfui mon voleur de crâne.

— Maintenant, dit Teddy, c’est un jeu de nous en aller.

— Oh ! un jeu, en effet, répondit Fandor qui, déjà s’apprêtait à se laisser glisser le long d’un tuyau de gouttière, aboutissant à l’un des terrains vagues entourant l’asile.

Teddy pourtant le retenait :

Une hésitation passait sur le visage sympathique du jeune garçon :

— Mais dites-moi, fit-il, vous ne prenez pas le… le crâne ?

— Non, répondit le journaliste en commençant une vertigineuse manœuvre de gymnastique qui lui permettait de sauter sur le chapiteau d’un mur voisin – chemin d’évasion encore préférable au tuyau de gouttière peu solide – non !… non !… je ne prends pas le crâne, Teddy, parce qu’on me l’a volé… On me l’a volé. Quelqu’un que  je ne connais pas,  quelqu’un  que vous devez connaître sans doute… et qui est passé précisément par le chemin que nous suivons en ce moment…

Teddy ne répondit rien.

Il était suspendu dans le vide, se retenant d’une seule main, accomplissant de formidables prouesses de gymnastique, suivant Fandor, l’aidant souvent… Ce n’était plus le moment de causer, il fallait fuir l’asile, le fuir aussi vite que possible.

Le jour pointait…

Une heure plus tard, Fandor et Teddy se laissaient tomber sur un talus herbeux. Il faisait jour.

— Le crâne ? demanda Teddy, vous m’avez dit qu’on vous l’avait volé ?

— Oui, Teddy… oui.

— Pourquoi l’aviez-vous pris ? pourquoi avez-vous été le chercher dans l’incendie ?

Fandor hésita un instant à répondre. Puis il avoua :

— Ma foi, par le plus grand des hasards et sans me douter qu’il pouvait vous intéresser… Je croyais Fantômas à mes trousses, cette trouvaille étrange m’incitait à croire à quelque nouvelle manifestation du bandit.