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— Ah, je ne veux pas vous laisser partir, répéta-t-elle, restez, Teddy…

Le jeune homme la repoussa.

— Laissez-moi donc…

— Alors, armez-vous. Tenez, là, dans le cabinet de mon père, vous trouverez son fusil et des cartouches dans la petite armoire vitrée, contre le mur…

Teddy gagna le bureau de travail de Hans Elders, pas fâché, en somme, d’aller y prendre une arme.

Le fusil était au râtelier.

Teddy le prit et, d’un geste machinal, il fit basculer la clef du pontet, vérifia le chargement…

— Il n’y a qu’une cartouche. Bien.

Le jeune homme bondit à la petite armoire où Winie lui avait dit qu’il trouverait des munitions.

Sur les rayons de l’étagère, des cartouches, en effet. Teddy en prit une poignée – des cartouches bleues, analogues à celles dont il se servait lui-même – il les fourra dans sa poche.

Mais, en même temps qu’il glissait dans le magasin de son arme l’une des douilles, voilà que de la petite armoire vitrée tombait, ébranlée par son geste, toute une pile d’autres cartouches, des cartouches liées ensemble, et de couleur rose…

Or, du paquet de cartouches roses, une cartouche s’était séparée… Cette cartouche, tombée sur le culot, avait détoné, mais elle n’avait pas éclaté. À peine l’enveloppe de carton était-elle fendillée… Teddy qui, voyant basculer le paquet de cartouches, s’était attendu à une assez forte explosion, en demeura saisi.

Machinalement, il ramassa l’unique cartouche dont la capsule venait de détoner, il la mit dans sa poche, songeant :

— Eh bien, si les douilles que je viens de prendre ne sont pas de meilleure qualité, mon fusil ne va pas me servir à grand-chose.

Il se précipita vers la porte-fenêtre du cabinet de travail, l’ouvrit, courut dans le jardin, son fusil sous le bras :

— Hello ! cria-t-il encore, ayant l’impression que quelqu’un venait de débusquer d’un fourré et de s’enfuir devant lui.

Nul ne répondit. Teddy hâta sa course.

— Dommage, pensa-t-il, que la nuit soit si sombre. Il y a certainement quelqu’un dans ce jardin, mais où ?

Il fallait d’ailleurs au jeune homme un beau courage pour continuer ainsi sa course. Lui ne voyait personne, mais sans doute « on » le voyait, car son ombre devait se détacher, en silhouette, sur les fenêtres éclairées du cabinet de travail de Hans Elders.

Teddy, immobile, l’arme à l’épaule, prêt à faire feu, écouta un instant, puis brusquement pivota sur ses talons, visa un quart de seconde, tira.

Teddy venait de faire feu, un peu au jugé, sur quelque chose, homme ou bête, qu’il avait aperçu assez loin de lui, dans l’obscurité.

Après le claquement brutal du coup de fusil, le jardin redevint silencieux.

— Sapristi, se dit Teddy, je l’ai manqué.

Instinctivement, le jeune homme bascula encore le canon de son arme pour remplacer la cartouche qu’il venait de tirer.

La main dans sa poche, il prit un nouveau chargement, s’apprêta à l’introduire dans la culasse de son fusil… et tandis qu’il opérait, machinalement, sans regarder ce qu’il faisait, Teddy continuait à surveiller le jardin…

Or, la cartouche qu’il s’efforçait d’introduire dans son fusil devait être mal calibrée, car il ne pouvait réussir à la glisser dans l’âme du canon.

Teddy baissa les yeux et, revenant en courant vers les fenêtres éclairées, vérifia ce qui gênait sa manœuvre.

— Ah ! nom d’un chien ! jura-t-il.

La cartouche qui refusait d’entrer dans son fusil, c’était la cartouche rose, la cartouche qui avait détoné, sans éclater, quelques instants avant…

Or, cette cartouche, Teddy la regardait avec des yeux stupéfaits…

Il la considérait une minute, puis, comme ne se souciant plus de poursuivre dans le jardin l’être sur lequel il venait de tirer, Teddy, rebroussant chemin en courant, se précipita vers le cabinet de travail de Hans Elders et déjà il avait le pied sur les marches qui faisaient communiquer le jardin avec la chambre, lorsque, brusquement, il s’arrêta net, poussant pour la seconde fois un jurement sourd…

Qu’avait-il donc vu ?

***

Depuis trois jours, Jérôme Fandor avait été embauché par Hans Elders.

Le jeune homme qui, de sa vie, n’avait jamais vu une chercherie de diamants, n’avait même jamais lu aucun détail sur la façon dont on exploite pareille industrie, n’avait pu être affecté à des travaux bien compliqués.

Il servait aux usines en qualité de manœuvre, charriant des terres, portant des outils, aidant les uns, aidant les autres, et gagnant péniblement un maigre salaire.

Fandor pourtant était ravi de son sort.

Après la conversation qu’il avait eue avec Teddy, lorsque ce dernier l’avait fait évader de Lunatic Hospital, Fandor était tombé d’accord avec le jeune homme, qu’il importait avant tout de surveiller de très près les agissements compromettants de Hans Elders.

Certes, Fandor s’était fait embaucher à l’usine avec l’intention bien arrêtée de trouver ainsi le moyen de gagner sa vie, mais de plus, il n’était pas fâché de surveiller son patron.

Fandor, toutefois, était trop fin, et pour tout dire, trop habitué aux recherches de police, pour avoir accepté sans défiance et comme absolument certaines les paroles de Teddy.

— Hans Elders, avait affirmé Teddy, m’a volé une première fois le crâne mystérieux, c’est lui qui a dû vous le reprendre à l’asile, c’est lui le coupable…

Vingt-quatre heures après qu’il eut été engagé à la chercherie, Fandor pourtant avait une opinion bien arrêtée : il se passait à l’usine des choses bizarres.

Quoi ? Fandor n’aurait pas su le dire au juste, mais il lui semblait qu’on employait à la chercherie un personnel étrange.

Certains ouvriers avaient de véritables figures de forbans, de bandits, que faisaient-ils, si tant est qu’ils faisaient quelque chose ?

Et puis, autre chose surprenait encore Fandor : l’abondance des diamants, qui, certains jours, étaient découverts dans les terres lavées et le plus souvent par les mêmes ouvriers…

Hans Elders, d’ailleurs, paraissait le plus honnête, le moins inquiétant de tous ceux qui vivaient à Diamond City.

Mais le proverbe : tel maître, tel valet est souvent juste, Fandor n’était pas éloigné d’admettre la réciproque et de dire : tel valet tel maître. Aussi, chaque soir, après la fin du travail, Fandor en homme habitué à toutes les ruses, s’efforçait de rester soit dans les bâtiments de l’usine, soit dans les jardins de Diamond House. Il rôdait là de longs moments, surveillant les allées et venues, guettant les agissements des propriétaires, épiant, enquêtant…

Fandor, d’ailleurs, ne se faisait point d’illusion. Il savait que sa surveillance était dangereuse et que si jamais on venait à le découvrir, demeuré dans les environs de la chercherie sans motif plausible, on ne manquerait pas de l’accuser d’avoir voulu voler les pierres précieuses. Mais un danger n’avait jamais été pour empêcher Fandor de faire ce qu’il jugeait utile, et il se proposait bien de continuer à épier jusqu’à ce qu’il fut certain, ou de l’honnêteté de Hans Elders, ou de son caractère de bandit.

Or, ce soir-là, Fandor devait aller de stupéfaction en stupéfaction…

Il avait vu Teddy arriver à cheval, saluer Winie et monter avec elle au salon.

— Tiens ! tiens ! s’était dit Fandor, toujours prêt à rire un peu, M. Père étant parti, il me semble que Mlle Fille ne refuse pas de recevoir des visites.

Mais n’était-il pas intéressant de savoir exactement quel degré d’intimité existait entre Teddy et Winie, cela alors que Teddy avait assuré qu’il tenait Hans Elders pour un misérable ?

Fandor, très habilement, s’était approché des fenêtres, avait collé le visage aux carreaux pour épier les jeunes gens. Mais les choses s’étaient gâtées, Fandor avait à peine le temps de disparaître, s’étant rendu compte qu’on venait de l’entrevoir, que Teddy s’élançait à la fenêtre.

— Bigre de bigre, songea le journaliste, je ferai bien de ne pas moisir dans le jardin.