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Mais le chauffeur, en dépit de ses efforts, n’avait pu retrouver Juve.

L’homme à la mer… était-ce Fantômas ?

10 – UNE PARTIE DE BACCARA

— Le Natal, songeait Fandor, est décidément un bon pays. Non seulement on y gagne cent francs par semaine à ratisser une terre d’où sortent des diamants presque prêts à être accrochés aux oreilles des jolies femmes, mais encore on parvient à se procurer des smokings doublés de soie pour la modique somme de trois livres sterling qui valent une pièce de quatre-vingts francs comme un sou, à Montmartre.

Fandor interrompu dans ses pensées, répondit à la vendeuse du grand magasin dans lequel il se trouvait :

— Mais certainement mademoiselle, il faut me joindre une cravate noire.

— Toute faite monsieur ?

— Oh, comme vous voudrez.

— Toute faite c’est plus commode, mais à faire, c’est plus élégant.

La jeune fille voyant que son client ne se décidait pas, lui donna d’autorité, un nœud de cravate tout fait. Elle l’ajouta au paquet de vêtements sur le comptoir.

— Monsieur, interrogea-t-elle, emportez-vous tous vos achats ?

— Ma foi oui, dit Fandor, je n’ai guère le temps d’attendre qu’on me les livre.

Le journaliste passa à la caisse et, quelques instants après, il quittait définitivement le magasin où il venait de faire un séjour aussi bref que possible, trop long à son gré.

Fandor, comme tous les hommes, avait l’horreur des magasins. Lorsqu’il s’y rendait c’était pour d’impérieuses nécessités et avec l’intention bien arrêtée d’en finir au plus vite.

Le journaliste s’était soudain retrouvé dans la rue principale de Durban, dans Lord Street, longue et large artère perpendiculaire aux Docks et qui trouait de part en part la ville importante dont les faubourgs s’étendaient jusqu’aux premiers contreforts de la chaîne des montagnes.

Durban est une ville qui cumule le pittoresque des cités exotiques et le caractère actif des villes civilisées de l’ancien continent.

C’étaient des boutiques qui brillaient de mille feux, de grands immeubles, de bureaux et d’appartements privés luxueux.

Les rues étaient sillonnées d’automobiles et de tramways des modèles les plus récents et cette ville nouvelle, par ce fait même qu’elle était de création toute récente, ne révélait aucun vestige des procédés anciens, des formules passées. Tout y était neuf, étincelant, luisant, au point même que l’ensemble finissait par avoir une allure par trop moderne et par trop raffinée, presque de mauvais aloi.

Et le seul point, le seul fait qui permettait de s’apercevoir qu’on ne se trouvait pas au centre le plus élégant de Londres ou de New York, c’était la présence dans les rues d’une multitude de cafres aux oripeaux bariolés, et dont les faces noires demeuraient confondues d’étonnement en présence de cette activité fatigante, de cette perpétuelle agitation.

Fandor, toutefois, n’attachait qu’une médiocre importance à tout ce qui pouvait constituer le côté pittoresque de ses aventures. Le journaliste, comme il regagnait la petite chambre qu’il avait louée dans un faubourg de la ville, réfléchissait à la situation.

— Parbleu, se disait Fandor, elle est mauvaise la situation.

Le journaliste, trois ou quatre fois par jour, en plus des circonstances qui l’amenaient devant le concierge de sa maison, ne manquait jamais de demander s’il n’y avait pas de télégramme, ni de lettre à son adresse.

Invariablement, on lui répondait : non, et chaque fois Fandor se mettait à jurer.

Ce jour-là, tandis qu’il s’habillait, Fandor grommelait encore contre le silence obstiné de son ami.

— Cet animal de Juve est d’une insouciance. Dire qu’il n’a pas même daigné répondre à ma dépêche. Je lui ai pourtant télégraphié sur un tel ton qu’il a dû s’en alarmer.

Le journaliste avait d’ailleurs d’autres soucis. Fandor en achevant de revêtir son smoking, monologuait à haute voix pour préciser sa pensée.

— Il y a trois points principaux qui m’inquiètent et ces points ne sont autres que : Hans Elders, mon ami Teddy et la tête de mort disparue.

Quel lien y a-t-il entre ces deux crânes et ce crâne défunt ? Voilà ce qu’il faudrait savoir, et voilà ce que j’ignore… D’autre part, je suis assez tranquille, car l’asile de fous dans lequel on m’a fait l’honneur de me recevoir, ne s’est pas préoccupé de retrouver ma trace.

J’en veux à ce Hans Elders qui est venu me dérober la fameuse tête de mort, au risque de se faire pincer par toute la police du Natal, et je lui suis reconnaissant de cette incorrection à mon égard, car son intervention a singulièrement éveillé l’attention du petit Teddy, qui sans cela ne serait sans doute jamais venu me chercher au Lunatic Hospital… Après tout, ce Teddy m’a sauvé la vie, pour la seconde fois.

Pour un peu j’aurais une entière sympathie pour ce gamin, si je ne craignais pas d’accorder mon amitié à une fichue fripouille, car si certains côtés du caractère de Teddy me paraissent dignes et généreux, d’autres me font l’effet d’être parfaitement suspects.

Tout en monologuant, Fandor avait achevé de s’habiller.

— Allons, fit-il en étouffant un soupir, allons, il faut aller voir ce monde, monde interlope, mais indispensable à connaître.

Et Fandor, avec l’allure d’un parfait gentleman, quitta son humble domicile et sauta dans le tramway qui devait le conduire au centre de la ville.

Par suite de quels événements Fandor, jusqu’alors employé en qualité d’ouvrier dans la chercherie de diamants, s’était-il soudain transformé en un élégant clubman prêt, semblait-il, à passer la soirée dans un lieu de plaisir ou dans un salon du monde ?

Fandor, après la nuit au cours de laquelle il avait découvert l’équivoque conduite de son ami Teddy, s’était juré de percer à jour les mystères de Diamond House.

Se rendant compte que s’il continuait à effectuer d’humbles besognes dans la chercherie de diamants il n’apprendrait rien, le journaliste s’était décidé à risquer le tout pour le tout, à s’habiller en homme chic, à dépenser largement les quelques livres sterling gagnées par lui, à faire croire qu’il était riche, afin de s’introduire coûte que coûte dans le milieu des relations de Hans Elders où, certainement, il trouverait matière à se renseigner.

Ce soir-là, Fandor ayant exécuté la première partie de son programme, autrement dit s’étant vêtu luxueusement, décidait délibérément de mettre à exécution la seconde.

***

— Faites vos jeux, messieurs… faites vos jeux, rien ne va plus. Sept à droite, huit à gauche… en cartes avec le banquier, en prenez-vous ?… rien ne va plus, messieurs… neuf en trois…

La partie de baccara était des plus ardentes au National Club et le croupier en chef, avec une joie non dissimulée, annonçait toutes les cinq ou six minutes que la banque était aux enchères, au plus offrant.

Mêlé aux habits noirs, et observant ce qui se passait autour de lui, se trouvait Fandor.

Qu’est-ce que le journaliste venait faire dans ce lieu ?

Après avoir dîné d’un sandwich et d’une tasse de café, le journaliste avait décidé de se fendre de deux livres pour avoir le droit de pénétrer, en qualité de membre temporaire, au National Club.

Le National Club, dont la façade en ciment armé toute boursouflée de moulures et dont l’entrée était défendue par deux nègres en grand uniforme, n’était, en réalité, qu’un tripot, mais il présentait cet intérêt particulier pour Fandor qu’il était, non seulement le rendez-vous de la bonne société du Natal, des jeunes gens chics et prodigues, des officiers anglais, mais encore de toute la classe interlope des brasseurs d’affaires, des étrangers en villégiature, des chercheurs d’or et des gros marchands de bestiaux de la campagne.

C’était le seul établissement qui ne fermait point de la nuit et où l’on pouvait boire, jouer et fumer à son aise.

Les salons du rez-de-chaussée étaient réservés aux gens qui voulaient paisiblement lire les journaux et les revues. Mais, au premier étage, un brouhaha intense était de rigueur, notamment dans la grande salle du baccara où cinq tables ne chômaient pas.