27 – QUI ME TOUCHE A LA PESTE
Fantômas et Hans Elders venaient de pénétrer dans l’ossuaire élevé au centre du cimetière qui se trouvait enclos dans les bâtiments de l’usine.
Hans Elders livide, tremblant, n’osait faire un geste, n’osait dire une parole et semblait agir automatiquement, sans même avoir le sentiment de ses actes.
Pour Fantômas, la mine sombre, un éclair d’énergie dans les yeux, il paraissait en proie à une colère furieuse et prêt, au moindre mouvement suspect, à se débarrasser du misérable qu’il accusait de l’avoir trahi.
— C’est ici, interrogea le bandit que tu avais caché ce crâne ?
— Ici, maître, et je ne sais si je vais le retrouver facilement.
Cette dernière défense de Hans Elders, cette dernière tentative qu’il faisait pour essayer d’abuser encore celui qui lui commandait de façon si hautaine, eût été grotesque, n’eussent été les circonstances.
Fantômas répondit :
— Sur ta vie, Hans Elders, tu as cinq minutes pour me restituer ce qui m’appartient, ce que tu as eu l’audace insensée de voler.
Hans Elders, dès lors, ne pouvait plus hésiter. Il se jeta à genoux sur le sol dallé de l’ossuaire.
Ses mains qu’agitait un tremblement convulsif renversaient, en mouvements saccadés, les piles de crânes qui s’étageaient en pyramide contre la muraille. Bientôt, dans la pénombre du lieu, le crâne phosphorescent apparut, épouvantable à voir, avec la grimace, le rictus sardonique que dessinaient les trous d’ombre des orbites et de la mâchoire.
— Maître, maître, râla Hans Elders, tu vois que je ne t’avais pas menti ? voilà la tête de mort dont tu avais fait ta cachette.
Fantômas n’avait pas attendu les explications de son complice. Il s’était penché sur Hans Elders et l’écartant brutalement, le renversant à demi sur les dalles, il s’était emparé avidement du crâne mystérieux.
Le bandit, qui jadis avait inventé cette ruse infernale de dissimuler à l’intérieur d’un crâne humain les parchemins qui présentaient pour lui une si haute importance, ne put s’empêcher de frémir en rentrant en possession de ces ossements qui sans doute, depuis près de douze ans, lui hantaient l’esprit.
Fantômas en oubliait presque la présence de Hans Elders qui le fixait maintenant avec des yeux hagards…
Nerveusement, il retourna dans ses doigts la tête de mort.
Oui, il le reconnaissait, oui, c’était bien ce qu’il était venu chercher au Natal. C’était bien ce crâne qui contenait les papiers de sa fille, de cette Hélène qui, lui disait-on, était morte et qu’il voulait croire en vie dans la formidable incrédulité que mettait en son cœur le sentiment paternel.
Incapable de réprimer son impatience, et alors qu’il n’eût pas voulu, pourtant, opérer devant Hans Elders, Fantômas qui connaissait, lui, pour les avoir machinés, les secrets de ces ossements, cherchait le ressort mystérieux. Le crâne s’ouvrit.
Mais alors qu’enfin Fantômas pensait atteindre le but que depuis de longs jours il poursuivait, un cri de rage lui échappa.
À l’intérieur du crâne, il ne retrouvait rien. Les parchemins qu’il cherchait n’étaient pas là. On les avait volés. On l’avait trahi. Il était joué. Ce fut alors une scène abominable… Fou de colère, Fantômas se précipita sur Hans Elders. Il prit au collet le directeur de Diamond City, il lui cria :
— Misérable. Où sont mes parchemins ? Traître, deux fois traître, qu’en as-tu fait ?
Hans Elders qui ne pouvait comprendre, lui qui n’avait jamais su découvrir le ressort ouvrant le crâne, comment les papiers que lui demandait Fantômas avaient disparu, eut à peine le temps de balbutier :
— Je ne sais pas.
Fantômas, cette fois, n’était plus maître de lui.
C’était d’un mouvement tout instinctif qu’il repoussait violemment Hans Elders qui tournoya sur lui-même, étourdi, trébuchant, prêt à s’écrouler.
Et c’était encore instinctivement que Fantômas tira de sa ceinture son revolver, et sans même prendre le temps d’ajuster Hans, tendit le bras et presque à bout portant fit feu sur celui qu’il accusait de trahison.
— Misérable, tu paieras de ta vie d’avoir voulu te jouer de moi.
Hans, atteint en plein cœur, tomba sans un cri, tué roide, sur le sol du caveau.
Puis un silence effroyable, un silence où l’on n’entendait guère que le souffle haletant, rauque de Fantômas, de Fantômas si indifférent au sort de Hans Elders qu’il avait déjà presque oublié ce complice inutile, qu’il devait s’appuyer à la muraille tant il était lui-même anéanti, désespéré par la disparition des parchemins auxquels il tenait avant tout.
Quelques minutes passèrent…
Soudain, Fantômas releva la tête.
Une sueur froide lui coulait du front.
Un tressaillement convulsif agitait tout son être. Qu’était-ce encore ?
Fantômas croyait qu’il venait d’entendre marcher. Il était alors au fond du caveau, où ne se trouvait qu’une seule porte. Allait-il se laisser prendre dans ce petit bâtiment comme dans une souricière ?
Une voix jeune, fraîche, claire, cria dans le silence :
— Pas un mouvement, ou vous êtes mort.
Fantômas avait bondi vers la porte de l’ossuaire, prêt à se frayer un passage… Il devait reculer…
Dans l’encadrement de la porte, il apercevait, en effet, la silhouette mince et fine d’un jeune homme, d’un tout jeune homme, qui, un fusil à l’épaule, le couchait en joue, se tenait prêt, au plus petit mouvement, à faire feu sur lui.
— Qui êtes-vous ? râla Fantômas. Que me voulez-vous ? Faites-moi place. Ne vous mêlez pas de choses qui ne vous concernent pas.
Mais il s’interrompit…
Le jeune homme, à nouveau, venait de répéter sur un ton auquel on ne pouvait se tromper :
— Pas un mouvement, ou vous êtes mort.
Fantômas vécut alors une seconde abominable. Que faire ?
Quel était cet inconnu ?
Et, voulant risquer le tout pour le tout, ainsi qu’il en avait l’habitude, en une seconde Fantômas décida de bondir sur l’inconnu, d’essuyer un coup de feu, au besoin, mais de se frayer un passage coûte que coûte.
Le bandit, toutefois, n’eut pas le temps de mettre ce plan de fuite à exécution.
Une foule d’ouvriers, de serviteurs, se précipitait en effet vers l’ossuaire…
Le coup de revolver de Fantômas, résonnant sous la voûte du petit bâtiment avait fait un vacarme de tous les diables, on l’avait entendu, on accourait.
Fantômas comprit qu’il était perdu.
Parbleu, les arrivants apercevraient à ses pieds le cadavre de Hans et ce jeune homme qui le tenait en joue, qui allait le dénoncer… Ils étaient cinquante contre un, il ne pourrait même pas lutter.
Mais brusquement, Fantômas, dans son infernal génie, trouva une ruse.
Comme ceux qui accouraient parvenaient près de l’ossuaire, Fantômas hurla :
— À l’aide, au secours, on m’assassine.
Fantômas, après avoir tué Hans Elders, avait jeté au loin le revolver dont il s’était servi. Il était sans armes. Il était à côté de la victime. On pouvait s’y tromper.
Et il n’hésitait pas. C’était le jeune inconnu qui allait l’accuser qu’il accusait du meurtre de Hans.
Les arrivants, pourtant, à son appel, s’étaient presque immobilisés.
À coup sûr, nul ne comprenait, nul ne devinait pourquoi lui, que pas un d’eux ne connaissait, se trouvait dans l’ossuaire, appelant au secours, et cela près du cadavre de Hans Elders.
Que s’était-il passé au juste ?
Un ouvrier, un colosse, brusquement se saisit par derrière du jeune homme qui tenait toujours en joue Fantômas et n’avait point même répondu à son appel.
— Allo Teddy, cria-t-il, qu’est-ce qui vous prend ? Qu’avez-vous fait ?
— J’arrête le meurtrier de Hans Elders.