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Il ne convenait pas au caractère de Fandor de se cacher, de se dissimuler. Courageux comme il l’était, le journaliste aurait cent fois préféré lutter face à face avec ses adversaires, mais il est évident que Teddy avait raison.

L’accusation, et même les accusations qui pesaient sur lui, si sottes qu’elles fussent, avaient leur importance. Il convenait de ne pas les négliger, d’y prendre garde et de ne pas agir en leur endroit à la légère.

Fandor s’était résigné, avait écouté les avis de Teddy, s’était caché, se cachait.

« Après tout, pensait le jeune homme, dans l’intérêt même de mes recherches, il convient que je ne me fasse pas sottement arrêter. Gagnons du temps, nous verrons ensuite comment agir.

Teddy lui avait affirmé qu’elle partait se renseigner sur l’état actuel des poursuites dirigées contre lui.

Fandor, confiant dans la parole de la jeune fille, l’avait laissé faire et, fidèle à la promesse qu’il lui avait donnée, s’était enfoui dans une botte de foin pour y sommeiller, comme en la plus tranquille des cachettes.

Malheureusement, au beau milieu de son somme, voilà que Fandor était réveillé par les allées et venues qu’il avait entendues dans la cour.

Le journaliste, ne pensant pas qu’il pouvait s’agir de ceux qui le poursuivaient et se croyant bien à l’abri de toutes espèces de recherches, venait de commettre une véritable imprudence. Avec sa bravoure tranquille et son insouciance ordinaire, il traversa le grenier et, pour se rendre compte des motifs du bruit, passait la tête à l’une des lucarnes du grenier.

Fandor était mal inspiré. Il s’en rendit compte immédiatement, car à peine était-il apparu à la lucarne que des exclamations furieuses le saluèrent.

— Là… là… le voilà… nous le tenons… hardi… fermez le hangar.

Hé, parbleu, Fandor, maintenant, comprenait à merveille la situation.

Il était pris, sottement pris, ridiculement pris.

Par la trahison, sans doute, de quelque voisin, qui l’avait vu entrer avec Teddy, les soldats, faisant office de policemen et lancés à sa poursuite, avaient dû être avertis qu’il se trouvait caché dans le hangar à fourrage.

Sans bruit, ils avaient entouré le bâtiment, et maintenant Fandor ne pouvait plus s’échapper.

Le journaliste n’était pas ému.

Il y avait longtemps qu’il s’était fait à l’idée que ses aventures finiraient mal un jour.

Et Fandor, laconiquement, se déclara à lui-même :

« Ça y est, je suis bouclé.

Instinctivement, pourtant, alors que les soldats hurlaient dans la cour de la ferme, Fandor s’était jeté en arrière, à l’intérieur du grenier.

Il chercha, jetant autour de lui un regard de bête prise au piège, si une issue s’offrait à lui.

Mais il n’en existait aucune. D’ailleurs, courant à une autre lucarne, Fandor se rendait compte que le grenier à fourrage était cerné.

Non, en vérité, il n’y avait pas moyen de fuir. On allait l’arrêter. Il serait conduit à Pietermaritzburg, il serait jugé, en tant qu’assassin de Jupiter et, selon toute vraisemblance, condamné à être fusillé ou pendu…

— Ma foi, se disait Fandor, puisqu’il faut y aller, allons-y.

Et il ne s’avoua pas qu’en dedans de lui-même, au plus profond de son cœur, un regret le faisait surtout tressaillir, une pensée l’émouvait, lui faisait regretter sa liberté, la pensée de Teddy.

Fandor revint vers la fenêtre où il avait fait sa première apparition et, gouailleur, ironique, demanda :

— C’est moi que l’on cherche ?

Des cris, encore, lui répondaient :

— À mort, à l’assassin !

Puis un homme, un chef se précipita, criant :

— Rendez-vous !

Fandor aurait bien voulu résister, mais le moyen ?

— Bon, je me rends, répondit-il. On s’expliquera plus tard.

Et, toujours plaisantant, il ajouta :

— Seulement, il n’y a pas d’escalier pour descendre de mon grenier et comme je n’ai pas envie de me rompre les jambes en sautant, je vous serais bien obligé, les uns ou les autres, d’apporter une échelle ?

L’officier encore répondit :

— On va faire le nécessaire… Mais ne tentez pas de fuir. Nous sommes armés, nous, et au moindre mouvement…

— Tiens, mais c’est vous, Wilson Drag ? Enchanté de vous rencontrer, mon lieutenant.

Le lieutenant ne répondit point. Il toisait Fandor d’un de ces regards de dédain et de mépris qui suffisent à faire naître des haines farouches.

Fandor, bien entendu, rendit coup d’œil pour coup d’œil.

Fandor dégringola rapidement, avec un sourire bon enfant, l’échelle qu’on venait d’appuyer contre la fenêtre de son grenier.

Parvenu dans la cour où les soldats, le fusil à l’épaule, le menaçaient, prêts à. tirer, Fandor s’informa, affectant de tourner le dos à Wilson Drag :

— Et maintenant, qu’est-ce qu’on me fait ? on me tue tout de suite ? non ? allons, c’est heureux. Les émotions me sont défendues et j’ai beau m’attendre à être condamné, à être exécuté, ça me fait toujours quelque chose.

Les soldats, respectueux de la discipline rigoureuse que leur imposait leur chef, semblaient ne pas l’entendre.

Pour l’officier, il affectait de ne tenir aucunement compte de ses paroles… Et comme Fandor, les mains dans les poches, attendait, faisait même mine de s’impatienter, c’est Wilson Drag qui reprit la parole.

Tourné vers ses hommes, il commanda :

— Vous allez garder cet individu à vue. Cinq d’entre vous, le revolver au poing. Au premier mouvement, feu. Les autres, venez avec moi. Il faut que nous perquisitionnions cette ferme, qui m’a l’air d’être le repaire de toute la racaille du pays.

Wilson Drag s’en alla, très digne, sanglé dans son uniforme.

— L’animal, pensait Fandor qui avait peine à se contenir. Il se fiche de moi. On ne doit jamais se fiche d’un prisonnier, pourtant, et je suis son prisonnier.

Fandor rongeait son frein. Il n’aurait convenu, pour rien au monde, qu’il était terriblement anxieux, mais en fait il n’était rien moins qu’assuré.

Comment tout cela allait-il finir ?

Jérôme Fandor suivait encore des yeux Wilson Drag qui s’éloignait vers les bâtiments de la ferme et escorté d’une vingtaine de soldats, lorsque soudain il tressaillit.

C’est qu’un nouvel arrivant faisait son apparition, un arrivant qui, certes, pouvait changer la face des choses.

Il était encore loin, on ne devinait de lui que la silhouette vague d’un cavalier galopant à vive allure que Fandor, déjà, l’avait identifié…

C’était Teddy, Teddy qui, après l’extraordinaire scène qui venait d’avoir lieu à l’ossuaire, avait, s’échappant à ceux qui le pressaient de questions, sauté sur un cheval, vainement donné la chasse au fugitif, puis, renonçant à la poursuite, s’était dirigé vers sa demeure pour mettre Fandor au courant des derniers événements.

Teddy, apercevant dans la ferme l’uniforme des soldats et, à leur tête, Wilson Drag, éperonna sa monture et arriva au grand galop jusqu’au-devant du lieutenant.

Là, brutalement, reprenant les rênes à sa bête, Teddy stoppa, sauta de sa selle et courant à Wilson Drag :

— Que faites-vous ici ?

Wilson Drag toisa Teddy.

— Ce serait à moi, répondait-il, de vous demander de quel droit vous hébergiez ici un assassin.

— Un assassin ? Ce n’est pas un assassin.

— C’en est un, Teddy.

— Vous en avez menti.

Wilson pâlit sous l’insulte.

— Teddy, faisait-il d’une voix sifflante, vous m’avez fait traiter de voleur. Aujourd’hui, vous m’accusez de mensonge. Mon devoir d’officier, Teddy, serait de mépriser vos insultes, mais mon devoir d’homme ne me le permet pas. J’ai menti, prétendez-vous ? Je vous réponds, moi : Vous êtes un lâche car chaque fois que j’ai essayé de vous imposer silence, vous m’avez échappé par ruse.